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Publié le 26 Octobre 2011

Serge Klarsfeld : «J’ai eu une vie bien remplie…»

L’historien et avocat Serge Klarsfeld, chasseur de nazis et auteur du Mémorial de la déportation des juifs de France, était à Metz, mardi 25 octobre, où il a donné une conférence publique. Une vie au service de la mémoire.




Avec votre épouse Beate, vous avez consacré votre vie à la mémoire des victimes de la Shoah. Quel bilan tirez-vous de toutes ces années ?



Quand je me retourne, je n’ai pas beaucoup de regrets. Avec Beate, on a fait ce qu’on a pu. Nous avons fait juger les principaux responsables de la déportation des juifs de France. Nous avons contribué, je crois, à apaiser les relations entre l’Allemagne, la France et les juifs en obligeant nos voisins à faire ce qu’ils devaient faire : juger les criminels nazis et s’intéresser au sort de ces juifs que leurs parents, ou eux-mêmes, avaient peut-être persécutés. Cet intérêt pour les victimes de la Shoah s’est éveillé lentement et l’action de mon épouse auprès de la jeunesse allemande, pour combattre et éliminer les anciens nazis de la scène politique, fut déterminante ; la chute de la " grande coalition " conduite par l’ancien propagandiste nazi Kurt Kiesinger, au profit de Willy Brandt, en 1969, n’était pas jouée d’avance. Il y eut ensuite ce travail historique que j’ai conduit sur Vichy et Auschwitz, ces affaires judiciaires que nous avons initiées en France (Bousquet, Papon, Touvier, Barbi, Lischka…). Là encore, ce travail était nécessaire car le rôle de Vichy dans la Solution finale n’était pas inscrit dans l’Histoire. Tout ceci a pris beaucoup de temps mais voilà, c’est fait. Au final, je crois que ce travail a profité à la démocratie et à la vérité historique.



On vous doit aussi le Mémorial de la déportation des Juifs de France, qui liste nom par nom, convoi par convoi, les 80 000 victimes françaises de la Shoah…



Il a fallu, pour parvenir à ce recensement, compiler des dizaines de milliers de documents. Ça m’a pris vingt ans. Dans quelques mois, à la faveur du 70 e anniversaire du premier train français parti pour Auschwitz (27 mars 42), je publierai une nouvelle édition du Mémorial avec les états civils complets, les lieux d’arrestation, les numéros de convois empruntés par toutes les victimes françaises de la Solution finale.



Avez-vous eu le sentiment que ce travail ait pu dévorer votre vie ?



Certes, mais qu’a-t-il dévoré au juste ? Le temps ? Il aurait filé de toute façon ! Je n’ai pas le moindre regret d’avoir pris cette direction, avec Beate. Cela correspondait à notre destin, celui d’un juif français et d’une Allemande non-juive pressés par des événements exceptionnels. Alors non, je n’ai pas le sentiment de m’être laissé dévorer. Disons que j’ai eu une vie bien remplie !



Votre père fut arrêté sous vos yeux alors que vous aviez 8 ans. Cet épisode fut-il déterminant ?



Il a plutôt été arrêté sous mes oreilles puisqu’il nous avait cachés, avec ma sœur et ma mère, dans une armoire à double cloison. Déporté le 28 octobre 1943 (convoi n° 61), il est mort à Auschwitz. Ainsi, je me suis retrouvé dans la situation de tous les enfants juifs d’Europe de cette époque : pourchassé pour être assassiné. Évidemment, un tel événement vous marque pour toujours.



Tout a-t-il été dit sur la Shoah ?



« L’essentiel a été dit, les grandes synthèses ont été écrites. En revanche, il y a encore beaucoup à chercher sur l’histoire de la déportation dans telle ou telle ville, sur les conditions dont telle famille a pu être arrêtée, sauvée ou exterminée. Il reste aussi beaucoup d’archives à dépouiller à l’Est.



Qu’allez-vous faire maintenant ?



« Je me sens utile là où je suis, je n’ai pas envie de faire autre chose. Je m’occupe du Mémorial de Drancy et d’Aix-en-Provence (Les Milles), qui seront inaugurés en 2012. Il y a ces orphelins de la Shoah qui sont devenus vieux et sur lesquels nous devons veiller. Nous avons encore beaucoup de projets à la Fondation pour la mémoire de la Shoah et au sein de l’Association des fils et filles des déportés juifs de France… On construit une mémoire, on laisse un héritage, c’est ça l’important.



Propos recueillis par Nicolas Bastuck.



Photo : D.R.



Source : le Républicain Lorrain



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