*Le collectif du 15 mars – date du début de la révolution syrienne – a été fondé en France pour regrouper les personnes n'appartenant pas aux partis politiques syriens sur la base de la revendication de la chute du régime.
Vous êtes passé en Syrie clandestinement depuis la Turquie il y a une semaine. Vous avez pu rencontrer des personnes qui luttent depuis huit mois contre le régime. Où en sont les gens, ne désespèrent-ils pas ?
- Les Syriens ont décidé d'en finir avec ce régime. Ils connaissent très bien les effets possibles de leur mobilisation. Mais ils sont prêts à payer le prix. Le moral est bon. Le régime a utilisé tous les moyens y compris les plus horribles – arrestations arbitraires, tortures, tirs sur la foule dès le 15 mars – et les manifestations continuent. Il est impossible pour les manifestants de faire marche arrière. Car s'ils arrêtent, ce sera une fin tragique : Bachar ira les chercher un à un chez eux jusqu'au dernier. Et la population a bien compris cela. Elle n'a donc pas le choix : il faut mener cette lutte jusqu'au bout. Assad présente le risque d'une guerre civile. Mais il n'y a pas de guerre civile. Il y a la guerre d'une population contre le régime.
Lorsque vous étiez à la frontière turco-syrienne avez-vous pu visiter les camps de réfugiés ?
- Oui, en effet. La situation pour n'importe quel réfugié est difficile. Vivre entassés, hommes, femmes, enfants, vieillards dans une tente est difficile. Mais nous devons attirer particulièrement l'attention sur certains points dramatiques. L'un des trois camps est notamment construit sur une pente de 50 à 60 degrés et la pluie risque d'emporter les tentes des réfugiés. Il est donc nécessaire de déplacer ce camp où les conditions de vie sont difficiles. Les personnes déplacées m'ont confirmé qu'il n'y avait pas de problème d'approvisionnement en nourriture. Il y a également un poste médical qui semble fonctionner. Mais, en revanche, les enfants ne peuvent être scolarisés et c'est un problème. Il n'y a pas d'école dans les camps et si certains enfants fréquentent les écoles turques, reste le barrage de la langue.
Les Syriens continuent-ils de fuir ?
- Oui. Mais surtout les jeunes capables de fuir à travers les montagnes à la frontière turque. Pour les familles, la fuite est plus difficile. Le régime a installé ses chabiah soutenus par une partie de l'armée loyale au régime non loin de la frontière et ils tirent sur tout, y compris les animaux! Il y a quelques jours un jeune garçon de douze ou treize ans qui tentait de passer avec deux vaches pour les vendre en Turquie a été abattu avec ses vaches par un snipper. La situation est extrêmement dure pour cette population. Fuir, c'est risquer sa vie. Rester, c'est vivre avec les agressions, les assassinats, les destructions de biens.
On parle d'une prise de distance de certains pouvoirs économiques avec le régime, notamment les marchands d'Alep, qu'en est-il ?
- Les commerçants commencent à comprendre que soutenir Assad n'est pas dans leur intérêt. Mais l'opposition de ces gens là n'est pas encore très développée. Le plus important pour un commerçant est son affaire et le régime a essayé de tout faire pour satisfaire ces commerçants, notamment d'Alep. Il y a quand même des manifestations mais surtout dans la banlieue. Le basculement de cette ville serait terrible pour le régime et il le sait car plus aucune ville ne lui resterait acquise.
Comment est la situation économique en Syrie ?
- On risque la famine bientôt. Tous les gens qui parviennent à effectuer des allers-retours en Syrie comme je viens de le faire témoignent de la même chose : une description dramatique de l'intérieur. Les gens ne travaillent plus depuis huit mois, il n'y a pas de sécurité sociale dans le pays, c'est la mafia au pouvoir qui détient toute l'économie et pour les familles qui ne parviennent pas à trouver un emploi c'est dramatique. Heureusement qu'une grande solidarité règne. Mais le régime est très content de cette situation qui lui profite. Je lance ici un appel : il faut venir en aide aux populations. Il faut donner de l'argent aux courageux qui parviennent à passer la frontière pour faire passer cette aide aux coordinations, même si, évidemment il est difficile de donner ainsi sans grande confiance.
Mais c'est une goutte d'eau…
- Je suis bien d'accord : c'est dérisoire ! C'est à la communauté internationale d'agir aujourd'hui. Mais face à l'absence de décisions, c'est notre seul moyen. C'est dire ! Certes, la décision de la Ligue arabe de suspendre la Syrie est une bonne décision car l'isolement du régime va nécessairement peser sur Assad. Il ne reste plus beaucoup de portes de sortie au dictateur : appliquer le plan de la Ligue arabe ou aller dans le mur c'est tout. Il n'y a plus d'issue. Mais c'est aussi pour cela qu'il continue toujours dans la même direction : la répression. Regardez qui est le chef de la quatrième division blindée qui mène la terreur : c'est son frère. Le régime joue la carte du temps depuis le début, espérant étouffer la révolte. Mais il n'y parviendra pas.
Photo (Abdel Raouf Darwich, président du «collectif du 15 mars) : D.R.
Source : le Nouvel Observateur