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Publié le 19 Septembre 2011

Konstanty Gebert, journaliste et reporter du quotidien polonais Gazeta Wyborcza: la Pologne et le conflit-israélo-palestinien.

1) Dans une interview à l’hebdomadaire polonais « Politika », Sygmunt Bauman, sociologue et grand philosophe juif a déclaré qu’Israël ne veut pas de la paix et qu’il instrumentalise la Shoah. Il a en outre comparé le mur de séparation de la Cisjordanie aux murs du Ghetto de Varsovie. Comment expliquez-vous que Sygmunt Bauman, que vous connaissez par ailleurs, se soit ainsi lâché ? Et, quelle a été votre réaction à la publication de cette article ?




Dans une interview pour l’influent hebdomadaire polonais « Polityka » (centre-gauche, numéro du 16 aout 2011), le grand sociologue Zygmunt Bauman s’en prit en effet durement a la politique israélienne à l’encontre des Palestiniens. « Les gouvernants israéliens, déclara-t-il, ne sont pas les seuls auxquels il faut en vouloir pour ce triomphe posthume d’Hitler [qu’est] d’avoir tiré de l’Holocauste la leçon que celui qui triomphe frappe le premier. Mais quand c’est Israël qui le fait, et se considère l’héritier des destinées juives, ce fait choque d’autant plus ». L’amalgame est bien voulu : parlant de la barrière de séparation, Bauman fait une comparaison avec le ghetto de Varsovie. A la question de savoir s’il trouve des justifications, quelles qu’elles soient, de la politique qu’il critique, le grand sociologue répond : « Non, je ne sais où les chercher. Mais je n’essaie pas. Je crois que les chercher est inutile, car l’homme ne peut justifier l’ « inhumain » sans perdre sa propre humanité ». Toutefois, il n’hésite pas à prétendre que les dirigeants israéliens « ne désirent en rien la fin du terrorisme palestinien. Les roquettes qui tombent sur les localités frontalières israéliennes ne sont pas – de leur point de vue – indésirables ». La teneur de l’interview reste constante, et le journaliste qui la mène ne se dissocie en rien des propos de Bauman. Dans une polémique publiée une semaine plus tard dans « Polityka », j’ai comparé les propos de Bauman à la propagande antisémite qui était publiée par la presse du régime communiste, lors des campagnes antisémites de 1968. Environ 15.000 juifs polonais, dont Bauman, furent forcés alors de quitter la Pologne. Citant des articles de presse, j’ai démontré que la propagande articulait exactement les mêmes thèmes, et j’ai conclu que Bauman n’aurait pas dû réagir ainsi, parce que de fait, il s’aligne maintenant sur les positions de ses persécuteurs. Je précise à vos lecteurs que je suis Juif.
2) Quelles ont été les conséquences de la publication de cet article en Pologne et dans l'intelligentsia?



Les réactions à cette polémique ne furent pas nombreuses. Dans Polityka, l’ambassadeur d’Israël Zvi Rav-Ner a fait état de son « dégout », il a parlé des « thèses absurdes » de Bauman, et il se déclara révolté par l’insinuation qui avait été faite selon laquelle les dirigeants israéliens « tremblent de peur devant la paix ». Jerzy Halbersztadt, ancien directeur du Musée de l’Histoire des Juifs Polonais (en construction), dénonça ce qu’il appela ma tentative de « bâillonner » Bauman (dont il critiqua toutefois « quelques formulations malchanceuses ») et conclut qu’en Israël il y a des dizaines de milliers de personnes plus proches des idées de Bauman, que de celles de Gebert ». Et Adam Krzeminski, grand commentateur de « Polityka », surtout sur les questions allemandes, qualifia cette polémique d’ « insupportable », avant de se lancer dans des réflexions historiques sur le conflit palestinien.
3) Dans la presse polonaise, les débats autour du conflit israélo-palestinien, sont-ils vifs ? violents ? Comment les rédacteurs expriment l’âpreté de ce conflit ? Sa violence ? Gardent-ils une certaine retenue lorsqu’ils relatent les faits ?



En dehors de « Polityka », la sociologue Aleksandra Bilewicz, sur le portail lewica.pl (« gauche.pl ») a dit que les comparaisons de Bauman sont « abusives », mais il considéra que mes propos étaient semblables et que le débat devrait se concentrer sur la possibilité de critiquer Israël. Sur le portail jewish.org.pl, lieu privilégié du débat juif en Pologne, deux auteurs ont échangé deux opinions anodines. Seul, sur le portail racjonalista.pl (« rationaliste.pl ») l’ancien journaliste de la BBC section polonaise Andrzej Koraszewski se déclara, dans une analyse approfondie, entièrement solidaire des propos que j’avais tenu sur Bauman (tout en exprimant son désaccord sur d’autres opinions émises par moi). Et sur le portail catholique intégriste fronda.pl un de ses auteurs, dans un article intitulé « Un conservateur ne peut être ennemi d’Israël », le commentateur Lukasz Adamski déclara, que les conservateurs doivent « condamner a haute voix » « les injures » dont sont victimes les Juifs que l’on traite si facilement de « fascistes », comme « le fait l’extrême gauche et l’extrême droite », et se déclara d’accord sur ma critique. La presse polonaise continue à maintenir, envers le conflit israélo-palestinien, une attitude bien plus modérée que la presse française ; seul le quotidien catholique « Nasz Dziennik » et, parfois, l’agence de presse PAP font défaut. Des recherches effectuées par Gebert il y a trois ans ont démontré qu’il n’y a pas, dans les grands quotidiens et dans les programmes d’information a la télé, aussi bien publique que privé, de partis pris anti-israéliens systématiques. Depuis, le consensus des médias a changé dans le sens d’une plus grande sympathie pour les positions palestiniennes, mais toujours de maintenir une certaine équité.



4) Les Palestiniens ont déposé une demande de reconnaissance de l’Etat
palestinien, à l’ONU. Quelle est la position du gouvernement polonais à cet
égard?



La Pologne, qui détient actuellement la présidence de l’UE, désire que les pays de l’Union européenne s’expriment de la même manière, également en ce qui concerne la conférence dite de Durban III. La Pologne s’est finalement décidée de boycotter la conférence, comme elle l’avait fait avec les deux conférences antérieures. Concernant l’éventuelle proclamation d’un Etat palestinien, si une position commune n’était pas adoptée par l’UE, la Pologne certainement ne votera pas pour la motion palestinienne ; en toute probabilité, elle va s’abstenir de voter.



5) Comment percevez-vous l’opinion publique polonaise par rapport à ce
conflit ? S’y intéresse-t-elle ? Prend-elle partie ? Assiste-ton, par exemple, à de grandes manifestations anti-israéliennes ? Des associations pro palestiniennes tiennent-elles la rue ?
L’opinion publique est sympathique à la cause palestinienne, en général considérant que les Palestiniens, comme les Polonais jadis, mènent un juste combat pour leur Independence. Des prises de position antisémites ne sont pas rares, par exemple dans les débats sur Internet. Toutefois, des prises de position pro-israéliennes motivées par un racisme anti-arabe sont regrettablement aussi fréquentes. Et une section importante de l’opinion publique soutient des positions pro-israéliennes en raison de leur sympathie pour l’Etat juif.



Propos recueillis par Marc Knobel



Photo : D.R.
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