Que se passe-t-il au Caire ?
- Il s'est passé quelque chose d'extrêmement grave. Beaucoup plus qu'un incident : 24 morts, 200 blessés. Les coptes ont été attaqués. Ces incidents existent en Egypte depuis des années mais augmentent depuis le renversement de Moubarak et s'amplifient. Il y a des règlements de compte : une partie de la société, islamiste, tente de marquer des points dans une situation où les pouvoirs publics ne sont pas établis.
Là c'est la police qui a tiré sur les manifestants…
- Les forces de l'ordre ont commis une erreur énorme pour plusieurs raisons. Premièrement, cet incident va être interprété internationalement, notamment eu égard aux soutiens que les Coptes ont à l'étranger et notamment aux Etats-Unis. Deuxièmement, cela va contribuer à alimenter le caractère non démocratique du régime, mais cela c'est normal : ce sont des militaires qui ont pris le pouvoir. Mais cela montre à quel point les choses n'ont pas changé. Et troisièmement, il va falloir être attentif à la réaction des Coptes face à cette situation. Les forces de sécurité peuvent avoir des réactions aussi promptes et violentes qu'auparavant mais n'ont pas le même contrôle qu'auparavant. On est dans une situation de risque où les émeutes peuvent survenir dans des proportions bien plus graves que ce qu'on a vu là.
Dans quelles circonstances ces émeutes ont-elles éclaté ? L'agence Mena cite l'arrestation "d'instigateurs du chaos" présents dans la manifestation qui avait lieu. Qu'en pensez-vous ?
- C'est très difficile de savoir s'il y a eu un groupe de personnes à l'instigation des incidents. Le problème fondamental c'est d'abord la réaction des forces de l'ordre, ensuite le fait que cela se reproduise et enfin que, dans la société, dans les pouvoirs publics, des gens réagissent pour régler le problème. Chercher s'il y avait des personnes à l'instigation des manifestants, c'est secondaire. Ce qui est gênant, c'est qu'on a une situation de l'Egypte, construite depuis des années, qui se trouve renforcée par la situation actuelle.
Comment expliquer l'accroissement des tensions confessionnelles ?
- On est dans une situation de compétition électorale, où les Frères musulmans ne vont probablement pas prendre le pouvoir mais avoir une forte majorité au Parlement, où les cartes vont être redistribuées. Et quand les cartes sont en position de redistribution, il y a forcément des tensions identitaires.
Plus la date des élections approche et plus ces accrochages risquent donc de se reproduire?
- C'est possible et ce n'est pas ce genre de drames qui vont ramener le calme. Il y a trois moments de tension à venir : tout d'abord l'élection législative qui commence fin novembre. On a ensuite la Constituante or la Constitution est un enjeu car on va rediscuter de la place de l'islam, notamment de l'article 2 qui établit que la Charia [la loi islamique: ndlr] est la source principale de la législation. Et il va y avoir débat également sur la place des Coptes dans les discussions constitutionnelles. Et enfin, on entre dans la phase présidentielle. Donc, il est clair que, dans les mois qui viennent, on entre dans une phase potentiellement conflictuelle et les événements de ce dimanche n'augurent rien de bon. De fait, les Coptes ont de bonnes raisons d'être inquiets.
Ces événements peuvent-ils servir de prétexte à un report des élections ?
- Non, je ne pense pas parce qu'une partie des gens qui soutiennent l'armée, dont les Frères musulmans, souhaitent qu'il y ait des élections et y ont intérêt. Et, deuxièmement, je ne pense pas que l'armée veuille assumer directement le pouvoir. Donc, sauf s'il y a des incidents d'une extrême gravité, je n'imagine pas l'armée être dans un scenario à la chilienne avec un commandement militaire, cela me paraît totalement improbable.
Photo (Jean-Noël Ferrié) : D.R.
Source : Un écho d’Israël