Il est trop peu dire que son texte de quatre-vingt pages tout juste paru m’a saisi. C’est là un livre qu’il ne faudra pas oublier.
Originaire de Moissac, Claire Daudin ne nous entreprend pas des chefs-d’œuvre romans de sa ville (ou juste pour rappel). Elle nous entreprend sur les Juifs persécutés ou sur ceux qui trouvèrent refuge justement à Moissac. Elle nous parle des juifs et des chrétiens pendant la guerre autour de la figure de son grand-oncle, qui fut abbé au village de Molières proche de Moissac. Dans son journal écrit pendant la guerre, pas une ligne de ce grand-oncle pour rassurer Claire Daudin, qu’il ne fut pas indifférent au drame juif qui se déroulait non loin de lui. Silence, aveuglement, indifférence ? Claire Daudin est à bout d’impatience et de souffrance quand elle lâche : « L’oubli, c’est la barbarie. […] L’oubli, c’est l’éternel recommencement. La négation d’une histoire » (p. 47).
La prise de voile de novices racontée par « tonton abbé » s’appauvrit face aux nazis déferlant sur la zone sud. Claire Daudin écrit son livre pour répondre à travers l’histoire de sa famille à l’ouvrage Morts ou juifs. La Maison de Moissac de Catherine Lewertowski (Flammarion, 2003). « Tonton abbé » sort de son silence non pour dénoncer l’abomination de la désolation (pas un mot sur les rafles), mais pour dire que les Alliés bombardant Rome en 1944 « ont détruit la belle basilique de Saint-Laurent-hors-les-Murs ». Mundus inversus ! lance la petite-nièce de l’abbé, qui cherche à comprendre douloureusement pourquoi ce fut Marie-Rose Gineste, résistante puis reconnue Juste parmi les Nations, qui se proposa à Mgr Théas, avec deux autres personnes, pour porter sa lettre sur les juifs à tous les curés du diocèse dont « l’oncle abbé ». Pourquoi cette femme magnifique choisit-elle de défendre l’honneur et la justice au prix d’un risque réel et pourquoi aucun membre de la famille de l’oncle abbé ? « L’oncle abbé » ne dira pas un mot de cette missive de Mgr Théas dans son journal.
Cette question ne nous concernerait-elle pas nous aussi, juifs, quand l’un de nos parents ne l’était pas, juif ? Claire Daudin écrit encore à propos de Melle Gineste : « Cette ouverture à l’autre est certainement ce qui la différencie le plus de ma famille et de ses congénères, voués à l’entre-soi catholique. Melle Gineste ne vivait pas retranchée dans sa religion. »
La profondeur du questionnement de Claire Daudin n’est pas d’une seule époque, d’un seul pays, mais il est valable pour tous les hommes, toutes les femmes, toutes les situations tragiques. Je ne cesse, personnellement, de penser que les institutions religieuses juives, les religieux juifs dans leur grande majorité, vivent dans un « entre-soi juif » que l’on peut regretter.
La fin du livre de Claire Daudin est assez terrible. Dans sa critique si vive contre La Suite française d’Irène Némirovsky, elle écrit : « Dieu n’a pas survécu à Auschwitz ; il ne s’est pas remis de la cécité de l’Eglise. La chrétienté française n’est plus, ce qui survit au peuple juif se définit de moins ne moins sur un critère religieux. » Le paradoxe prouverait pourtant le contraire, le judaïsme français en trente ans a vu grossir le nombre de religieux de façon incroyable, alors qu’en effet la France n’est plus en nombre de croyants tout à fait digne de son titre de « Fille aînée de l’Eglise ». Mais combien nous rejoignons notre auteure, notre amie chrétienne, lorsqu’elle dit : « Dieu n’est pas dans la liturgie. »
La vie d’un lecteur et d’un écrivant est nourrie de combien de centaine (pour les lecteurs les plus rapide, de milliers) de livres de sa naissance à sa mort, à commencer par des chefs-d’œuvre universels depuis la Bible, Confucius, la Bhagavad Gîta…. Cette vie est aussi par d’autres livres, plus personnels, plus intimes. Pour ma part, aujourd’hui, je voudrais juste dire que Le Rendez-vous de Moissac de Claire Daudin est avec La Nuit de Wiesel, L’Ecriture ou la vie de Jorge Semprún, Réelle présence de George Steiner, l’un des livres inoubliables qui ait été offert à mon âme.
* Acte Sud, « Le souffle de l’esprit », 80 pages, 9 €.
Photo : D.R.