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Publié le 20 Mai 2009

Jacques Jacubert, président du B’nai Brith France: mon bilan

Jacques Jacubert, vous aviez été élu président du Bnai Brith France en 2007.
Votre successeur - Ils sont deux à briguer votre place - sera élu le 14 juin prochain.
Vous avez donc décidé de ne pas vous représenter. Deux ans, n’est-ce pas trop court pour obtenir des résultats tangibles ?




Le B’nai B’rith est depuis 166 ans au service de la communauté juive et de la défense des droits de l’homme, bien avant la Croix-Rouge, le Rotary, etc…Chacun de ses membres dans le monde est resté fidèle à l’enseignement du préambule inchangé de sa constitution de 1843, « le B’nai B’rith a pris en charge la mission d’unir les juifs dans la réalisation de leurs plus hauts intérêts et ceux de l’humanité ». Les différentes présidences du B’nai B’rith en France ont toutes œuvré en ce sens avec leur propre personnalité mais avec le souci de représenter l’ensemble de leurs Loges, de leurs membres et de leurs aspirations.
Il est vrai que j’aurai souhaité effectuer les 3ans que mon bureau a fait adopter par les loges pendant ces 2 ans mais en me représentant, j’aurai, si j’avais été élu, effectué 5 ans et imposé à mes successeurs de ne faire que 3 ans non renouvelables, ce qui me paraît contraire à la démocratie et à la déontologie.
Ceci dit, j’ai eu la chance d’être Secrétaire Général avant ce mandat et je serai le mentor, donc le conseiller de mon successeur. Quant aux résultats tangibles de mon bureau que j’ai eu l’honneur et le plaisir de présider, je vous laisse libre de juger.

Quel héritage allez-vous léguer à votre successeur ?

Six grands axes :
1) Une visibilité accrue du B’nai B’rith France vis-à-vis de l’extérieur, des associations juives et non juives (chrétiennes, musulmanes, laïques, etc.) grâce à une présence et des relations permanentes, sérieuses et constantes.
2) Le rapprochement constructif avec les autres instances internationales du B’nai B’rith, en Israël, en Europe et à Washington grâce à des actions communes de terrain (Durban, l’Université Ben Gourion, la Galilée, les actions culturelles et politiques).
3) Une présence accrue dans les médias, dans la rue (notre manifestation à Paris contre les propos du négationniste Williamson a fait le tour du monde médiatique) et des rencontres permanentes avec les représentants locaux, régionaux et nationaux de la République.
4) La visite quasi systématique et historique de l’ensemble des Loges de France que je représente à l’extérieur et le soutien financier des projets nationaux initiés par les Loges.
5) La formation professionnalisée de nos membres.
6) Un périodique Ménorah de qualité.

Quels sont, selon vous, les grands moments qui ont marqué votre présidence ?

1) Le cinquième Prix des Droits de l’Homme remis à trois personnalités exceptionnelles, Alain Morvan, Philippe Val et François Zimeray dans les salons de l’Hôtel de Ville de Paris en présence du président du B’nai B’rith International, des dirigeants des plus grandes associations juives et non juives ainsi que par les représentants de la République.
2) Les grands rendez-vous de notre association (convention avec Alain Finkielkraut, le plus grand salon communautaire du livre, les prix de la peinture, de la musique comme les grands débats sur la laïcité, l’éthique, le cinéma israélien, la résistance juive, l’information/désinformation dans les médias, etc.).
3) La fabrication et la diffusion au monde politique (maires, députés, sénateurs, etc.) et en librairie d’un livre de référence contre l’antisémitisme intitulé « Contre Israël, De l’amour de la Palestine à la haine des Juifs »,
ainsi que la diffusion également aux élus de notre pays d’un document montrant l’histoire et les enjeux de Durban 2001 et de Genève 2009.
4) La négociation avec le B’nai B’rith Europe d’une plus grande autonomie financière, ainsi que la création d’un Fondation abritée par la Fondation du Judaïsme Français.
5) Mais enfin et surtout, les rencontres et les échanges journaliers avec les militants de base de notre association qui travaillent avares ni de leur temps, ni de leur argent à essayer de « changer le monde » pour le rendre plus chaleureux et responsable.

Et vos échecs ?

1) n’avoir pas pu mettre en place un système moderne et fiable de communications horizontale et verticale entre les Loges, leurs membres, les régions et le national
2) n’avoir pas pu conclure la mise en place dans le Nord d’une opération pilote originale de fabrication d’outils pédagogiques avec l’Education nationale contre le racisme et les discriminations.
Ces 2 projets me tenant très à cœur, je souhaite convaincre mon successeur de leur mise en pratique.

Quelle est votre analyse de l’avenir des juifs en France ? Optimiste ou pessimiste ?

Optimiste : par la qualité des idées et la capacité innovatrice de nos coreligionnaires.

Pessimiste : par la répétition devenue quotidienne d’actes antisémites qui vont du simple cliché verbal aux agressions violentes (nous exprimons notre solidarité à Ruth Halimi et à sa famille face à la solitude d’un procès en huis clos) et le sentiment que les pouvoirs publics n’ont pas réellement mesuré les conséquences du sentiment d’abandon d’une partie importante de la communauté juive mais également les risques sur la cohésion de toute la communauté nationale.

Je reste persuadé comme d’autres dirigeants juifs de l’urgente nécessité de rassembler les forces vives de tous les juifs de France afin de réfléchir ensemble et de préparer l’avenir de nos enfants et petits-enfants grâce à des Assises nationales et un véritable plan d’action.

Quelle est votre évaluation des relations entre le BBF et le CRIF ?

Le B’nai B’rith France est fier d’être membre du CRIF et participe activement à son fonctionnement grâce à la participation de plusieurs de ses membres expérimentés au Comité Directeur et à l’ensemble de ses commissions. Je suis moi-même très actif au sein de la commission Durban avec David Lévy-Bentolila et Yves Kamami.
Les présidents successifs du B’nai B’rith France ont toujours eu des relations cordiales avec les présidents successifs du CRIF et j’ai développé une relation plus qu’amicale avec Richard Prasquier.

Mais le B’nai B’rith France est membre d’une association mondiale, le B’nai B’rith International, ONG non seulement représentée dans tous les organismes internationaux mais aussi la seule ayant un bureau permanent avec des diplomates expérimentés à l’ONU.
J’ai donc exprimé à Richard Prasquier le souhait de rediscuter la place du B’nai B’rith France au sein du CRIF.

Votre organisation a longtemps été perçue comme une organisation franc-maçonne. Qu’en pensez-vous ? Est-ce que cette image vous colle encore à la peau ?

Le B’nai B’rith a été créé à New-York le 21 octobre 1843 par 12 juifs francs-maçons qui se retrouvaient autour du même rêve, réunir les Juifs dans une organisation où toutes les opinions pourraient s’exprimer librement.
Ils ont donc adopté la forme de la maçonnerie :
Se réunir en loges et utiliser certains termes du langage maçonnique (loge, frères, planche) mais avec un rituel juif simplifié autour de sa devise : « Bienfaisance, Amour fraternel, Harmonie ».
Le B’nai B’rith n’est en aucun cas une société initiatique et ésotérique et n’est pas considéré par les obédiences maçonniques comme une franc-maçonnerie.
Je ne sais pas si cette image nous colle à notre peau mais nous sommes la seule association juive de militants qui rassemble tous les juifs quelles que soient leurs conditions sociales et leurs convictions religieuses et politiques.

Considérez-vous que le Bnai Brith est avant tout un espace de réflexion ou plutôt un lieu d’action ?

Le B’nai B’rith se veut à la fois être un laboratoire d’idées (rappelons que c’est dans une Loge viennoise que Sigmund Freud a pu exprimer sa théorie librement pour la première fois) mais aussi l’initiateur d’actions politiques, culturelles, sociales et humanitaires (le membre du B’nai B’rith américain Eddie Jacobson fut chargé et réussit à convaincre son ami le président Truman de voter le 15 mai 1948 en faveur de la création de l’Etat d’Israël alors que Truman avait publiquement annoncé son hostilité à ce projet).

Un conseil pour votre successeur ?

Rester authentique, à l’écoute et se soucier des autres, ne pas se prendre au sérieux et garder son sens de l’humour : il en aura besoin.

Je voudrais enfin remercier les membres de mon bureau et mon épouse pour leur patience à mon égard et je souhaite encourager chacune et chacun à prendre un jour des responsabilités dans l’association juive de leur choix.


Photo (Jacques Jacubert) : D.R