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Publié le 27 Juillet 2009

Prasquier : pourquoi nous ne garderons pas le silence !

Richard Prasquier, une partie de la presse se déchaine contre le CRIF au lendemain du procès des assassins d'Ilan Halimi. Que s'est-il passé pour qu'au lieu de parler d'un assassinat antisémite, on soit passé à des attaques contre le lobby juif ?




Ces attaques violentes ne proviennent que d'une partie de la presse: pour dire les choses en clair, il s'agit de Marianne et du Nouvel Observateur. Ces journaux sont depuis longtemps hostiles au CRIF et ne manquent pas une occasion de le déclarer non-représentatif, alors qu'il représente une variété d'opinions et d'institutions et que sa représentativité est surtout mise en cause, et encore que par ceux des Juifs, et c'est leur droit, qui réclament de n'être représentés par personne.



Il y a là des raisons politiques qui touchent Israël: les amitiés de ces journaux depuis plusieurs années vont aux Juifs qui sont hostiles aux divers gouvernements israéliens, alors que ces gouvernements représentent l'expression démocratique de la société israélienne. Ils refusent de voir que les grands noms des pacifistes en Israël même ont aujourd'hui des positions plus réticentes et plus sécuritaires que dans le passé, et que ceux qui vivent en France, les plus virulents, ne représentent guère qu'eux-mêmes.



La campagne en faveur du livre de Shlomo Sand est un exemple: un historien sans qualification sur le sujet, à peu près inconnu dans son pays, mais violemment antisioniste, est mis en vedette par ces journalistes comme un représentant de "l'autre Israël". Shlomo Sand dit que le peuple juif n'existe pas. Cette construction fantasmagorique tient sa logique: si le peuple juif n'existe pas, le CRIF, représentant non religieux des Juifs, ne représente rien! CQFD.



Les positions se sont durcies depuis la mise en place du nouveau gouvernement israélien qu'il est de bon ton de critiquer, sans même écouter ses arguments et ses propositions.



Mais il ne faut pas oublier non plus, en amont, l'affaire Al Dura où ces deux journaux se sont distingués par une étonnante pétition de protestation contre un arrêt de la Cour d'appel déboutant Charles Enderlin de sa mise en cause de Philippe Karsenty pour diffamation: quand on a un tel comportement corporatiste et qu'on émet une telle critique de la chose jugée on est assez mal placé pour donner des leçons en matière d'intrusion judiciaire.



Le deuxième motif de ces journalistes est le rejet du communautarisme: c'est un rejet que nous partageons tous, mais c'est une accusation facile et gratuite: la France ne doit surtout pas devenir une juxtaposition de tribus plus ou moins indifférentes au bien commun. Mais précisément la mission du CRIF, et je considère qu'il la remplit, est de promouvoir les valeurs de la République, liberté, égalité, laïcité -avec le rêve de la fraternité.



La société d'aujourd'hui n'est plus celle de 1791, la notion d'appartenance identitaire est devenue moins univoque, plus complexe. Elle n'est plus exclusive comme dans le passé: l'identification au peuple juif et au peuple français ne sont pas contradictoires. Et il est entendu que la loi du pays où nous vivons est la loi.



Les tentations de mettre sur le même pied les expressions d'appartenance au monde juif d'une part, à l'intégrisme islamique et d'autres mouvements anti-démocratiques et antirépublicains d'autre part comme autant de manifestations de communautarisme sont des signes de myopie "politiquement correcte".
De là vient l'occultation de l'antisémitisme dans ce procès. S’il n'y a pas à chercher l'antisémitisme là où il n'est pas, il n'y a pas non plus à nier qu'un antisémitisme primaire et potentiellement féroce s'est développé ces dernières années, pas seulement en France, sur fond d'antisionisme, ce qui ne le rend pas moins inquiétant. J'ai dit continuellement que j'espérais que le procès d'appel pourrait se tenir en public pour mieux analyser le rôle de l'antisémitisme dans ce meurtre. Certains préfèrent le minimiser, parmi eux mon admiré prédécesseur à la tête du CRIF, Theo Klein. Ils craignent que, à trop mettre l'accent sur ce facteur, on ne durcisse encore les rapports dans une exacerbation du communautarisme.



Je pense au contraire que la République est assez forte pour imposer des règles et des interdictions.



Ce n'est pas la critique de la position du CRIF que je réprouve: c'est là le prix vital de la démocratie, et certaines critiques sont fort utiles, lorsque leurs intentions ne sont pas a priori hostiles.



Je suis surpris que, alors qu'ils ne remettent pas en cause la légitimité de tel ou tel groupement professionnel ou autre à s'exprimer lorsque son domaine est en cause (les paysans, les médecins, les enseignants, ....) ces journalistes refusent aux Juifs le droit d'exprimer leurs sentiments devant un crime antisémite d'une exceptionnelle abjection.



C'est tellement inconcevable que je suis bien obligé de penser qu'il y a d'autres motivations sous-jacentes, et que ces motivations sont politiques.



Quand on vous accuse d' « alimenter l'antisémitisme », que répondez-vous ?



C'est un grand classique: ne parlez pas trop fort car vous allez réveiller les antisémites.....Je pense à la phrase du philosophe Gabriel Marcel en 1946 enjoignant aux Juifs, pour leur bien, de "modérer leurs revendications"! Ces temps sont révolus.
Ce qui ne signifie pas qu'il faut parler comme si le reste du monde n'existait pas. Nous devons être responsables et certaines expressions ne l'ont pas été. La surenchère dans ce domaine est particulièrement néfaste, et il n'est pas acceptable que sous prétexte de donner libre cours à sa colère, même justifiée on en arrive à dire n'importe quoi.
Nous avons acquis, comme les autres Français et plus chèrement que beaucoup, le droit à la libre expression. Que cela alimente l'antisémitisme signifie bien que l'antisémitisme continue de ramper sous la surface: alors, autant le débusquer.

Le procès des assassins était à huis-clos. Comment avez-vous pu rapporter des propos que vous n'avez pas entendus ?



C'est tout le problème du huis clos. Le huis clos qui ne pouvait pas être évité puisque les deux intéressés anciens mineurs l'ont demandé et que pour des raisons pratiques le tribunal n'a pas voulu disjoindre leur cas de celui des autres accusés a plombé ce procès.



Deux questions me tourmentaient: est-ce que le fonctionnement de ce gang pouvait nous donner des indications sur les raisons qui font que dans un groupe on peut être amené à commettre l'ignominie pour essayer d'en tirer des leçons? Est-ce que l'antisémitisme a été traité de façon approfondie, alors que pour des raisons de circonstance, les organisations antiracistes n'ont pas pu plaider, comme cela aurait été normal?



Le rôle de l'avocat général représentant la société était de ce point de vue particulièrement important. Comme d'autres, je n'ai pu que me renseigner indirectement et les informations aussi concordantes soient-elles sont sujettes à caution. Que faire d'autre? J'ai pensé nécessaire de faire part de mes troubles à l'issue du procès sur le traitement de l'antisémitisme au cours des débats.



Photo : © 2009 Alain Azria


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