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Publié le 1 Avril 2008

Gérard Unger, membre de l’exécutif du CRIF : «La loi de 1905 sur la laïcité est l’un des socles de la République»

Question : Vous êtes un militant de longue date. Vous êtes également membre du bureau exécutif du CRIF. Pourriez-vous nous expliquer quel a été votre parcours militant et quelles ont été vos motivations ?


Gérard Unger : Mon parcours militant a commencé en 1975, lorsque j’ai été contacté par Avi Primor, à l’époque chargé des relations presse à l’Ambassade d’Israël. Il m’a alors demandé de travailler sur l’image d’Israël et chacun sait que depuis longtemps ce problème est récurrent, puisque chaque gouvernement israélien oublie en ce domaine ce qu’a fait le précédent et demande à refaire la même chose, toujours sans moyens financiers… C’est à cette période que j’ai rencontré Henri Hajdenberg, que nous avons sympathisé et que j’ai milité au sein du Renouveau juif. Cet engagement est la suite des nombreux voyages que j’ai effectué en Israël depuis 1962, sous l’égide à l’époque de la Fédération sioniste de France. Ma famille a toujours été proche de la mouvance sioniste et mon grand-père a participé au financement en 1948 d’un petit « coucou » offert par la communauté juive de France au jeune Etat d‘Israël en lutte pour son indépendance.
Question : Qu’est ce que le CRIF selon vous ?
GU : Je connais le CRIF de l’intérieur depuis une douzaine d’années. Henri Hajdenberg m’a pris comme conseiller et j’ai donc pu assister depuis dix ans environ aux réunions du Bureau exécutif. J’ai été élu au Comité directeur puis au Bureau en 2001, puis réélu en 2003. Pour moi, les choses sont simples : le CRIF est l’organe représentatif de l’ensemble de la communauté juive sur le plan politique, tandis que le Fonds Social Juif Unifié s’occupe des activités socioculturelles et le Consistoire des aspects religieux pour les Juifs d’obédience orthodoxe. Je regrette que le Consistoire, la plus ancienne organisation juive en France, soit absente du CRIF, depuis plusieurs années.
Question : Depuis une dizaine d’années, la communauté juive a évolué ou changé. Que ressentez-vous ? Comment percevez-vous ces changements structurels ? Comment les comprenez-vous ?
GU : Il est évident que depuis près de dix ans, on assiste à un relatif repli de la communauté sur elle-même. Cette situation ne concerne pas tous les Juifs, mais elle est néanmoins réelle. Elle s’explique par des phénomènes extérieurs tels qu’un affaiblissement du rôle de l’Etat, ce qui favorise un individualisme souvent frustrant et insuffisant, et explique la recherche d’une identité plus marquée. En ce qui concerne la communauté juive, le phénomène le plus important est cependant la montée d’un antisémitisme d’un nouveau genre en banlieue, au moment de la seconde Intifada (fin de l’année 2000), mal compris et mal mesuré à l’époque par les pouvoirs publics. La vie quotidienne des Juifs habitants la périphérie des grandes villes en a été durablement affectée et cela a provoqué inévitablement des replis identitaires. On peut regretter cet état de fait qui n’est pas général mais qui existe cependant.
Question : Vous êtes proche de Laurent Fabius. Quoiqu’il soit quasiment impossible de déterminer s’il y a un vote juif, plusieurs observateurs évoquent l’éventualité d’une droitisation de cette communauté. Qu’en pensez-vous ? Et si -selon vous- tel est le cas, comment expliquez vous qu’une partie des Juifs de France se soit éventuellement détournée de la gauche démocratique ?
GU : Laurent Fabius est un ami personnel de longue date mais il n’est pas le seul ; j’en compte beaucoup d’autres, que ce soit dans la mouvance socialiste ou ailleurs. Je crois que depuis la seconde Intifada et ses conséquences en France, beaucoup de Juifs se sont détournés électoralement de la gauche, d’autant que l’actuel président de la République a su les séduire. Peut-on cependant parler d’une droitisation de la communauté juive ? Il y a certes un embourgeoisement des Juifs de France sur la longue durée qui explique un vote plus à droite, mais je crois que les Juifs comme les autres citoyens français adoptent un comportement politique de plus en plus « consumériste » et de moins en moins idéologique : on vote tantôt pour un candidat de gauche, tantôt pour un candidat de droite et on peut voter dans un sens aux élections locales et dans un autre dans un scrutin national. Il y a pour moi une volatilité accrue du vote, et cela concerne tous les Français.
Question : Comment la gauche pourrait-elle retrouver les Juifs de France ?
GU : La gauche n’a jamais perdu l’ensemble des voix juives et aux dernières élections présidentielles, je pense que Ségolène Royal a obtenu un score très honorable auprès des électeurs juifs. Beaucoup d’élus de gauche connaissent bien les préoccupations des électeurs juifs, aussi bien celles qui concernent leur vie quotidienne en France que leur attachement à Israël. A titre d’exemple, François Hollande et Bertrand Delanoë sont largement de ceux- là. Les responsables politiques (qu’ils soient de droite ou de gauche d’ailleurs) élus dans des régions où les Juifs ne sont pas nombreux n’ont pas toujours cette connaissance et il importe que les dirigeants de la communauté leur fassent connaître le point de vue des juifs de France et leurs préoccupations.
Question : Quel est votre regard sur le conflit israélo palestinien ?
GU : Il y a pour moi deux légitimités égales qui s’affrontent. Même Jabotinski ne disait pas autre chose mais il considérait qu’il fallait établir des « murailles de fer », entre Israël et les Arabes, parce que, selon lui, ceux-ci ne reconnaîtraient jamais Israël. Cette vision pessimiste n’est pas la mienne, même si j’ai toujours considéré qu’il fallait ne jamais baisser la garde en matière de sécurité. Je crois que la seule solution possible passe par un compromis probablement proche de celui élaboré à Taba (fin 2000), car sinon ce conflit risque de s’éterniser avec les conséquences humaines et morales dramatiques qu’il pourrait encore engendrer.
Question : Etes-vous pour la création d’un Etat palestinien ?
GU : Ma réponse est clairement oui. Je ne crois pas que sans la création d’un Etat palestinien viable, reconnaissant Israël et ses besoins de sécurité, la paix puisse survenir durablement dans la région.
Question : Quel est votre conception du judaïsme ?
GU : Ma conception du judaïsme est culturelle. Je suis né et j’ai vécu dans un milieu yiddischisant plutôt laïque et le yiddish est ma langue maternelle presque autant que le français. Bien entendu, je sais très bien que cette conception n’est pas et ne peut être celle de tous les Juifs : il y a autant de visions du judaïsme qu’il y a de Juifs, sinon plus, et quant à moi je me soigne : ma femme est d’Alger et a une vision plus traditionnelle et familiale que la mienne …
Question Et de la laïcité ?
GU : J’ai fait paraître il y a deux ans chez Fayard une biographie d’Aristide Briand ; c’est donc dire que je suis très attaché à la Loi de 1905, que je considère comme un des socles de la République. Nous avons vécu depuis un siècle sur cette conception de la laïcité et je crois que l’ensemble des Juifs s’en est fort bien porté. Toute remise en cause des principes qui ont guidé cette loi, me paraît pernicieuse et risque de déstabiliser le pacte républicain qui unit tous les Français au-delà de nos différences.
Propos recueillis par Marc Knobel