Réponse : La commission de relations avec les musulmans dont j'ai été à l'origine et que j'ai l'honneur de présider depuis 6 ans, est en réalité une étape dans le long cheminement du dialogue interreligieux qu'on peut faire remonter à l'après-guerre.
Les premières manifestations de ce dialogue concernent bien entendu, le dialogue judéo catholique dont les grandes dates sont connues. Je veux notamment rappeler en 1947-48, la conférence de Seelisberg ; la déclaration Nostra Aetate et le Concile Vatican II (1965) et enfin, plus récemment en 1997 - la déclaration de repentance des Évêques de France à Drancy, par exemple. En France, ce dialogue aura été animé par l'Episcopat et du point de vue juif, par des personnalités tout à fait exceptionnelles, notamment : le Grand Rabbin de France, Jacob Kaplan, mon maître, Rav Yéhouda Léon Askenazy et des dirigeants laïques, notamment les présidents et anciens présidents du CRIF qui ont joué un rôle considérable dans ce dialogue. D’ailleurs, les relations interpersonnelles qui se sont créées à ces moments-là, se prolongent encore à ce jour.
Pour ma modeste part, je m’honore de contribuer à ce dialogue interreligieux au sein du CRIF, alors qu’au départ et à priori, le CRIF n'avait pas forcément pour vocation de prendre en charge ou d’initier ce dialogue. Mais le rôle des hommes est primordial et le CRIF n’a pas cessé d’être un partenaire sur de grands dossiers, de rencontrer des interlocuteurs et d’innover de bien des manières. Cependant, je me suis rendu compte très rapidement qu'il y avait un cas à part dans ce dialogue, je veux parler de la relation entre juifs et musulmans. Je m’explique. Il y a en France une importante communauté musulmane dont peu de gens connaissent forcément tous les leaders et/ou les grands courants de pensée. Et, en la matière, il ne s'agit certainement pas d'un dialogue entre théologiens.
Donc, devant la montée quantitative et sociologique de la présence musulmane en France sur fond de conflit israélo-palestinien, il était encore plus important qu'il y ait un minimum de contacts entre les leaders de la communauté juive et ceux de la communauté musulmane. Il convenait donc de multiplier les relations et d’entretenir des contacts personnels. De cette manière, l'action dans le domaine interculturel et interreligieux s'est développée. On se rappellera que la seule institution représentative visible et connue depuis les années 1920, était la Grande Mosquée de Paris. J'ai pu entretenir des relations personnelles avec les différents recteurs depuis de très nombreuses années. Je reviendrai sur cette question.
C'est ainsi donc que se créée la commission de relations avec les musulmans. Je voudrais simplement rappeler que parallèlement j'ai contribué à la création d'une commission de relations avec les protestants, lorsque je me suis aperçu qu’il existait un décalage de plus en plus grand, entre les positions de la Fédération Protestante de France et celle du CRIF, appliquées non pas à la lutte contre l'antisémitisme bien sur, mais à la perception du conflit israélo-palestinien. Cette autre commission s'est créée il y a 3 ans.
Question : Quels sont les objectifs de la commission de relations avec les musulmans ?
Réponse : Le premier objectif est d'étudier et de comprendre le fonctionnement de ces nouvelles institutions et les hommes qui les représentent. Quelles sont les publications, les enseignements, les prêches des imams, l'enseignement des prédicateurs ici ou là, le déroulement de journées comme celles de l'U.O.I.F, au Bourget ?
La commission de relations avec les musulmans a aussi pour objectif de nouer des liens de travail avec les organisations et leurs représentants et les Pouvoirs Publics.
Question : Parlez-moi de vos invités. Comment les choisissez-vous ? Qu'attendez vous d'eux ?
Réponse : La commission invite une personnalité à chacune de ces séances, ainsi se développe la réflexion. On comprendra donc que globalement seront invités des représentants associatifs de toutes les orientations, depuis le Secrétaire Général de l'U.O.I.F., Fouad Alaoui ; en commençant par le Président du Conseil Français du Culte Musulman, Dalil Boubaker, recteur de la Grande Mosquée de Paris et ses proches collaborateurs, Maître Hafiz, membre du Conseil Régional du Culte Musulman d'Ile de France ou Djéloul Seddiki, co-président de l'Amitié judéo-musulmane de France (AJMF).
Seront également associés d’autres représentants, notamment des kabyles (3 millions d'originaires de Kabylie en France), avec son Président Maître Mustapha Saïdi. Autre invité à noter, Abderramane Rahmane, Président des Démocrates musulmans de France ou Fadela Amara, Présidente de l’association « Ni putes, ni soumises ». On y associe des journalistes qui connaissent bien ce sujet, dont Xavier Ternisien du quotidien Le monde ; des enseignants en tête desquels, Gilles Kepel qui est professeur à Sciences Politiques et qui est aussi responsable du département de relations avec les pays méditerranéens ou d'écrivains comme Fiametta Venner ou Caroline Fourest ; des sociologues comme Michel Wievioka, Hélène Kaltenbach, la démographe Madame Tribalat, Vincent Tiberj du Centre d’Etudes de la Vie Politique Française. Seront également invités de hauts fonctionnaires du Ministère de l'Intérieur ou des Affaires étrangères. Bref, des personnalités très différentes sont les invités de notre commission. Chacun fait part de ses propres analyses. Celles-ci ne sont pas toujours rassurantes mais méritent en tous les cas d'être évoquées.
Question : Vous croyez donc aux vertus du dialogue ? Pourtant certains de vos contradicteurs disent que la situation actuelle n'est guère propice au dialogue et que les relations entre juifs et musulmans sont difficiles. Que leur répondez-vous ? Réponse : Peut-on accorder quelques vertus au dialogue nonobstant l'affirmation de certains qui pensent que la situation actuelle n'est guère propice au dialogue ? D'un point de vue formel, le dialogue est toujours enrichissant. Il permet de mieux connaître son interlocuteur, d'apprécier sa franchise ou à l'inverse d'écouter ses arguments. J'ai souvent pensé aux enseignements des Maîtres qui enseignent que le premier meurtre de l'humanité, celui de Caïn tuant Abel, est survenu alors qu’entre les deux frères, aucun dialogue n'a eu lieu.
Et puis il ne faut pas craindre de donner son opinion, d’écouter celle de l'autre, d’essayer en tenant compte de l'énorme part qu'a la méconnaissance, l'ignorance ou la désinformation. Il n'en reste pas moins que quelques principes d'éthique du dialogue sont à retenir.
Mais le dialogue suscité n'est guère aujourd'hui qu'une partie de la relation entre juifs et musulmans. Il y a d'abord la relation entre des personnes. On notera que la majorité de la population juive française est issus des mêmes pays d'Afrique du Nord - Algérie, Tunisie et Maroc que les musulmans eux-mêmes et qu'aujourd'hui, la majorité du rabbinat est constitué de jeunes gens instruits par des maîtres venant d'Afrique du Nord dont ils sont pour beaucoup eux mêmes originaires. Mais ce dialogue interpersonnel, pour peu qu'il ait eu quelques antériorités n'a pas forcément porté beaucoup de fruits. Le dialogue devra d'abord être ce dialogue réglé, c'est à dire institutionnel engageant les hommes, leur parole, leur programme lors de certaines décisions qui pourraient être prises. Mais ce dialogue institutionnel ne peut se satisfaire à lui seul car pour parler moderne, « il y a beaucoup de monde sur la ligne. »
Il faut reconnaître cependant que la réalité d'un dialogue et surtout la fluctuation des opinions émises, dépendent d'un certain nombre d'éléments, que les partenaires institutionnels ne contrôlent pas.
Question : Ne pensez-vous pas que le dialogue est néanmoins difficile ?
Réponse : Le dialogue est difficile, on l'a dit. Mais, y a t’il d'autres solutions ?
Le dialogue restera le moyen privilégié qui permet d'expliquer ces arguments, de rejeter et de combattre l'antisémitisme sous toutes ces formes. Ce dialogue privé ne dispense pas d'appeler à l'aide les Pouvoirs Publics en les alertant de la situation. Je citerai comme exemple tout ce qui a été fait pour interdire la diffusion de la chaîne de télévision Al Manar.
C'est à ce prix, la patience en plus, que doit s'imposer la vérité du dialogue.
Question : On vous dit proche du Recteur de la Mosquée de Paris ?
Réponse : Pour moi, le Recteur de la Grande Mosquée de Paris est un homme de vérité, un homme du dialogue et de grande culture, dont la présence à la tête du C.F.C.M. est un bienfait pour la communauté musulmane et la communauté nationale toute entière. Le recteur est aussi le partenaire le plus fiable qui soit.
Dalil est aussi un médecin. J'ai beaucoup travaillé avec lui sur l'aspect interreligieux de l'éthique biomédicale dans un département universitaire que je dirige et où il a constamment porter haut la voix de l'Islam dans de nombreux débats concernant par exemple, la fin de vie, les procréations médicalement assistées où le rôle de la religion dans la médecine. Je veux rappeler aussi que nous avons publié tous les deux un livre, sur le dialogue entre juifs et musulmans, « Appel au dialogue » Éditions 1, 2004. Les différents voyages en Province que nous avions fait pour la présentation de cet ouvrage, auront été des moments de purs bonheurs, aussi bien lorsque nous allions dans certains centres communautaires que dans quelques mosquées, à travers lesquelles j'ai pu encore mieux comprendre ce qu’il en est de la communauté musulmane.
Mais, encore une fois, je répète qu’on ne peut limiter le dialogue entre Juifs et musulmans, à une seule personne. Ce dialogue suppose donc de rencontrer de nombreux interlocuteurs. On peut dialoguer avec des diplomates du Moyen-Orient ou de Maghreb, ou des journalistes de la presse arabe, par exemple.
Question : Qu'aimeriez-vous faire prochainement et quels sont pour cette commission vos plus chers désirs ?
Réponse : Telle quelle, la commission de relations avec les musulmans joue un rôle d'information et entretient un dialogue fructueux avec les musulmans et leurs institutions (débutantes pour ne pas dire balbutiantes) et la communauté juive. La commission a su nouer des liens avec d'autres institutions et surtout les Pouvoirs Publics, les médias, les intellectuels et des politiques. Son fonctionnement discret et souple ne devrait pas trop changer à l'avenir, néanmoins, dans le développement de sa mission, elle aura sans aucun doute vocation à organiser tant au niveau national qu'au niveau européen, une réflexion globale sur des sujets d’importance : l’intégration, le communautarisme, l'identité nationale. Il me semble important d’initier de nouvelles méthodes. Peut-être devrions nous organiser des colloques nationaux et internationaux, et ainsi ne plus nous limiter aux différentes rencontres actuelles, qui sont quelquefois occasionnelles ou liées à certains événements ? Je pense qu’il serait utile également de favoriser des rencontres entre différents interlocuteurs qui proviennent de pays méditerranéens, notamment des israéliens. Rien ne sera possible de toute manière sans la volonté des uns et des autres et le respect qui est dû à chacun lorsque des personnalités se rencontrent. Néanmoins, rien ne sera non plus possible si l’on tait les problèmes et si l’on fait fi de ce que l’on est. Or le dialogue est avant tout un dialogue de vérité, il suppose donc de dire ce que l’on pense et de ne pas cacher nos différents.
Propos recueillis par Marc Knobel.