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Publié le 26 Octobre 2009

Trois questions à Joël Kotek

Historien et professeur à l’Université Libre de Bruxelles, Joël Kotek répond sans détours à la newsletter du CRIF




1-Vous êtes un des auteurs du Dictionnaire de la Shoah, paru récemment aux Editions Larousse. En 2000, vous avez reçu le prix Chateaubriand pour votre ouvrage « le siècle des camps ». Rejoignez-vous l’écrivain Imre Kertesz qui déclare : « Notre époque n’est pas celle de l’antisémitisme mais celle d’Auschwitz » et induit que la tuerie de masse est l’aboutissement de la forme totalitaire de la discrimination qui dépasse l’expression primitive de l’antisémitisme, son archétype?



Imre Kertesz n'a pas tort. Avant d'être le siècle d'Auschwitz (et celui aussi paradoxalement des Droits de l'Homme), le 20ème est avant tout le siècle de l'homogénéisation ethnique. Il suffit de songer qu'il y a moins d'un siècle l'Europe, tout comme d'ailleurs l'espace méditerranéen, était parsemée de territoires et de villes mixtes. Songeons, ici, à Cernowitz, Prague, Wilna, là, à Alexandrie, Constantinople, Salonique ou encore Tanger. A l'exception notable de Beyrouth et de Jérusalem, toutes ces villes sont aujourd'hui tristement, banalement homogènes. En une génération, la diaspora juive (et grecque) s'est rétrécie comme peau de chagrin. Les Juifs ont presque totalement disparu d'Europe centrale et orientale comme du monde arabe (à 99%!).
Reste que l'antisémitisme reste le facteur explicatif indispensable pour comprendre l'obsession nazie à l'égard des Juifs et, de là, le basculement dans le génocide. Il n'y avait de « question » et/ou de « problème » juifs en Europe. Les Juifs européens n'aspiraient à rien, sinon à la tranquillité. L'antisémitisme est une construction sociale qui ne concerne que les seuls antisémites.



2- Votre champ de réflexion ne se limite pas à la Shoah mais s’élargit à la confrontation des autres génocides. Quel est l’objet de votre étude ? La banalisation du mal ? De ce que Churchill appelait « le crime sans nom » ?



L'histoire ne s'est pas arrêtée après Auschwitz. C'est ce qu'a confirmé le génocide des Tutsis du Rwanda. L’exemple du Rwanda le démontre à l’envi : à quoi sert le passé s'il se montre incapable de guider dans le présent ? Songeons que le 23 avril 1994, tandis que des centaines de milliers de Tutsi étaient assassinés parce que Tutsi, François Mitterrand inaugurait le Mémorial des enfants juifs d'Izieu au nom du… plus jamais ça. La France était alors le principal soutien au régime génocidaire rwandais. "C'est arrivé et tout cela peut arriver de nouveau, c'est le noyau de ce que nous avons à dire." Primo Levi ne voyait dans le nazisme ni un simple accident de parcours de l'histoire, ni le produit de la seule barbarie, mais au contraire un événement exemplaire à la fois humain et moderne.
Mon autre souci est de protéger le concept même de « génocide », de combattre l'usage politique, idéologique qui en est fait aujourd'hui. Le mot s'est en effet banalisé. Il est devenu synonyme de « crimes contre l'humanité », de « nettoyage ethnique », voire de simple répression ethnique. De par son caractère à proprement inouï, de par son intention radicale (il ne vise ni plus ni moins à l'anéantissement total du groupe cible visé), ce concept ne peut être réservé qu'aux seuls massacres systématiques de Herero (1904) (2), d'Arméniens (1915), de Juifs (1941- ) et des Tutsi (1994).



3- Vous avez étudié dans votre ouvrage Au nom de l’antisionisme, l’image des Juifs et d’Israël dans la caricature depuis la seconde Intifada la caricature arabe, qui n’a pour objet que d’accentuer des traits non pas réels, mais irrationnels et charriés par des mythes antisémites ancestraux. N’est pas une des expressions les plus aboutie de la passion antisémite ?



La caricature arabe contemporaine démontre à l'excès une réalité que feignent de nier de nombreux intellectuels occidentaux : celle d’un antisémitisme arabo-musulman qui se pose en avatar inattendu de l’antisémitisme occidental. C’est volontairement que j'utilise le terme « antisémitisme » : c’est le Juif, en tant que tel, qui est visé, attaqué et démonisé dans cette version arabe de l’antisémitisme traditionnel. La dénonciation à laquelle se livrent les caricaturistes arabes n'est en rien politique, pour être le platement raciste : derrière l’Israélien, c’est le Juif que l’on désigne, que l'on comme naguère en Europe, principe du mal absolu, en responsable des malheurs du monde. En ce sens ces caricatures peuvent être qualifiées de pré-génocidaires.



Propos recueillis par Stéphanie Dassa



(1) L’Holocauste comme culture Actes Sud avril 2009
(2) Sur ce sujet voir la Revue d’Histoire de la Shoah, n°189, Violences avant la Shoah



Photo (Joël Kotek) : D.R.


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