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Publié le 4 Janvier 2011

Les dispositions législatives et la jurisprudence en France concernant la discrimination et le boycott, par Pascal Markowicz

A) Les dispositions législatives




En France, nous avons la chance d’avoir une législation très protectrice contre le boycott, dont la première loi « anti-boycottage » date du 7 juin 1977, et elle dispose que le boycott doit être considéré comme un acte discriminatoire de type économique :



Article 225-1 du Code Pénal : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine…de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de leur origine…de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales ».



Article 225-2 du Code Pénal : « La discrimination définie à l’article 225-1 commise à l’égard d’une personne physique ou morale, est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende lorsqu’elle consiste :
1° A refuser la fourniture d’un bien ou d’un service,
2° A entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque…
Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1° est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d’en interdire l’accès, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75.000 € d’amende ».



L’appel au boycott, quelque soit son support, est également une infraction :



Article 24 al.8 de la loi du 30 décembre 2004 modifiant la loi du 29 juillet 1881 : « Ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement ».
L’article 23 énonce les supports : « soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique ».



Cela permet aux tribunaux de condamner tous les appels au boycott y compris la diffusion des films sur internet, les affichettes ou le port de vêtement dont l’inscription est « Boycott Israël ».



B) La jurisprudence



La jurisprudence en matière de boycott n’est intervenue que très récemment, depuis 2003, et est très peu nombreuse.



L’affaire la plus célèbre et la plus importante est celle du Maire PCF de Seclin, Jean-Claude Willem, qui avait décidé de boycotter les produits alimentaires israéliens des cantines de sa ville, pour protester contre la politique du gouvernement d’Ariel Sharon envers les palestiniens, en invoquant sa liberté d’expression.



Le Tribunal Correctionnel lui avait donné raison mais la Cour d’Appel et la Cour de Cassation ont fait valoir qu’il s’agissait d’une discrimination selon les articles précités :



« Attendu que, pour infirmer le jugement qui avait relaxé le prévenu, l'arrêt attaqué énonce notamment que Jean-Claude X..., en annonçant son intention de demander aux services de restauration de la commune de ne plus acheter de produits en provenance de l'Etat d'Israël, a incité ceux-ci à tenir compte de l'origine de ces produits et, par suite, à entraver l'exercice de l'activité économique des producteurs israéliens, cet appel au boycott étant fait en raison de leur appartenance à la nation israélienne ;
Attendu qu'en cet état, et dès lors que la diffusion sur le site internet de la commune de la décision prise par le maire de boycotter les produits israéliens, accompagnée d'un commentaire militant, était en multipliant les destinataires du message, de nature à provoquer des comportements discriminatoires, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli » (C.Cass crim 28/09/2004, n°03-87450, WILLEM c/ MP).



Mécontent de cette décision, M. WILLEM a saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui le 16 juillet 2009, a rendu l’arrêt de principe suivant, lequel confirme la discrimination du comportement du Maire :



"35. A l'instar de la juridiction d'appel et de la Cour de Cassation, la Cour (Européenne des Droits de l'Homme) constate que le requérant n'a pas été condamné pour ses opinions politiques mais pour une incitation à un acte discriminatoire...Le requérant ne s'est pas contenté de dénoncer la politique menée à l'époque par Ariel Sharon, mais il est allé plus loin, en annonçant un boycott sur les produits alimentaires israéliens.
38. La Cour...estime que la justification du boycott...correspondait à une démarche discriminatoire et, de ce fait, condamnable. Au delà de ses opinions politiques, pour lesquelles il n'a pas été poursuivi ni sanctionné, et qui entrent dans le champ de sa liberté d'expression, le requérant a appelé les services municipaux à un acte positif de discrimination, refus explicite et revendiqué d'entretenir des relations commerciales avec des producteurs ressortissants de la nation israélienne.
39. La Cour note encore que dans ses réquisitions devant les juridictions internes, le procureur de la République a fait valoir que le maire ne pouvait se substituer aux autorités gouvernementales pour ordonner un boycott de produits provenant d'une nation étrangère" (CEDH 16/07/2009, n°10883/05).



Cet arrêt est le plus important en la matière car il émane de la plus haute juridiction en Europe.



En 2007, le premier arrêt concernant une entreprise commerciale israélienne victime de boycott en France a été rendu en confirmant l’illégalité de la discrimination :



"Attendu que constitue une discrimination punissable, au sens des articles 225-2,2° et 225-1 du Code Pénal, le fait d'entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque en opérant une distinction entre les personnes notamment en raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une nation déterminée" (C.Cass crim 18/12/2007, n°06-82245, LICRA c/ X, CCI Limoges & autres).



Mais le premier procès concernant une activiste personne physique qui participait à une action de boycott dans un supermarché a eu lieu le 10 février 2010, au cours duquel Mme KHIMOUN-ARNAUD, militante de la Ligue des Droits de l’Homme, a été reconnue coupable de discrimination, et a été condamnée à payer une amende de 1.000 € ainsi que 500 € au titre des frais d’Avocats et 1 € de dommage intérêts à chaque parties civiles :
« En apposant deux étiquettes – notamment une sur une bouteille de jus de fruits en provenance d’Israël – portant entre autres les mentions « Boycott Apartheid Israël », Madame ARNAUD a manifestement commis le délit de provocation à la discrimination à l’égard d’Israël.
L’apposition dans un supermarché d’une étiquette autocollante constitue à l’évidence un des moyens prévus à l’article 23 de la loi de 1881 auquel renvoie l’article 24 s’agissant d’un écrit ou tout autre support de l’écrit exposé dans un lieu public.
La prévenue évoque le procédé qu’elle emploie comme une information. Le texte même des étiquettes litigieuses contient un appel au boycott et mentionne expressément à l’impératif présent – utilisé en conjugaison française pour donner des ordres – « n’achetez pas les produits d’Israël » ce qui constitue à tout le moins une forte incitation qui devient une véritable provocation lorsque le message s’illustre d’un dessin comportant des tâches ou des gouttes de sang comme dans deux des trois modèles d’étiquettes saisies.



Le boycott en tant que « cessation volontaire d’achat d’un produit ou de toute relation avec un pays » associé au mot « apartheid » défini comme un « régime de discrimination systématique », ne peut qu’évoquer la notion de discrimination visée par l’article 24 al.8.



Mme ARNAUD indique elle-même que ce boycott vise directement Israël en tant que nation ce que confirme d’ailleurs la lettre des documents litigieux.
Dans ces conditions, les éléments constitutifs du délit sont incontestablement caractérisés, l’intention ne faisant par ailleurs pas de doute dans la mesure où Mme ARNAUD revendique son action en évoquant sa solidarité avec le peuple palestinien » (TGI 5ème Ch Correc BORDEAUX, 10/02/2010).



Dans son arrêt confirmatif rendu le 22 octobre 2010, actuellement frappé d'un pourvoi à la demande de Mme ARNAUD, la Cour d'Appel de Bordeaux a précisé:
"La prévenue a reconnu à l'audience, comme au moment de son interpellation, la matérialité des faits qui lui étaient reprochés, persistant même, à les revendiquer...
Or, en apposant dans un lieu public, en l'espèce le magasin Carrefour, une affichette sur une bouteille de jus de fruit en provenance d'Israël portant les mentions "campagne boycott BOYCOTT APARTHEID ISRAEL"..."la société civile palestinienne nous appelle à un boycott de tous les produits israéliens tant qu'Israël ne respectera pas le droit international". "Vous aussi rejoignez cette campagne...", en invitant les clients du magasin à boycotter, tous les produits en provenance d'Israël..., madame Arnaud a incité, appelé à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque, en opérant une distinction ente les producteurs, fournisseurs de ces produits, en raison de leur appartenance ou de leur non appartenance à une nation déterminée, en l'espèce Israël, et ce, conformément à la jurisprudence de la Chambre Criminelle et de la Cour Européenne des droits de l'homme...".



Il s’agit du premier arrêt d’une Cour d’Appel concernant une activiste d’une action de boycott dans un supermarché, qui a été rendu en France.



Actuellement, pour ce genre de boycott économique, il existe une soixantaine d’enquêtes judiciaires en cours d’instructions. Deux affaires ont donné lieu à un « rappel à la loi » par le Procureur de la République de Chartres et d’Avignon.



Le procès de Pontoise concernant une Sénatrice du parti politique Les Verts, Mme BOUMEDIENE-THIERY, pro-palestinienne connue pour être une partisane radicale du boycott, qui a notamment invité Ali Fayad, Membre du Bureau Politique du Hezbollah à Paris en Décembre 2009 pour un colloque sur « Gaza un an après l’opération Plomb Durci », a été annulé pour une faute de procédure du Parquet.



Notons que Mme BOUMEDIENE-THIERY avait soutenue Mme KHIMOUN-ARNAUD lors de son procès, ce qui est scandaleux car une élue de la République ne doit pas appeler à violer la loi.



Le 12 novembre 2010, le premier procès concernant la diffusion de vidéos sur internet d’actions de boycott dans des supermarchés a eu lieu à Créteil. Le jugement devrait être rendu le 7 janvier 2011.



Le 24 janvier 2011 à Perpignan et le 10 février 2011 à Mulhouse, deux importants procès contre des boycotteurs, dont des responsables locaux de partis politiques, auront lieu devant un public en nombre et la presse.



Le 17 mars 2011, un procès similaire à celui de Créteil aura lieu à Bobigny, outre le délit de port de t-shirts mentionnant l’inscription « Boycott Israël ». L’un des prévenus sera Mme ZEMOR, Présidente du CAPJPO-EUROPALESTINE.



Mme ZEMOR sera également poursuivie à Paris le 17 juin 2011 pour les mêmes faits.



Pascal Markowicz est avocat au Barreau de Paris et membre du Comité Directeur et de la Commission Juridique du CRIF


Photo : D.R.
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