L’exposition présentée dans des rues passantes, devant des établissements scolaires ou dans des maisons de quartier a suscité le dialogue et beaucoup d’explications entre le rabbin Michel Serfaty et de nombreux jeunes de toutes origines. Sur des panneaux illustrés et rédigés conjointement par l’institut du monde arabe et le musée d’art et d’histoire du judaïsme, sont présentés, côte à côte, certaines similitudes culturelles et cultuelles entre le judaïsme et l’islam. Sous les présentations filigranées en caractères hébraïques et arabes, le rabbin interroge : « que vois-tu là ? », « que comprends-tu ici ?». Le courant passe. Des jeunes, parfois réticents, s’aperçoivent que juifs et musulmans peuvent s’entendre et se comprendre en France malgré les clichés et le conflit proche oriental.
Nous avons souhaité interroger le rabbin Michel Serfaty afin qu’il réponde, sans concession, à certaines de nos interrogations.
Question : A mi chemin du tour d’Île-de-France de l’amitié judéo-musulmane, quel est votre premier bilan ?
Réponse : Je peux dire que le bilan est très encourageant car nous sommes sur le point de réaliser nos objectifs. D’abord, parce que nous sommes parvenus à mettre en place toute l’infrastructure pour démarrer ce tour de l’amitié. Ensuite parce que nous avons enrichi l’expérience des années précédentes en donnant au tour une nouvelle singularité : la démarche pédagogique. En effet, nous déployons notre action à la fois par la prise de contact directe avec la population des quartiers et celle des milieux scolaires et associatifs. Dans de nombreuses villes, nous présentons également une pièce de théâtre de Serge Misrai « L’épicier du coin » qui raconte l’histoire d’un juif d’Algérie et d’un musulman fuyant le même pays quarante ans après, à cause du terrorisme islamiste. Le dialogue et la discussion les rapprochent malgré certains désaccords…
Q : La majorité de vos relais associatifs sur place sont de confession musulmane, vos interlocuteurs sont également de jeunes musulmans ou de jeunes chrétiens et votre équipe est pour l’essentiel composée de jeunes juifs. Comment allez-vous procéder pour impliquer davantage de musulmans dans l’équipe et d’avantage de jeunes juifs sur le terrain du dialogue ?
R : À partir de la rentrée, nous allons élargir la structure pour créer un véritable mouvement et appeler près de nous davantage de militants. Ces militants vont d’abord participer à l’organisation des étapes, être présents lors des activités et, par la suite, encadrer et susciter plus d’enthousiasme au sein de leurs communautés. Grâce aux emplois « tremplin » que le Conseil régional va nous attribuer, nous pourrons recruter trois animateurs musulmans pour enrichir l’équipe actuelle. Une des missions qui sera confiée aux animateurs sera par ailleurs, la mise en place de structures de jeunes juifs et musulmans en différentes localités.
Q : Vous avez sans doute rencontré des difficultés d’ordre technique ou logistique lors de ce tour, quelles premières leçons en tirez-vous?
R : Nous avons pour objectif d’améliorer d’années en années nos stratégies. J’ai décidé avec mes collaborateurs qu’il faudrait concentrer davantage notre travail - par exemple, un tour d’Île-de-France qui se ferait sur la base d’une ville par jour - car il devient difficile de respecter le programme tel qu’il est conçu lorsque l’on est confronté à certains interlocuteurs dont les questions retiennent notre attention au détriment parfois du temps imparti pour l’étape suivante. Au niveau de la communication, nous avons également de gros efforts à faire, bien que nous ne soyons pas les seuls responsables de cette défaillance. En effet, nous dépendons souvent de la bonne volonté des établissements et des mairies qui nous accueillent. Nous arrivons rarement à les mobiliser pour la médiatisation de notre action. A leur décharge, la venue du bus de l’amitié perturbe souvent leurs programmes et ne leur facilite pas la tâche.
Q : Que reste-il après le passage du bus de l’amitié judéo-musulmane ou plus précisément qu’en est-il du suivi de votre action en faveur du rapprochement entre Juifs et Musulmans d’une même ville ?
R : Le suivi de notre action se décline en trois axes. Pour commencer, le développement d’antennes AJMF à travers la France comme à Nice et à Besançon. Il y a également eu une signature de convention entre de jeunes juifs et de jeunes musulmans à Toulouse qui devait aboutir à la création d’une antenne AJMF.
A partir de l’an prochain, nous changerons de stratégie et nous passerons vraisemblablement de la rue aux établissements scolaires et aux maisons de quartiers. Nous pourrons intervenir chaque semaine avec le bus durant toute l’année scolaire dans les écoles et les maisons de quartier. Nous aurons par exemple à disposition, une brochure tirée à plusieurs milliers d’exemplaires qui devrait être diffusée par l’ensemble des inspections académiques d’Île-de-France ainsi qu’un projet pédagogique que nous demandons de dispenser dans les collèges et les lycées. De nombreux directeurs et professeurs ont apprécié - après avoir constaté notre action devant leurs établissements – le message que nous véhiculons et formulent le souhait que nous intégrions leur établissement dans notre programme. Ce message - ont-ils constaté - est malheureusement devenu nécessaire, particulièrement dans les collèges et les lycées.
Par ailleurs, l’étroite coopération avec les associations musulmanes de banlieue nous conduit naturellement à préparer des réunions de formations conjointes d’animateurs juifs et musulmans ; en particulier sur le moyen de lutter contre les préjugés antisémites et antimusulmans.
Enfin, notre projet intéresse très sérieusement les universités françaises et l’AJMF devient peu à peu, un organisme d’accueil pour les chercheurs qui veulent travailler à nos côtés.
Le travail qu’il nous reste à accomplir est monumental…
Propos recueillis par David Gamrasni