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Publié le 25 Octobre 2011

Celui que les Israéliens surnomment «Patrick Le Juste»

Sur les étagères de son bureau s’empile de grands albums, plein de photos soigneusement classées, par lieu et par époque. Des « Babouchkas » ridées ou de vieux paysans édentés. « Celui-ci avait 12 ans, et fut réquisitionné par les Allemands, pour pelleter le sable, qui devait absorber le sang des corps empilés, qui dégoulinait » décrit le Père Desbois. Les photos bucoliques montrent en réalité des sites de charniers.




Chaque carnage était différent, en fonction du lieu, du nombre et de l’humeur des tueurs.



« Parfois ils abattaient les Juifs au bord des fosses. A d’autres moments, ils les obligeaient à descendre dans le trou et à se coucher. Et les exécutaient un à un, d’une balle dans la tête. Ensuite un autre groupe, descendait et se couchait sur les morts ».



Ce que je veux c’est reconstituer les faits, raconte ce prêtre français de 51 ans. Depuis cinq ans, il s’est donné une mission hors du commun : faire parler les derniers témoins de ces massacres de masse encore largement méconnus. Quand tout gosse il demandait à sa grand-mère si elle avait caché des Juifs, elle répondait simplement « Quand j’aidais les gens, je ne leur demandais ni leur race ni leur religion. ».



Chez les Desbois on était avant tout républicains, patriotes et peu religieux. Fait prisonnier en 1940, son grand père Claudius s’évada trois fois du stalag, puis fut finalement interné dans un camp de la frontière russo-polonaise. Ces baraques abritaient auparavant des prisonniers soviétiques, qui furent tous abattus. Dans le hameau en question près de Ruwa Huta, il y avait avant guerre 80% de juifs. Claudius n’aimait guère parler de ce qu’il avait vécu, » Là-bas « , l’enfant comprenait à demi-mot. Cela hante encore ses souvenirs.



La révélation qui le poussa à se consacrer, à cette mission lui vint en 1995, lors d’un voyage à Ruwa Huta et au camp d’extermination de Belzec. Un vieux curé polonais lui raconta comment les paysans montaient sur la colline voisine, pour assister à la mort des juifs. « J’ai compris que la Shoah s’était déroulée publiquement et que les gens savaient ». Dés lors Patrick Desbois, n’a eu de cesse que de réussir à faire parler les témoins avant qu’ils ne meurent.



L’association Yahad In Unum, qui regroupe des personnalités catholiques et juives, lui en donne les moyens.



Sur le mur de son bureau,au cinquième étage d’un banal immeuble moderne, tout près du cimetière du Père-Lachaise à Paris, s’étale une immense carte de l’Ukraine. Il se lève, commente, montre la progression des armées allemandes en 1941 et celle des Einsatzgruppen. A raison de trois ou quatre voyages par an, il remonte les axes de l’offensive nazie. Avec son équipe, sa traductrice Svetlana, à l’origine professeur d’histoire de l’art, et son complice Iaroslav, originaire de Ruwa Huta, il passe systématiquement de village en village. Ils s’appuient sur les archives allemandes ou soviétiques, et surtout, sur les témoignages.



Dans ces campagnes, il y a des lieux dits aux surnoms éloquents :
- Le bois aux juifs
- Le ravin de l’enfer



Les langues se délient, les gens étaient restés plus de cinquante ans silencieux, aussi terrorisés que honteux, et maintenant ils veulent se libérer, dit Desbois, soulignant que souvent ce sont les plus pauvres qui parlent les premiers, en fraternité d’injustice avec ces victimes dont ils se rappellent encore les noms. Il est prêtre et cela rassure. Les paysans ont encore peur, dans ces zones gréco-catholiques de l’ouest de l’Ukraine où la répression communiste fut particulièrement implacable. Dans les villages, les curés appellent les fidèles à dire toute la vérité. Alors, après la messe, ils se mettent en file, attendant de parler au français. Un à un, ils répondent aux questions d’abord générales puis de plus en plus précises sur ce qui s’est passé dans le hameau. Ils sentent que je suis comme eux, un fils de paysan, et je retrouve dans ces villages, les campagnes de mon enfance, avec le puits et les toilettes au fond du jardin, explique Desbois qui reconnaît volontiers être un prêtre atypique : « je n’ai pas été fabriqué par l’église ». Vaguement croyant quand il était gosse, puis devenu agnostique, il retrouve la foi au contact de jeunes protestants.



« J’ai senti en eux que le Christ était réellement vivant », dit-il.



Il a la confirmation de sa vocation dans les mouroirs de Calcutta, aux cotés de Mère Térésa qu’il était venu rejoindre trois mois. Ensuite il part au Burkina comme prof de maths et décide de rentrer au séminaire. Sa rencontre avec le monde du judaïsme, a été le fruit du hasard. Lui parle de providence. Il était curé dans une paroisse ouvrière au Creusot et sentait qu’il se rouillait intellectuellement. Il décide de se réinscrire à l’université pour apprendre l’hébreu, la langue de la Bible. Il effectue plusieurs voyages en Israël, s’y fait des amis, et s’engage à fond dans le dialogue judéo-chrétien, échangeant avec toutes les tendances du judaïsme.



Le cardinal Decourtray, me disait : « Il ne faut jamais choisir entre deux juifs, nous l’avons trop fait pendant la guerre », raconte-t-il.



Plus de 500 charniers identifiés, et le père Desbois estime qu’il en reste quatre fois plus à découvrir. Quand l’existence d’une fosse est attestée sur la base d’indications concordantes données séparément par trois témoins, son équipe ne touche à rien. « Nous nous recueillons sans bouger les restes, car la loi juive interdit de toucher aux corps, et ce seront les autorités juives locales qui décideront ensuite quoi faire et comment commémorer les victimes ».



Quand on lui demande s’il se sent « un juste », il répond avec un sourire : « Il me suffit d’être un Mensch ».



Cela veut dire un homme en allemand. En yiddish, le mot a une connotation philosophique et morale beaucoup plus forte.



Un mec quoi…



Cet article de Marc Semo, publié pour la première fois le 25 juin 2007 dans Libération, a été republié le 22 octobre 2011 dernier, sur le site du magazine Terre d’Israël.



Photo : D.R.



Source : Centre des Affaires Publiques et de l’Etat de Jérusalem