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Publié le 7 Février 2006

Evelyne Berdugo, présidente de la Coopération féminine : « Il est politiquement incorrect d’ignorer la problématique « femme », mais la place des femmes reste très faible dans de trop nombreuses instances ! »

Question : On parle beaucoup de la Coopération Féminine, sans vraiment la connaître. Quel est son parcours ?


Réponse : La Coopération Féminine a été fondée dans les années 1967-68 par des femmes désirant se rendre utiles à la communauté. Elle est née d’une idée originale : « former » des bénévoles au travail social réservé jusque-là aux professionnels et proposer aux institutions juives une « coopération » entre bénévoles et professionnels.
En même temps que le désir de participer au renforcement de l’identité juive, il s’agissait aussi pour ses fondatrices d’occuper la place qui leur revenait dans la société en tant que femmes. L’entrée massive des rapatriées d’Afrique du Nord, la résonance épidermique du conflit du Proche Orient, l’accroissement de la demande sociale, le besoin de marquer encore plus de l’attachement à Israël ont amené progressivement la Coopération Féminine à multiplier et à diversifier son action avec le souci constant d’une promotion des femmes au sein de la communauté dans un désir de solidarité, d’égalité, de justice.
Aujourd’hui, certaines des premières activités perdurent ou se renforcent telles que les actions en faveurs des personnes âgées dans les clubs, à domicile ou dans les centres de jour, le soutien scolaire, la collecte en faveur de l’Appel Unifié Juif de France, les visites aux détenus. D’autres actions innovantes, culturelles et/ou éducatives (théâtre, conférences…) répondent à des besoins. Certaines activités ont cessé comme l’aide aux juifs d’URSS ou la vente des oranges d’Israël. Les dernières activités ont été initiées par la Coopération Féminine, comme celles qui touchent au handicap avec la création d’un CAT (Centre d’Aide par le Travail) pour handicapés légers mentaux ainsi que l’organisation spécifique de loisirs et de vacances d’été. Enfin, un groupe de jeunes bénévoles, l’Elan, nous donne l’espoir que le goût du bénévolat pratiqué très tôt sera un réflexe permanent. Pour toutes ces activités, une formation permanente et de qualité prépare les responsables à un suivi performant.
En lui ouvrant la participation aux débats qui agitaient notre monde, les affiliations de la Coopération Féminine aux organisations internationales juives et aux associations de femmes de France lui ont permis, si j’ose dire, de doter à plein son credo. Les colloques, les sessions de formation politique, les représentation à l’ONU, à l’UNESCO, par le biais de l’ICJW (Conseil International des Femmes Juives) -dont la Coopération Féminine est l’affiliée pour la France-, sont autant d’occasions de s’informer, de donner aux femmes la parole et de se maintenir dans la modernité. Enfin, je dirai que la revue trimestrielle que nous éditons, reflète nos activités, nos préoccupations et l’esprit qui nous anime.
Question : Cette association est elle réservée aux seules femmes ?
Réponse : Créée, gérée et animée par des femmes juives, la Coopération Féminine a bien évidemment une approche, une sensibilité essentiellement féminine tant dans son regard sur le monde que dans la façon de traiter des problèmes affrontés. D’ailleurs et dans son appellation, l’adjectif « féminine » exprime cette sensibilité. Bien que la Coopération Féminine ne se définisse pas comme une association « féministe », le choix de ses combats relève souvent des droits de la femme et de l’enfant mais quand la Coopération s’engage pour la non violence et contre le racisme, ses arguments sont ceux des droits de l’homme en général.
Cela étant, aucune de ses activités n’est particulièrement féminine. Elles obéissent toutes à l’injonction du verbe « coopérer ». Les hommes qui le désirent peuvent nous rejoindre. C’est d’ailleurs le cas dans de nombreux domaines. Il reste à noter sur ce chapitre que la solitude pèse aussi bien chez les jeunes que chez les jeunes retraités. Vouloir se rencontrer dans la mixité est aujourd’hui un désir que l’on entend assez fréquemment.
Question : Et si je vous demandais de me dresser un portrait de la condition féminine en ce début de XXIe siècle, des luttes des femmes notamment, que me diriez vous ?
Réponse : Dans nos pays démocratiques et par rapport au siècle dernier, la condition féminine a évolué de façon considérable et à tous les nivaux. La majorité des femmes travaillent, remplissent leur rôle citoyen et décident quelle sera leur vie personnelle ou professionnelle.
Certaines questions sont acquises et reconnues par les lois de la République. La laïcité et la mixité ont été de durs combats chèrement payés. Le droit de vote, la contraception, la loi sur l’IVG, et d’autres mesures encore, ont été gagnées de haute lutte et grâce à elles, les femmes sont de plus en plus présentes dans la vie sociale, économique et politique. Les bastions réservés aux hommes tombent les uns après les autres. Aurons-nous en France une femme président ? Rien n’empêche de l’imaginer. Dans le même temps, les mentalités ont-elles évoluées de la même manière ?
Il est politiquement incorrect d’ignorer la problématique « femme » mais la place des femmes dans de trop nombreuses instances est très faible au regard de leur participation. Il faudra encore lutter pour l’égalité salariale ou pour la précarité de l’emploi qui atteint plus les femmes que les hommes mais aussi pour la liberté des jeunes filles et des femmes que le grand débat sur la laïcité menace et encore pour que les violences faites aux femmes soient punies.
Tous les combats ne sont pas derrière nous. Mais désormais, les plus jeunes femmes savent que pour faire progresser l’égalité, elles doivent se mobiliser et s’engager dans une démarche « normale » au même titre que pour n’importe quel investissement. Que dire de la lutte des femmes musulmanes en France pour s’émanciper ? Les pressions qu’elles subissent souvent ne doivent pas les empêcher de profiter des progrès que nous, nous avons obtenus. Il est remarquable que ces combats puissent être menés. La grande victoire des femmes est d’avoir obtenu le droit de s’exprimer et de se battre pour leurs idées.
Question : Parlez moi des femmes juives. Que sont elles ? Que vivent elles Que subissent elles ?
Réponse : C’est bien là une question masculine. C’est aussi une question difficile à partir du moment où vous semblez penser que la femme juive est différente des autres femmes.
Telle que je crois la connaître, la femme juive est respectueuse mais reste lucide. Elle est courageuse parfois jusqu’à l’audace, elle est naturellement dévouée. Son aversion envers l’injustice peut lui faire soulever des montagnes. Parce qu’elle est mère, souvent, elle porte en elle l’espoir et le souci du bonheur de tous ceux qui l’entourent. Toutefois la femme juive modeste au demeurant ne se résigne pas à subir l’effacement auquel la soumettent encore les lois talmudiques.
Le statut de la femme juive depuis la Bible comporte trois chapitres : l’époque biblique, l’ère talmudique et l’époque moderne avec les idées de la Haskala. Au travers des différentes figures décrites dans la Bible, le statut de la femme était positif et valorisant. Tout indique qu’elle avait toujours été considérée et qu’elle pouvait jouir d’une certaine liberté d’action et d’opinion. Avec l’arrivée des lois talmudiques, sa vie change et elle est alors soumise à un régime de tutelle que codifient des interdits de plus en plus nombreux : il est plus juste de parler alors de condition féminine.
Il a fallu attendre la 19e siècle pour que, avec la naissance des premières organisations féminines, les femmes éprouvent le besoin de mettre en œuvre leurs propres stratégies pour entrer à nouveau dans la vie publique grâce à l’éducation et au droit d’expression .tout en prenant garde de ne pas remettre en cause le rôle que la tradition juive leur attribuait. En se libérant des préjugés, les femmes ont retrouvé en elles la confiance et l’assurance qu’un statut paralysant leur avait fait perdre. Elles ont accédé à une vie professionnelle tout en continuant à assurer leur rôle traditionnel au sein de leur famille.
Restent des batailles douloureuses à mener face à une halacha (loi juive) intransigeante :
La femme juive est confrontée au problème du guet (ou obtention du divorce religieux accordé uniquement par le mari). En cas de divorce conflictuel ou de la disparition de l’époux (qu’il soit parti sans laisser d’adresse ou, en cas de guerre, qu’il ait été tué sans que l’on retrouve son corps), la femme juive est alors « abandonnée » à son sort sans que les tribunaux rabbiniques puissent lui venir en aide. Comment rester insensible à des situations aussi contraignantes d’autant qu’elles entraînent la plupart du temps des injustices de tous ordres?
Sur le plan des pratiques religieuses, et même si la plupart des femmes juives pratiquantes tolèrent la séparation physique entre hommes et femmes dans l’enceinte du lieu de culte, il leur est pénible d’accepter que dans leur prière du matin, les hommes remercient D « de ne pas les avoir fait femme ». Face à ce genre de problèmes, la femme juive (avec l’aide de rabbins ou de juges de plus en plus nombreux d’ailleurs) tente de trouver des dérivatifs. Pour finir, il faut noter que la France est le pays le plus en retard dans ce domaine par rapport aux pays d’Europe, d’Outre -Atlantique et même en Israël.
Question : La Coopération féminine fonde son action sur le bénévolat mais le bénévolat subit une profonde mutation. Comment faites-vous pour faire face ?
Réponse : Le bénévolat est si gratifiant que chacun devrait s’y consacrer au moins une fois dans sa vie. Parce qu’il s’applique à l’autre, sa valeur est double : celle de se dépasser soi même et celle de marquer, en tous cas, de son respect à autrui.
Effectivement, le bénévolat est à mon avis en pleine mutation pour plusieurs raisons :
- Suite à l’implosion des cadres traditionnels, il apparaît comme une nouvelle façon d’articuler l’individuel et le collectif.
- Il est un moyen d’occuper le nouveau temps libéré par l’augmentation de l’espérance de vie et la baisse de l’age de la retraite
- La concurrence due à la multiplication des associations provoquent des phénomènes importants : des bénévoles de plus en plus exigeants, cherchent dans cette activité une satisfaction personnelle plus individualiste qu’autrefois.
- Dernière remarque, la très forte professionnalisation exigée des bénévoles.
L’inexorable évolution du bénévolat demandera un certain temps qu’il faudra mettre à profit pour multiplier réflexions et observations afin d’aboutir, peut être à des formules nouvelles, heureuses. En faveur d’un bénévolat toujours indispensable, la peur de la solitude, le besoin d’être ensemble pour s’exprimer, la satisfaction pour le public de se trouver dans un milieu social ouvert à dominante juive ou l’identité partagé est vécue comme un environnement protecteur nous autorise à penser que la Coopération féminine a encore de beaux jours devant elle.
Question : Quelles sont vos priorités actuelles et futures ?
Réponse : Notre priorité constante est de maintenir et d’améliorer les performances atteintes, de préparer les relèves compétentes, efficaces nécessaires à préserver l’héritage reçu et à le faire fructifier. Dans la grande tradition de la Coopération féminine, en partenariat avec la WIZO ainsi que les principales institutions juives, nous nous préoccupons actuellement du problème des violences domestiques dans nos milieux. A cet égard, il faut savoir que notre communauté n’échappe pas aux phénomènes sociaux nationaux qui l’assaillent elle aussi (délinquance, sida, prostitution, chômage etc.) C’est un grand chantier courageux qui nous engage tout d’abord à faire lever un tabou, ensuite à trouver des solutions et des moyens pour enrayer des déviances du rapport homme-femme, véritable fléau mondial et enfin, prévenir les conflits avant que n’arrivent les crises profondes.
Question : Qu’espérez vous pour le Proche Orient ?
Réponse : Je répondrai à cette question en mon nom personnel ; en effet en ce qui concerne la position de la Coopération féminine il faudrait une consultation générale, pour respecter notre pluralisme. Cependant si je dégage de la philosophie de la Coopération féminine la tradition de tolérance qu’elle a toujours prônée, son engagement contre toutes les formes de violence et en faveur de la paix, je souhaiterais qu’une sécurité définitive apaise cette partie du monde accompagnée, si possible, d’une paix juste et durable. Pour la Coopération féminine la dignité de l’autre est fondamentale. J’espère qu’en instaurant un climat fait de respect mutuel, conjugué à une amélioration substantielle des conditions de vie pour toutes les parties, le dialogue, l’apaisement, le compromis seront suffisants pour que terrorisme, fanatisme et intégrisme reculent définitivement.
Au regard de l’Histoire, des philosophies, des religions, des intérêts politiques propres à chaque peuple, la solution la plus sage me paraît être la co-existence de deux états cote à cote chacun reconnaissant la légitimité de l’autre.
Question : Votre vœu le plus cher ?
Réponse : Comme toutes les mères du monde, que mes enfants et petits enfants ne connaissent pas la guerre. La fin de l’antisémitisme et plus généralement la tolérance envers autrui.
Propos recueillis par Marc Knobel