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Publié le 8 Novembre 2011

Le nom de trop. Israël illégitime. Un entretien avec Jacques Tarnero, essayiste.

Jacques Tarnero, vous publiez aux Editions Armand Colin (263 pages, 18 euros), un nouvel ouvrage : « Le nom de trop. Israël illégitime ». En page de couverture, figure un bandeau avec cette accroche : « A tous ceux qu’Israël empêche de dormir !... et aux autres ». Vous aimez provoquer, faire peur -ou vous voulez ne serait-ce qu’avec ce titre- accrocher vos lecteurs ?




Le bandeau n’est pas de moi mais de l’éditeur mais bien évidemment c’est une accroche à contre pied de l’air du temps. Avoir écrit et édité un livre qui affirme un clair soutien à la légitimité d’Israël, au droit d’Israël, est en soi, tellement politiquement incorrect que cela ne peut être perçu que comme une intolérable provocation par tous les tenants de la bonne conscience, de gauche et de droite. Je ne vois pas en quoi ce titre pourrait faire peur.



Dans votre livre, figure un long développement intitulé (pp. 30-65): « Qui parle ? Curriculum vitae » C’est étrange cette manière de se mettre en scène dans un livre ou il est surtout question de la délégitimation d’Israël. Que nous apprenez-vous de votre parcours et de vos éventuelles blessures et meurtrissures ?



On n’écrit pas un essai à partir de rien. Il y a toujours une rencontre entre le sujet traité et sa propre histoire. Or cette histoire privée s’est inscrite dans la grande histoire collective. Il n’y a aucune vanité aucune posture narcissique dans ce récit qui reste dans le registre de cette rencontre. Il n’y a nul exhibitionnisme dans cela mais la tentative d’expliquer un itinéraire, un engagement en résonnance avec l’histoire collective. Cette histoire privée qui croise cette passion collective qui est le lien à Israël ou choses juives en général a traversé quelques moments forts : la guerre d’Algérie, le départ des pieds-noirs, la guerre des six jours, mai 68 puis la découverte de la mise à l’index d’Israël par les ex amis de gauche. C’est tout cela que j’ai aussi voulu raconter pour expliquer ce que je pense aujourd’hui.



Revenons-en au thème du livre. Est-il un essai historique ou autobiographique sur l’époque ? Constitue-t-il un document de plus sur le conflit israélo-arabe ?



Ce livre ne constitue pas un document de plus sur le conflit israélo-arabe mais sur ses représentations, ses enjeux symboliques, sa charge émotionnelle, passionnelle J’essaie d’en comprendre le pourquoi. Et ce pourquoi plonge ses racines dans d’autres histoires : pour la France, Vichy, la guerre d’Algérie ; mais d’un point e vue plus profond, ce qui est en cause c’est le statut symbolique d’Israël qui est en jeu.



Dans ce livre, vous consacrez également de longs développements, expliquant que l’on est passé de la compassion pour les Juifs après 1945, à l’admiration pour Israël en 67, pour aboutir à la réprobation dans les années 2000 et à la haine. La haine ?



On peut effectivement repérer des moments très différents dans le regard porté sur Israël : la compassion pour les juifs au sortir de la guerre et de la shoah, puis la sympathie (de la gauche) pour le jeune Etat, les kibboutzim, l’admiration pour la victoire d’Israël en 1967 et cette victoire marque le début du basculement. On apprécie les juifs morts, pas les juifs vainqueurs. La première guerre du Liban (1982) sera l’occasion de la première grande bouffée délirante anti israélienne. C’est le premier moment de réprobation d’Israël. Les accords d’Oslo porteront un court répit puis les intifada marqueront le temps de la condamnation. On entre aujourd’hui dans le temps de l’expulsion symbolique. Israël est le nom de trop. Cette histoire n’aurait pu ainsi évoluer sans quelques accélérateurs ponctuels : le négationnisme, la confusion des mots et des repères etc. Ces divers affluents idéologiques ou psychologiques ont aujourd’hui conflué en un courant puissant de délégitimation. La haine ? Il suffit de regarder la haine suave de « l’indigné » Stéphane Hessel pour en prendre la mesure.



Pourquoi affirmez-vous que la haine centrale d’Israël semble être devenue la religion d’une partie de l’humanité ? Ce terme (religion) n’est-il pas trop fort ? Vous affirmez également que le nom d’Israël dérange. Qui visez-vous en particulier ?



Les idéologies salvatrices désormais sont caduques. Il n’y a plus d’avenir radieux sauf pour celui de l’islamisme qui apparaît comme le grand courant totalitaire rassembleur d’une grande partie du monde. En Occident, pour diverses raisons ce totalitarisme ne veut pas être vu pour ce qu’il est. Une partie des opinions ne veut y trouver que l’expression des nouveaux damnés de la terre contre les nouveaux colonialistes (les sionistes) Ainsi l’anti israélisme radical fédère cette étonnante alliance du gauchisme ou de la bien pensance et des islamistes. Il n’y a pas d’autre cause qui rassemble de manière pavlovienne des passions aussi haineuses. Souvenez vous des réactions hystériques au cours de l’épisode de la flottille turque. J’emploie le mot « religion » parce que la haine d’Israël relève aujourd’hui d’une mécanique psychique qui ne relève plus du registre politique. De Caracas à Téhéran, d’Alger à Kuala Lumpur, on ne s’enthousiasme pas pour la construction de la Palestine mais on communie pour l’expulsion d’Israël en attendant sa destruction.



Si je vous comprends bien, ce conflit rend fou ? Pourquoi ?



Ce conflit rend fou parce qu’il est au cœur d’enjeux symboliques majeurs. Ce sont les héritiers des trois monothéismes qui s’affrontent sur quelques kilomètres carrés. La concurrence est forte ! Ce conflit brûle ceux qui s’en approchent, bien plus à sa périphérie que dans son centre, car ailleurs ce sont d’autres comptes qui se règlent : en Europe, en accablant Israël on se défausse de la culpabilité née de la shoah, dans le monde arabe Israël est l’explication magique du malheur arabe. Ainsi Israël remplit une fonction qui lui échappe et il est extraordinaire de constater combien dans un territoire aussi exigu, soumis à de telles pressions, la démocratie reste bien vivante, la littérature y est vivante et l’autodérision florissante et on produit des prix Nobel. Il y a de quoi être jaloux. Et la jalousie existe en histoire.



Si ce conflit rend fou, que proposez-vous ? Comment atténuer les tensions et dépassionner ce conflit ?



Je ne propose rien, ce serait présomptueux. Par contre poser quelques questions aux trop bonnes consciences sur les responsabilités arabes du malheur arabe serait une bonne action. Symétriquement questionner les arabes pour les inciter à porter un regard critique sur leur propre histoire, sur qui tue qui en Syrie, en Libye, au Liban etc. serait aussi un bon travail. Mais le monde arabe, pour partie, a tenté de sortir de son oppression par contre il replonge avec allégresse dans son aliénation : la démonisation d’Israël. Par ailleurs faire comprendre aux européens que ce qui menace Israël, les menace devrait constituer un axe stratégique majeur.
Dépassionner ce conflit impliquerait de le ramener à ce qu’il devait être : l’affrontement de deux projets nationaux autour d’une même terre. Mais ce conflit est surdéterminé par d’autres forces et d’autres enjeux.




Vous avez peur et de quoi ?



Ce n’est pas de la peur mais de l’accablement. On reste stupéfait devant la déraison présente, la vague de mauvaise foi larmoyante et la bonne conscience antijuive à trois euros qui drape dans un progressisme de pacotille une haine archaïque. Ici l’analphabétisme médiatique porte une très lourde responsabilité. Oui la crétinisation fait peur. Notre solitude aussi.



Propos recueillis par Marc Knobel



Photo : D.R.
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