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Publié le 15 Mars 2006

Henry Battner, président de l’Union des Sociétés Juives de France : « Le peuple juif, qui a survécu à tant de malheurs, s’en sortira encore. »

Question : Pourriez-vous nous raconter comment fut fondée l’Union des Sociétés Juives de France (Union : Farband) et quelle est son histoire ?


Réponse : Notre histoire est un peu compliquée. D’abord, la création de la Fédération des Sociétés Juives de France (FSJF) remonte à l’année 1936. Au début de l’année1937, s’est tenu un premier congrès réunissant « l’Arbeiter Orden » (« l’ordre ouvrier »), une association qui regroupait à l’époque plus de 80 sociétés et une quarantaine d’autres sociétés indépendantes. Mais, la Fédération des Sociétés Juives de France refusa d’intégrer « l’Arbeiter Orden ». Néanmoins, la FSJF accepta que chacune des sociétés puissent adhérer individuellement soit à la FSJF, soit à l’Arbeiter Orden. Finalement, 34 sociétés rejoignirent la FSJF et les 77 autres sociétés optèrent pour la création d’une entité plus laïque, plus « ouvrièriste. » Le 8 juillet 1938, l’Union des Sociétés Juives de France (USJF) fut créée (« Farband foun die Yiddché Geseltschaften in Frankrâich », en Yiddish). L’Union des Sociétés Juives de France eut pour objet d’aider nos coreligionnaires, mais aussi de défendre le prolétariat Juif.
En 1938, des Juifs polonais furent expulsés d’Allemagne et furent bloqués à la frontière, après la fameuse Nuit de Cristal, le 9 novembre 1938 (1). L’USJF collecta de l’argent (100.000 francs de l’époque) et des vêtements. A Paris, l’Union ouvrit alors deux cantines populaires qui distribuèrent 1500 repas par jour à des réfugiés d’Allemagne et d’Autriche. J’insiste sur le fait que ce sont de petits commerçants, des artisans et des ouvriers (Yiddish) qui ont aidé les réfugiés dans le besoin.
Le 19 mars 1939, se tient le troisième congrès du Farband. Nos délégués étaient inquiets et divisés. L’Allemagne nazie se préparait à la guerre. A la tribune, le peintre Marc Chagall témoigna de cette inquiétude : « Commençons par travailler ensemble, sans exclusive. Peut être les Juifs prendront-ils l’habitude de se mettre d’accord sur les problèmes vitaux qui les concernent. » Le Farband, bien qu’ayant une direction à majorité communiste, s’opposa au pacte germano-soviétique (2). Pendant la guerre, les membres du Farband entrèrent dans la résistance juive, à travers la Main d’œuvre Immigrée (MOI) (2), l’Organisation Juive de Combat (OJC) (3) et les Forces Françaises de l’Intérieur (FFI). Les membres du Farband participèrent également à la création du CRIF (4) avec d’autres organisations.
Dans l’immédiat après-guerre le compagnonnage avec l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide (UJRE) (voir la note 3) se poursuit avec la prise d’un local commun et des activités communes (maisons d’enfants, dispensaires…). Mais les militants du Farband et de l’UJRE se s’opposèrent lorsqu’il fut question de la politique totalitaire qui était menée en Union Soviétique. En 1967, lors de la guerre des Six jours, la rupture fut définitive entre nos militants (ceux du Farband) qui soutenaient Israël et les militants de l’UJRE. Le Farband ne se retrouva qu’avec 28 sociétés, qui avec le temps se réduisirent à 24. Aujourd’hui, grâce à une équipe rajeunie, nous réunissons 39 sociétés mutualistes et/ou associations de loi 1901.
Question : Quelle est l’actualité du Farband aujourd’hui ? Que faites-vous ?
Réponse : Nos activités sont très nombreuses. Je veux notamment citer une commémoration que nous organisons : « Yiskor.» Cette cérémonie annuelle (qui se tient généralement entre Roch Hachana et Kippour) regroupe de 700 à 800 personnes, en mémoire des victimes de la Shoah et de ceux qui ont combattu le nazisme. Nous nous souvenons également des combattants tombés pour Israël. Lors de l’une de ces cérémonies, je rappelai cette évidence : « le peuple juif, qui a survécu à tant de malheurs, s’en sortira encore ».
Je voudrais également parler de l’association qui a été initiée par le regretté Norbert Dana, ancien directeur adjoint du Fonds Social Juif Unifié. « Sauvegarde et mémoire - Norbert Dana » (c’est le nom de cette association), prend en charge dans les cimetières les caveaux associatifs en déshérence. Elle remplace ainsi les associations qui ne peuvent plus se charger de cette tâche, faute d’adhérents. Nous avons également un cercle « culture Yiddish », qui se réunit les après-midi, à notre siège dans le 10ème arrondissement de Paris. Ce cercle organise des conférences, les grandes fêtes juives et le Yom Hatsmaout (la commémoration de déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël). Dans notre cercle « culture et judaïsme », nous organisons d’autres conférences. Nous avons reçu en janvier 2006, l’historienne Françoise Milewski et Haim Musicant, le directeur général du CRIF (janvier 2006). Par ailleurs, je rappellerai que depuis 20 ans nous accordons le Prix Ydel Korman « pour la défense de la culture Yiddish ». En 2005, le prix a été attribué à Smouel Lichtenstein, imprimeur et éditeur d’ouvrages Yiddish et à Jacques Grober, poète, musicien et chanteur Yiddish.
Question : Quelles sont vos perspectives d’avenir ?
Réponse : Nous aimerions devenir un lieu de rencontre intergénérationnel. Nous ambitionnons aussi d’aller chercher les personnes isolées ou à mobilité réduite pour les faire participer à nos activités. Il va de soi, que nous voulons aussi développer nos activités régulières et habituelles.
Question : Votre vœu le plus cher ?
Réponse : La paix pour Israël. Voilà ce que nous souhaitons et pour la diaspora, l’unité et la prospérité. Enfin et pour notre mouvement, nous invitons le maximum de gens à nous rejoindre. L’Union des Sociétés Juives de France ouvre ses portes, joignez-vous à nous.
Propos recueillis par Marc Knobel
Notes :
1. Le 7 novembre 1938, un jeune Juif de 17 ans, Herschel Grynszpan, attend à la porte de l'ambassade d'Allemagne à Paris avec un revolver. Ses parents ont été persécutés en Allemagne. Il veut les venger et tire sur un conseiller de l'ambassade nazie, Von Rath. C'était l'occasion qu'attendaient les nazis pour mener une opération de grande envergure contre les Juifs. A la demande d'Hitler, c'est Goebbels qui pousse les dirigeants du Parti Nazi et les S.A. à attaquer les Juifs. Heydrich organise les violences qui doivent viser les magasins juifs et les lieux de culte juifs. La Nuit de Cristal est aussi la première vague d'arrestations. 20.000 à 30.000 Juifs sont arrêtés et déportés dans les camps de concentration existants (Dachau, Sachsenhausen...). 91 personnes trouvent la mort au cours de la nuit de violences. En Autriche, la Nuit de Cristal est particulièrement violente. 6500 Juifs sont arrêtés par la Gestapo et 3000 déportés à Dachau.
2. Le 23 août 1939, le monde apprend avec stupéfaction la signature au Kremlin, à Moscou, d'un pacte germano-soviétique. Connu aussi sous le nom de pacte Ribbentrop-Molotov (du nom des deux ministres des Affaires étrangères d’Allemagne et de l’Union soviétique qui ont négocié l'accord), il était constitué de deux parties : un accord économique, signé le 19 août 1939 qui prévoyait que l'Allemagne échangerait des biens manufacturés contre des matières premières soviétiques, et un pacte de non-agression d'une durée de 10 ans, signé le 23 août 1939, dans lequel l'Allemagne nazie et l’URSS se promirent de ne pas s'attaquer mutuellement. Le pacte germano-soviétique permit à l’Allemagne d’attaquer la Pologne le 1er septembre 1939 sans crainte d’une intervention soviétique.
3. La M.O.I (Main d'Oeuvre Immigrée) est le secteur du Parti Communiste qui regroupe les résistants d'origine étrangère. Ce sont ceux de l'Affiche Rouge. Elle comporte une sous-section juive très active. Elle fait paraître un journal clandestin en yiddish (langue parlée par les Juifs de Pologne et de Russie) : "Unzert Wort" (Notre parole). A partir de juin 1941 (attaque de Hitler contre l'URSS), elle se lance dans l'action armée, en plein Paris. Elle aura de sérieuses pertes et son réseau principal sera démantelé en 1943. Les héros de l'Affiche Rouge seront exécutés au printemps 1944. La direction nationale de la section juive quitte alors Paris pour Lyon. Pour reconstituer le mouvement, une organisation plus large est créée : l'U.J.R.E. (Union des Juifs pour le Résistance et l'Entraide) qui publie un journal clandestin, Droit et Liberté. En 1944, les militants restants de la MOI (surtout de la banlieue) se constituent en groupes militaires de la FTP-MOI (Francs Tireurs et Partisans) et participent aux combats de la Libération de Paris.
4. L'O.J.C (Organisation Juive de Combat) est formée à Toulouse en 1941. Ses cadres viennent des Jeunesses Sionistes et des Eclaireurs Israélites de France. Elle fabrique de faux papiers, puis passe à l'action militaire. Son réseau s'étend progressivement à toute la zone Sud. Une section de sauvetage tente de sauver les enfants en les cachant sous de fausses identités ou en les faisant passer en Suisse. Au début de 1943, le premier groupe de maquisards juifs s'organise. En novembre 1943, un groupe de jeunes Juifs monte au maquis du Roc (Près de Saint-Jean-de-Jeaume). Un maquis juif est créé en janvier 1944 dans le Tarn (maquis du Bic). Deux autres maquis sont organisés dan la Montagne Noire, mais ils dépendent de l'A.S. (Armée Secrète). Ces maquis sont très actifs et pratiquent sabotages et embuscades. A l'annonce du débarquement, leurs activités redoublent. On raconte qu'après l'explosion d'un train, le maquis fait des prisonniers allemands. Au moment où ces derniers passent, chacun des résistants leur dit « Ich bin Jude » (Je suis Juif).
5. La naissance du CRIF se situe au cœur même de la Shoah, alors que l'occupant nazi et les forces de la collaboration française, le gouvernement de Vichy, s'acharnaient contre une communauté juive meurtrie. De nombreuses organisations politiques et culturelles, des institutions cultuelles et sociales fonctionnent avant-guerre, dont le Consistoire central des israélites de France et d'Algérie, l'Alliance Israélite Universelle, la Fédération des Sociétés juives de France, l'ORT, l'OSE, les Eclaireurs israélites de France. Il y avait des groupements communisants, des formations sionistes, bundistes, une association d'étudiants juifs, des mouvements de jeunesse haloutziques, des cercles religieux et laïcs. Les rafles commencent à sévir dans la communauté en zones nord et sud dès 1941-1942. Les premiers visés sont les juifs étrangers. Les organisations juives mettent en place des opérations de sauvetage : se procurer des faux papiers, des moyens de subsistance, cacher les enfants. En juillet 1943, des négociations permettent de créer le Comité Général de Défense juive. Enfin, un accord conclu avec le Consistoire central aboutit à la création clandestine du CRIF dont la charte est définitivement élaborée en 1944. Sa première tâche est d'unifier les actions de sauvetage. Le CRIF est la seule représentation politique de la communauté organisée ; il représente l'unité de la communauté. Son premier président est Léon Meiss. Il faut rendre hommage à d'autres grands noms qui ont contribué à la naissance du CRIF : Léo Glasser, Joseph Fisher, Nahum Herman, Zvi Levin, Michel Topiol, Joseph Frydman, F. Schrager, Henri Adam, Claude Kelman et Adam Rayski, seul membre fondateur encore en vie.