Actualités
|
Publié le 29 Novembre 2011

Législatives égyptiennes : un impossible ménage à trois

Un tiers des électeurs égyptiens votent lundi 28 et ce mardi 29 novembre 2011 pour la première tranche d'un scrutin législatif qui s'étendra jusqu'en janvier. De ces élections, les Frères musulmans espèrent être les grands vainqueurs. Parallèlement, le bras de fer entre la Place Tahrir et la junte au pouvoir continue. La tentative des militaires pour désamorcer la contestation par la nomination d'un nouveau premier ministre, Kamal el-Ganzouri, n'a pas convaincu les manifestants.




Ces trois forces, les militaires, les manifestants et les islamistes, sont prises dans un jeu complexe, dont l'issue reste incertaine, et dont le processus électoral n'est que l'un des aspects.
«Le vote ne nous intéresse pas»



La junte, dirigée par le maréchal Tantaoui, au pouvoir depuis la chute de Moubarak, affirme représenter les aspirations du «pays réel» et assurer un retour à l'ordre. Elle rejette les accusations de vouloir perpétuer par tous les moyens un régime dans lequel l'armée exerce un contrôle étroit sur l'appareil d'État, en vigueur depuis le coup d'État de Nasser en 1952, et affirme son intention de remettre le pouvoir à un président élu avant l'été 2012.



Les Frères musulmans voient les élections comme une occasion historique d'accéder au pouvoir dans le plus grand pays du monde arabe. Ils insistent pour que le processus électoral ait lieu comme prévu, veulent que la future Assemblée dispose des pleins pouvoirs constitutionnels et que le régime devienne parlementaire au lieu de présidentiel.



Les calculs de ces deux forces sont dérangés par les manifestants de la place Tahrir, qui réclament aux militaires de remettre le pouvoir immédiatement à un gouvernement civil, et la fin d'un régime dominé par l'armée et les services de sécurité.



La Place Tahrir n'a pas rassemblé ce week-end de foules énormes. Mais la force du mouvement vient de son existence même, plus que de la simple arithmétique. Le village de tentes est à présent de nouveau bien établi sur le rond-point central et ce qui reste des espaces verts. Et même s'il y a beaucoup de curieux et si le rassemblement fait toujours plus penser à une kermesse qu'à un vrai mouvement politique, la Place Tahrir reste un défi pour les militaires comme pour les islamistes. La semaine écoulée a de nouveau montré que la place était capable de créer des situations nouvelles et imprévues.



«Nous resterons ici aussi longtemps qu'il le faudra», expliquent trois manifestants de la place. Assis derrière un étendage à linge transformé en bureau, ils font signer des pétitions. Ils veulent un gouvernement provisoire composé de Mohamed ElBaradei, ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et Prix Nobel de la paix, Abdel Aboul el-Fotouh, ancien dirigeant des Frères musulmans en rupture de ban avec son mouvement, et Hossam Eissa, avocat et militant anti-corruption.



«Le vote de demain ne nous intéresse pas. Ce sont les mêmes candidats que d'habitude, disent les militants. La nouvelle Assemblée n'aura comme seuls pouvoirs que ceux que voudront bien lui laisser les militaires. C'est-à-dire pas grand-chose.»



Un climat de suspicion à l'égard des étrangers



Les militaires campent eux aussi sur leurs positions. «Nous sommes confrontés à d'énormes défis, a prévenu le maréchal Tantaoui, et nous ne laisserons personne faire pression sur les forces armées.» Tantaoui a rencontré samedi Mohamed ElBaradei, mais pour lui demander de soutenir le nouveau premier ministre, el-Ganzouri.



La situation est pour l'instant bloquée. La junte a compris, un peu tardivement, une première leçon : au lieu de l'affaiblir, la répression policière ne fait que renforcer la Place Tahrir. Depuis vendredi, les policiers ont été remplacés par des soldats, rangés derrière des barbelés à une certaine distance des manifestants, et les violences ont cessé.



Les militaires comptent à présent sur l'épuisement de la Place Tahrir, qu'ils considèrent comme une minorité plus ou moins manipulée par de mystérieuses forces étrangères décidées à affaiblir l'Égypte. Ces insinuations ont trouvé un large écho dans certaines catégories de la population, et alimenté un climat de suspicion à l'égard des étrangers, notamment occidentaux, et des médias.



Pour les généraux, le pays profond reste attaché à l'ordre plus qu'à la légalité, et les élections législatives, maintenues malgré le climat troublé, devraient permettre de sortir du face-à-face avec les manifestants incontrôlables de la place Tahrir. Les Frères musulmans, qui mobilisent depuis des mois leurs réseaux dans toute l'Égypte, attendent impatiemment de démontrer leur force électorale. Et de ne plus avoir à courir après un mouvement révolutionnaire dont ils rejettent l'inspiration libérale et craignent l'imprévisibilité.



Un mode scrutin complexe



Les électeurs égyptiens votent ce lundi pour la première tranche des élections législatives, qui doivent s'échelonner en trois phases jusqu'à début janvier, officiellement parce que les juges chargés de surveiller le scrutin ne sont pas assez nombreux pour couvrir tous les bureaux de vote en même temps.



Le scrutin est un mélange complexe de proportionnelle et de système majoritaire. 60% des candidats seront élus à la proportionnelle par listes. Les 40% restants le seront à titre individuel, mais selon des circonscriptions différentes. Les électeurs auront donc deux bulletins. Au moins un élu sur deux du scrutin majoritaire doit être un paysan ou un ouvrier, vestige de l'ère du socialisme nassérien.



Les premiers résultats doivent être gardés secrets jusqu'à ce que tout le monde ait voté. Les autorités ont menacé d'imposer une amende de 500 livres (80 dollars, 60 euros environ) aux personnes n'allant pas voter.



Photo : D.R.



Source : le Figaro du 29 novembre 2011