Soulignant bien qu'il ne partageait pas l'avis des intellectuels français sur le conflit israélo-palestinien, le journaliste a demandé à l'auteur les raisons de ces prises de positions.
"Je n'ai pas pris position si souvent. Disons que la question qui se pose au départ est simple. Confronté à une situation dangereuse, quels sont les moyens légitimes de se défendre ? Donc Israël a-t-il toujours été légitime dans son auto-défense? Pour répondre oui avec certitude il faudrait avoir suivi toutes les phases. Ca fait très longtemps que cela dure, je ne peux pas répondre avec certitude que tous les actes d'Israël ont été légitimes mais chaque fois que j'ai regardé je n'ai rien vu d'illégitime. Par moments je ne me suis pas intéressé à l'actualité, mais il y a une différence de nature entre un assassinat ciblé et un attentat aveugle. Donc j'aurais tendance à dire que c'est la cause de mon engagement en faveur d'Israël, je ne suis pas juif donc cela ne me concerne pas directement peut-on dire. Je pourrais être neutre. D'ailleurs je l'ai été".
Michel Houellebecq a finalement dépassé cette neutralité pour se poser aujourd'hui en défenseur de l'Etat d'Israël. "Je me souviens il y a, mettons vingt ans, j'étais neutre. Je considérais que cela ne me concernait absolument pas, donc que je ne devais pas avoir de position", a-t-il expliqué. Au fil des ans, il a cependant décidé qu'il était temps de se faire une opinion. "Les moyens sont une manière de juger", a-t-il estimé. Il a ensuite justifié sa prise de position en affirmant que"Israël emploie des moyens plus moraux que les Palestiniens. Sans justifier chaque action d'Israël globalement il apparaît quand même qu'Israël emploie des moyens plus moraux pour se défendre. Donc je suis du côté de la morale fondamentalement. Le côté du bien contre le mal".
Mais ses prises de positions sur Israël ne sont pas les seules qui lui ont valu l'étiquette d'agitateur public. Les propos qu'il avait tenu sur l'Islam en 2001 déclarant "la religion la plus con, c'est quand même l'Islam" avaient en effet attiré les foudres de la communauté musulmane.
"J'ai beaucoup d'ennemis, donc on a fait comme si l'Islam était chez moi une obsession alors que je n'y pense pratiquement jamais. Ce n'est pas quelque chose qui me fait spécialement peur, je n'ai rien contre les Musulmans. Si j'ai une tendance à soutenir Israël c'est vraiment pour la raison que j'ai évoquée, parce que je suis choqué par les attentats palestiniens, moralement choqué. Et quelqu'un qui emploie des moyens choquants a de ce fait même tort. Quel que soit (celui) qui a tort ou raison au départ, (celui) qui a le droit à la terre. Mais des moyens immoraux vous discrédite moralement", a-t-il expliqué au micro de Guysen TV.
Il a ensuite confié qu'il n'avait aucune affinité particulière avec le Judaïsme, qu'il condamnait par principe en tant que religion monothéiste.
"Je porte un regard globalement très négatif (sur le monothéisme). L'idée que l'univers ait été créé par un Dieu animé de bonnes intentions me paraît une absurdité complète. Mais ceci dit j'ai une sorte de sympathie pour le Catholicisme parce qu'à travers l'introduction de personnages apparemment secondaires, comme la Vierge Marie et les Saints, ça s'est éloigné du monothéisme pour rejoindre une certaine forme de polythéisme en réalité, déguisée. Ce qui lui donne un côté qui me paraît intellectuellement plus riche", a-t-il développé.
Le journaliste lui a ensuite demandé si cette perception des religions influençait d'une quelconque manière sa prise de position pour l'Etat d'Israël.
"Pas du tout, ça n'a rien à voir. La morale est une chose, et la religion en est une autre. Et si j'ai tendance à soutenir l'Etat d'Israël c'est pour des raisons purement morales. Parce que les moyens employés pour lutter sont immoraux. Donc non seulement je ne pense pas que la fin justifie les moyens, mais je pense exactement l'inverse. C'est à dire que ce sont les moyens qui permettent de juger d'une fin. Quand on emploie des moyens mauvais on se place dans le côté du mal, donc on doit être combattu. C'est pas très compliqué", a-t-il déclaré.
Au cours de son explication, l'auteur s'est indigné contre la bien-pensance affichée par les médias français.
"Israël n'a pas tort de s'en inquiéter. C'est un peu compliqué mais disons que vu d'Israël, on n'a pas tort de s'en inquiéter. Ceci dit, la différence entre ce qui apparaît comme une unanimité quand on lit les médias et le sentiment réel de la population est une chose qui existe et demanderait des développements. Il faut juste arrêter de penser qu'il y a une presse libre. La presse dit la même chose, avec une uniformité parfaite. Il y a un point de vue apparent, unanime. Tout le monde sait dans un sens que ça ne correspond pas au point de vue de la population et ça finit par être admis. Je ne sais pas si on est en Union soviétique de la grande époque, on saurait que la Pravda est une anti-phrase. La Pravda ca veut dire la vérité. L'erreur est de croire qu'il y a une démocratie, enfin des élections, il y a une liberté d'opinion. C'est faux il n'y a aucune liberté d'opinion en France", a-t-il expliqué. "Le conflit israélo-palestinien est là où cela s'exprime de la façon la plus spectaculaire. C'est difficile à expliquer. Disons que beaucoup de gens disent la même chose que tout le monde simplement pour avoir la paix. Je ne sais pas. Je suis persuadé que pour bien comprendre le phénomène il faudrait partir d'un sujet plus bête et plus simple qu'Israël".
L'auteur a souhaité énoncer un exemple plus simple.
"Mettons les ours, leur réintroduction dans les Pyrénées. Il est convenu de s'émerveiller sur les ours. Alors qu'en fait ils ne m'émerveillent nullement, ils me font plutôt peur même. Si je n'étais pas ce que l'on appelle un emmerdeur, (Libération a titré quand j'ai eu mon titre – le Prix Goncourt 2010, ndlr – La Revanche d'un Emmerdeur) je ne refuserai pas de dire que la biodiversité c'est merveilleux. Mais si je voulais avoir la paix, je dirais comme tout le monde: je m'indignerai des actions de Tsahal, je m'émerveillerai devant les ours, je m'inquiéterai des manifestations d'homophobie".
Finalement, Michel Houellebecq a mis en garde contre le consensus de l'opinion publique et a fait part de sa propre expérience.
"Bon je vais vous raconter quelque chose qui situera bien. Il existe quelque chose de malsain que j'ai bien ressenti. Plusieurs années, j'ai publié dans une revue littéraire. Donc il y avait une femme qui avait une nouvelle pétition chaque fois que je la croisais pendant les réunions, contre les exactions de l'armée israélienne. Je n'avais rien à faire de ce conflit à l'époque, et elle me bassinait avec ses pétitions à la con et elle voulait que je les signe. Je lui disais non." "Sur ce, un vague traité de paix auquel les gens croyaient (les accords d'Oslo en 1993, ndlr), il apparaît donc que les Israéliens ne sont plus valides en tant que méchant. J'imagine donc que je vais avoir la paix avec cette emmerdeuse. Deux semaines se passent, nouvelle réunion de la rédaction et elle arrive avec une nouvelle pétition sur les Kurdes ou je ne sais quoi. Donc en fait, il y a une espèce de besoin, une fièvre pétitionnaire. J'ai vécu de longues années où il ne se passait pas un mois sans que l'on vous fasse signer quelque chose sur le Front National. À la fin, il y en marre, on fatigue".
Propos recueillis par Roxane Tran-Van
Photo : D.R.
Source : Guysen News