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Réponse : La Communauté juive d’Orléans est sensiblement la même, numériquement, que celle de Tours. Sans qu’il y ait vraiment de « sursaut », les personnes se sentent cependant et dans l’ensemble, concernées par les problèmes touchant au judaïsme en général et à Israël en particulier.
Question : En 1969, une terrible rumeur s’était développée à Orléans. Des commerçants Juifs avaient été accusés de favoriser le proxénétisme. Le sociologue Edgar Morin avait décrit cette rumeur malfaisante dans un ouvrage qui est devenu célèbre depuis, « La rumeur d’Orléans ». Parle-t-on aujourd’hui de cette rumeur et les Orléanais éprouvent-ils un sentiment de gêne ?
Réponse : « La rumeur d’Orléans » s’était propagée dans toute la région entre les 2 tours des présidentielles, en juin 1969. Une campagne de presse, des meetings et tables rondes, organisées à mon initiative, ont eu raison de cette rumeur antisémite. Il me semble cependant que l’étude d’Edgar Morin avait sous-estimé quelque peu le caractère antisémite de l’événement. Depuis, d’autres études ont été faites non seulement sur le phénomène de la rumeur proprement dite, mais aussi et surtout sur cette fâcheuse rumeur d’Orléans: je pense plus particulièrement à une fameuse émission de la série des « Dossiers de l’écran », qui avait été diffusée par Antenne 2 en 1975 ; je pense aussi au film de Pierre Müller et Luc Rozencweig dans les années 80, intitulé « Reportages » et enfin à un récent reportage diffusé sur TF1 en janvier 2004, « Elle court, elle court, la rumeur ».
Reste que les orléanais considèrent cet événement avec une certaine distance, et hormis les personnes pour qui « il n’y a pas de fumée sans feu », l’affaire a été comprise et classée.
Question : Vous travaillez beaucoup dans le domaine de la mémoire, en particulier dans le milieu enseignant. Que faîtes vous ? Quels sont vos contacts ?
Réponse : L’étude et la transmission de notre histoire étant fondamentale pour moi, je travaille autour de la question difficile de l’enseignement de la Shoah. Je le fais à la fois en tant que représentante du CRIF dans ma Région, et également comme membre de deux Institutions : Le CERCIL (Centre d’Etude et de Recherche sur la Déportation juive et les Camps du Loiret), et YAD LAYELED France, qui œuvre plus particulièrement dans toutes ces questions.
Je travaille donc avec les enseignants du primaire, du secondaire, avec les Instituts Universitaires de Formations des Maîtres, les Centres Nationaux de Documentation Pédagogique, ainsi qu’avec les témoins de cette période- survivants de la déportation, ex-enfants cachés etc- en m’appuyant sur l’expérience d’autres Institutions se consacrant au travail de mémoire, et sur les travaux des historiens. Nous organisons des colloques à Orléans et la Région, des séminaires (en Israël même), des conférences et tables rondes, des projections de films, des lectures spectacles, des publications d’ouvrages inédits. Par ailleurs, nous diffusons actuellement une Mallette pédagogique, « L’enfant et la Shoah », destinée aux élèves de CM2 et de Collèges. Par ailleurs, nous faisons circuler plusieurs expositions sur différents thèmes dans toute la France. Enfin, j’ajoute que plusieurs remises de Médailles des Justes parmi les Nations à des personnes qui ont sauvé des Juifs sous l’occupation ont eu lieu à Orléans. La dernière Cérémonie en date (le 31 mars 2004) s’est déroulée en présence de Madame Simone Veil qui a rencontré les élèves du Lycée de Beaune la Rolande, avec lesquels je travaille sur un projet « mémoire ». Elle a d’ailleurs témoigné pour eux de son expérience concentrationnaire. Le Député Maire d’Orléans et le Préfet de la Région Centre ont largement contribué à la réussite de cette Journée.
Question : Vous semble-t-il qu’il est plus difficile de parler de la Shoah en milieu scolaire aujourd’hui qu’il ne l’était ces dernières années ? Comment l’expliquez-vous ? Les enseignants appréhendent-ils de parler de ces questions ?
Réponse : Paradoxalement, alors que l’étude de la Shoah figure dans les questions à traiter (dans les Génocides au 20ème siècle)- depuis le Bulletin officiel de l’Education nationale de février 2002- dès le CM2, il est parfois difficile, voire impossible d’en parler, et ce, pour différentes raisons.
Tout d’abord, il faut remarquer qu’il n’y a pas de cursus universitaire sur la question de la Shoah proprement dite. Les Institutrices et Instituteurs soucieux de l’enseigner doivent recourir à des recherches personnelles, suivre des formations et bien sûr, les différents IUFM dispensent cet enseignement. De nombreux enseignants d’histoire s’intéressent à ce sujet. Leurs connaissances ont été forgées par différentes formations, l’écoute des témoins, les importants travaux d’historiens et la prise en compte des œuvres d’art autour de cette question (littérature, théâtre, filmographie, peinture, sculpture…)
Ceci étant, les enseignants qui traitent cette question sont confrontés à plusieurs difficultés : L’indifférence de quelques uns de leurs collègues et l’hostilité de certains élèves. Aujourd’hui, plus personne ne peut ignorer la violence qui règne dans certains établissements scolaires- comme en témoignent des enseignants dans « Les Territoires perdus de la République ». Les exemples sont multiples d’agressions verbales, d’insultes, quand le sujet de la Shoah est abordé dans certaines classes.
Des élèves non seulement remettent en cause cet enseignement, mais expriment un antisémitisme violent. Aussi, certains enseignants appréhendent de parler de cette question, pour les raisons évoquées plus haut. Souvent, ils prétextent le manque de temps (ce qui est réel parfois) pour aborder ce sujet.
Question : Vous me disiez que des enseignants politisent le conflit israélo-palestinien dans leur cours. Que se passe-t-il ?
Réponse : Malheureusement, il me semble qu’une certaine logique règne dans des milieux enseignants imprégnés par une culture « tiers-mondiste », marquée par la culpabilisation de l’occident par rapport à la colonisation. Des enseignants refusent de considérer que l’antisémitisme se développe dans les établissements scolaires ou que des « victimes » de la colonisation ou du racisme peuvent être antisémites. D’où un laxisme insupportable. Cette vision victimaire du monde peut entraîner une certaine « palestinophilie », une instrumentalisation du conflit israélo - palestinien qui ne sont pas sans faire des ravages chez des esprits fragiles. Même si ce phénomène n’a pas atteint, dans notre région, la gravité de ceux observés ailleurs, il n’en reste pas moins que j’ai pu constater, à plusieurs reprises, l’influence de cette culture « victimaire ».
Question : On dirait que vous craigniez l’époque présente. Estimez-vous qu’il est plus difficile d’être juif aujourd’hui que précédemment ?
Réponse : Il est indéniablement plus difficile d’être Juif en France aujourd’hui. La Shoah nous a assez longtemps « protégé » de l’antisémitisme, même si, à Orléans, nous avons du affronter la rumeur. Depuis quelques années la montée d’un nouvel antisémitisme, l’absence de réaction de la classe politique (jusqu’à il y a 2 ans), ont suscité un certain désarroi.
Question : Ce malaise vous le ressentez autour de vous ? Les Juifs d’Orléans sont inquiets ?
Réponse : Ce malaise est perceptible, tant dans les conversations privées que dans l’affluence du public lorsque diverses manifestations (conférences, débats, etc.) sont organisées par le CRIF. Ceci étant, les Juifs d’Orléans -comme d’autres- n’ont pas toujours la même opinion. Il n’en reste pas moins que quelques familles (des jeunes en général) ont choisi de faire leur Alya en Israël.
Question : Qu’aimeriez-vous dire pour terminer ?
Réponse : Je suis à la fois inquiète par la recrudescence de l’antisémitisme, par le laxisme qui règne, par le délitement des valeurs républicaines, et par la démonisation de l’Etat d’Israël qui se répand partout. Par contre, je constate une reprise en main. Les pouvoirs publics luttent contre l’antisémitisme. Quoiqu’il en soit, le mal est profond et j’espère qu’il n’est pas trop tard. Le discours de Jacques Chirac, au Chambon sur Lignon, est à ce titre réconfortant.
Propos recueillis par Marc Knobel