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Publié le 18 Novembre 2011

Nucléaire : Téhéran et ses amis chinois et russes

La bombe iranienne rend fou. La perspective de voir la République islamique d'Iran se doter de l'arme nucléaire suscite des réactions irrationnelles, quand il faudrait faire preuve d'une détermination sans faille : le binôme régime islamiste-arme nucléaire est une éventualité cauchemardesque.




Les dirigeants de Téhéran, le Guide Ali Khamenei, dictateur en chef, et le président Mahmoud Ahmadinejad, vice-dictateur, ne cachent pas que le destin d'Israël est, selon eux, d'être rayé de la carte. M. Ahmadinejad passe pour appartenir à un cercle messianique, le mouvement Hojjatieh.



Courant extrémiste de l'islam chiite, Hojjatieh entend oeuvrer au retour du Mahdi (le Messie) sur terre et juge que la fin de "l'entité sioniste" faciliterait cet heureux événement. A en croire M. Ahmadinejad, les Etats-Unis s'attachent d'ailleurs prioritairement à empêcher la réémergence du Mahdi. Sans se prononcer sur les chances de la réapparition prochaine du Messie, on peut penser que c'est là un raccourci original pour qualifier la politique étrangère américaine. Mais il faut avoir ces éléments en tête, planter ce décor idéologique, pour apprécier les réactions suscitées par l'éventualité que la République islamique se dote de l'arme atomique. Aux tenants de l'école "réaliste", qui, péremptoires, affirment qu'un Iran nucléarisé ne se comporterait pas différemment des autres possesseurs de "la" bombe dans la région, on conseillera le doute - et une saine prudence.



Régime divisé en clans antagonistes, le pouvoir iranien a resserré les rangs ces jours-ci. Unanimement, il dénonce le dernier des rapports de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) - filiale de l'ONU chargée de lutter contre la prolifération nucléaire - le concernant. M. Ahmadinejad a qualifié de "marionnette occidentale" le Japonais Yukiya Amano, auteur du rapport et directeur de l'Agence.
Ce rapport, qui devait être présenté les 17 et 18 novembre au conseil des gouverneurs de l'AIEA, à Vienne, est accablant pour la République islamique. Membre du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), celle-ci n'a pas le droit d'acquérir une arme atomique. C'est pourtant ce à quoi elle s'emploie, dit le document qui vient, une fois de plus, confirmer que l'Iran est bien en quête de l'arme suprême.
Le rapport est un dossier de mille pages "façon ONU", c'est-à-dire prudent, qui puise à des sources différentes et recense "beaucoup de détails et de nouvelles précisions", résume Bruno Tertrais, l'un des experts de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Le rapport observe trois choses. L'Iran a procédé à des tests d'explosion nucléaire sur ordinateur ; il a expérimenté des détonateurs de haute précision ; il a travaillé à la conception d'une tête nucléaire qui puisse armer un missile balistique de moyenne portée.
Contrairement à une évaluation des services secrets américains, datant de 2007, l'Iran n'a pas mis fin à ces activités en 2003, mais poursuivait certaines d'entre elles tout récemment encore, affirme l'AIEA. Elle formule une conclusion en deux points : les agissements de l'Iran sont ceux d'un pays qui veut l'arme nucléaire ; à ce stade, l'Agence ne s'estime pas capable de dire si l'Iran en maîtrise toutes les composantes ni le temps qu'il lui faudrait pour y arriver.
Puissance nucléaire officieuse, Israël dénonce la "menace existentielle" que représenterait pour lui l'arme atomique iranienne. Assassinats "ciblés" et virus informatique tueur en action : Israël est déjà en guerre contre l'Iran. Débat ces jours-ci à Jérusalem : faut-il aller plus loin ? Le premier ministre, Benjamin Netanyahu, et son ministre de la défense, Ehud Barak, pencheraient pour des "bombardements préventifs" ; d'autres membres du gouvernement, les chefs des services secrets, les principaux responsables militaires seraient contre.
A Washington, l'administration Obama fait valoir les mêmes arguments que la hiérarchie militaire israélienne : les sites nucléaires iraniens sont dispersés ; des frappes préventives ne feraient que retarder le programme de Téhéran ; l'Iran a les moyens d'une riposte qui pourrait embraser l'ensemble de la région.
Mais, juré, promis, foi de mormon, le principal candidat républicain à la présidence, Mitt Romney, plus "israélien" que le chef d'état-major israélien, annonce, lui, qu'il est prêt à user de moyens militaires pour faire plier l'Iran...
Barack Obama et les Européens ont réagi de manière responsable au rapport Amano. Ils prônent des sanctions renforcées contre l'Iran - et, en la matière, rien de vraiment "mordant" n'a encore été décidé. Mais la République islamique est appuyée par deux puissances au comportement irresponsable sur ce dossier : la Russie et la Chine. L'une et l'autre savent qu'un Iran nucléaire déclencherait une vague de prolifération sans égale au Proche-Orient.
Moscou et Pékin n'en ont pas moins réagi au rapport Amano en rejetant l'idée de nouvelles sanctions. A l'ONU, ils n'ont voté les précédentes sanctions contre l'Iran que pour être en mesure de les négocier à la baisse. "Ils confortent l'Iran dans son sentiment d'impunité", dit Bruno Tertrais. L'un et l'autre ont noué des liens économiques importants avec la République islamique. Russes et Chinois observent que les sanctions n'ont pas fait fléchir Téhéran. L'ostracisme dont il est l'objet enfermerait le régime dans sa paranoïa ; les aventures "occidentales" récemment conduites en Libye et hier en Irak le confirmeraient dans sa conviction que la possession de l'arme nucléaire est la seule vraie garantie contre les ingérences étrangères.
Bref, dans un concours de mauvaise foi et d'hypocrisie, Moscou et Pékin veulent nous faire croire que l'Ouest est coupable de l'aventurisme nucléaire iranien !C'est oublier que l'Iran a refusé le marché que lui a proposé Barack Obama : normalisation complète des relations avec la République islamique en échange d'un abandon de son programme nucléaire. L'Iran a refusé. L'Iran veut la bombe moins pour s'en servir que pour assurer sa domination politique sur la région - et notamment empêcher un accord de paix israélo-palestinien.
(Article d’Alain Frachon publié dans l’édition du Monde du 18 novembre 2011)
Photo : D.R.