"Souad, dégage ! Dégage !" hurle une autre manifestante, écartée par la police. Souad Abderrahim, membre de la Constituante et du mouvement Ennahda, le parti islamique qui a raflé 89 sièges sur les 217 de l'Assemblée, arrive devant les grilles vertes du palais. Un violent mouvement de foule emporte alors les manifestants. Sur les visages, la colère est visible. "Au nom de toutes les femmes célibataires, dégage !" lance devant les caméras une femme, lunettes de soleil sur le nez et visage menaçant. Le 9 novembre dernier, cette élue avait fustigé les femmes célibataires sur la radio française diffusée en langue arabe, Radio Monte-Carlo Doulaya. "En tant que femme et musulmane, je suis là pour dire que Ennahda ne me représente pas", lance Nahed Nahi, une étudiante en biologie au visage poupon cerclé d'un voile turquoise.
À quelques mètres, une pancarte à la main dont le slogan défend l'égalité entre les hommes et les femmes et le Code du statut personnel (instauré en 1956 par Habib Bourguiba, il assure aux Tunisiennes un statut juridique enviable dans le monde arabo-musulman), Barka "veut dénoncer le double discours d'Ennahda". "Avant l'élection, ils tenaient un discours modéré, et maintenant, ils parlent de bâtard, de califat. On n'a pas lutté toute notre vie pour ça !" regrette cette militante au sein de la Ligue des droits de l'homme et de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD).
MANDAT D'UNE ANNEE
L'Association tunisienne des femmes démocrates, mais aussi Amnesty International ou encore le Mouvement du 24 octobre, et de nombreuses associations s'étaient déplacés pour faire entendre leurs voix. "Nous sommes là pour demander un mandat d'une année à l'Assemblée constituante (contre trois proposées actuellement, ndlr), pour demander que les débats soient retransmis à la télévision, pour demander le respect des libertés fondamentales, mais aussi pour rappeler que cette assemblée a été élue pour rédiger la Constitution", récite Olfa Lajili, la présidente du Mouvement du 24 octobre qui réunit plusieurs groupes qui ont participé à la révolution.
À l'issue de cette première journée, l'Assemblée a élu, avec 145 voix pour contre 68 pour sa rivale, Maya Jribi, du PDP, Mustapha Ben Jaafar, le dirigeant du parti Ettakatol (20 sièges), comme son président, conformément à l'accord de principe signé entre les trois partis vainqueurs, à savoir Ennahda, le CPR de Moncef Marzouki et Ettakatol. Cet accord prévoit notamment que Moncef Marzourki devienne le président de la République et Hamadi Jebali, le Premier ministre. Dans un premier temps, cette assemblée devrait s'atteler à la rédaction du premier article de la Constitution qui vise à définir l'identité du pays.
UN VOTE SANCTION
À l'écart de la manifestation, le docteur Ridha Ben Aïssa observe. Il dit avoir connu l'asile politique en France de 1999 à 2005 après avoir côtoyé Moncef Marzouki, pressenti au poste de président de la République, et Mustafa Ben Jaafar, élu dans la soirée du 22 novembre président de l'Assemblée constituante. Un costume trois-pièces, cravate nouée et documents sous le bras, il affirme que "la révolution a été confisquée par le courant islamique. J'ai vécu la révolution heure par heure et il n'y avait pas un seul islamiste dans les manifestations. Seulement des jeunes, des chômeurs, des contestataires. (...) Alors, oui, ils ont été élus, mais il s'agit d'un vote sanction. Le peuple a sanctionné l'ancien régime et les partis qui l'ont côtoyé, mais maintenant on ne va pas se laisser faire", lance-t-il tout en dénonçant le régime monocaméral prôné par le mouvement islamique.
Les cheveux grisonnants, une cigarette à la main de bon matin, Brigitte Mtimet, médecin à la retraite, ne partage pas vraiment cet avis. Venue dénoncer "cet islamisme rampant", elle admet qu'"Ennahda n'a pas confisqué la révolution. Je crois surtout que les choses sont différentes à Tunis et à l'intérieur du pays."
"Oui, ils ont remporté beaucoup de sièges et se sont octroyé beaucoup de postes-clés au sein du prochain gouvernement, mais beaucoup de personnes qui ont voté Ennahda le regrettent. On est là pour dire qu'ils ne feront pas ce qu'ils veulent, commente Mme Akrout. On a dit dégage une fois, on le redira."
Photo : D.R.
Source : le Point