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Publié le 8 Décembre 2011

Moscou face au dilemme syrien

Le 15 novembre 2011, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré que la décision de la Ligue arabe de suspendre la Syrie était «une erreur», avant de recevoir une délégation du Conseil national de l’opposition syrienne. Ces événements ont concordé avec la visite à Damas du patriarche de l’Eglise orthodoxe de Russie, Kirill, qui s’est entretenu avec Bachar al-Assad. Un apparent activisme diplomatique qui dissimule mal l’hésitation politique du Kremlin : alors que s’amplifient les critiques internationales à l’égard du président syrien, la Russie reste l’un des seuls pays à s’opposer à une pression accrue sur le régime baasiste. L’intransigeance de Moscou sur le dossier syrien peut s’analyser sous quatre angles.



Premièrement, la Russie veut éviter une répétition de l’humiliant scénario libyen. Au printemps, Moscou s’était abstenu au Conseil de sécurité des Nations unies - décision inhabituelle dans la tradition diplomatique russe -, permettant l’adoption de la résolution 1973 et la mise en place d’une zone de protection aérienne par les forces de l’Otan. L’épisode avait également révélé des dissensions plus ou moins scénarisées au sein de l’appareil exécutif russe. La sortie de Vladimir Poutine, assimilant l’offensive occidentale à une «croisade médiévale», avait été largement médiatisée, avant d’être retoquée par Medvedev qualifiant le commentaire d’«inacceptable». Ce cafouillis diplomatique n’a guère aidé à accroître la visibilité de la Russie, qui se posait en «observateur éclairé» des révoltes arabes.



Deuxièmement, la Syrie reste un marché quasi-captif pour les sociétés russes qui possèdent dans le pays des intérêts commerciaux majeurs, bien plus significatifs que ceux - perdus - en Libye : une base navale en cours de rénovation à Tartous (la seule en mer chaude avec Sébastopol), trois milliards d’euros de contrats pour la fourniture d’armements, ainsi que plusieurs milliards d’euros d’investissements dans la construction d’infrastructures gazières et l’extraction d’hydrocarbures. Après l’annulation de la livraison des missiles S-300 à Damas en 2010 et le renversement de Kadhafi, une perte définitive des contrats syriens consécutive de la chute d’Al-Assad aurait de sérieuses conséquences pour l’avenir du complexe militaro-industriel russe.



Troisièmement, le refus d’admettre que les sociétés et les systèmes politiques évoluent illustre la priorité que Moscou accorde à sa situation intérieure et révèle l’étroitesse de sa marge de manœuvre sur la scène internationale. Les dirigeants russes n’adopteront pas une politique qui puisse être assimilée à un soutien au régime change, surtout en cette période électorale. Pris en otage par des considérations de politique intérieure, Moscou accorde, en outre, ses priorités de politique étrangère à sa prochaine entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), aux conséquences de la crise de l’euro sur sa propre économie et à la négociation de nouveaux accords énergétiques avec l’UE. La crise syrienne place donc Moscou dans une position plutôt inconfortable.



Enfin, l’intransigeance de Moscou fige la diplomatie russe dans un Proche-Orient particulièrement mouvant. Il est frappant de constater que le discours de la Russie sur la Syrie est quasi similaire à celui que tenait l’Union soviétique. Même si le contexte régional était bien différent en 1967 et 1973, l’URSS exprimait son souhait de voir les grandes puissances renoncer à l’usage de la force au Moyen-Orient. Moscou n’a pas encore fait - ou ne veut pas faire- le constat que l’ère des «républiques monarchiques» nées durant les années 60- 70 dans le monde arabo-musulman est révolue. Les autorités russes semblent se conforter dans l’idée que les événements récents au Proche-Orient sont le résultat de complots ourdis de l’étranger plus que la conséquence de la corruption et de la violence des régimes renversés. Cette étroitesse de vues est à lier en partie au manque de renouvellement de l’école orientale russe. En d’autres termes, les autorités russes devront aussi bien identifier une relève à la génération d’Evgeni Primakov que considérer la multiplicité des transformations politiques et sociales à l’œuvre au Proche-Orient.



A la lumière de ces différents paramètres, que fera la Russie ? Il est fort probable que le Kremlin continue d’apporter son soutien oral au régime baasiste, du moins tant que les inconvénients de ce patronage ne dépassent pas les «avantages». Quand interviendra le point de rupture ? Le regard des dirigeants russes se tournera sûrement vers le Caucase et l’Asie Centrale, dont la stabilité serait sérieusement menacée si, après Damas, Téhéran venait à vaciller. Quoi qu’il en soit, le soutien inconditionnel de la Russie au régime syrien risque de s’avérer rédhibitoire aux yeux des futurs dirigeants de la Syrie post-Assad.



Photo : D.R.



Source : Libération