Je continue à revoir des scènes de l’Achoura. Je n’y étais pas, mais je ressens ce que ça a dû être. Nous étions dans un coin et ils disaient ce qu’ils voulaient et faisaient ce qui leur plaisait devant nos propres yeux. Ils détruisaient tout. J’ai senti que nous n’avions personne vers qui nous tourner, nous étions seuls. J’avais l’impression que la poussière se soulevait. On ne voyait rien que la plaine en feu, la fumée et le sang... Je voulais pleurer mais je ne voulais pas qu’ils me voient pleurer. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour ne pas pleurer. La scène est toujours présente dans mon esprit. Je vois ces scènes plusieurs fois par jour, sentant à chaque fois l’étouffement provoqué par l’écrasement de ma poitrine. Je ne peux pas dormir. La boule présente sans arrêt dans ma gorge ne m’aide pas. Je ne sais pas pourquoi je ne peux pas oublier… Ce sont les mots de ma mère, une mère malade, encore sous le choc et incapable de manger bien que plusieurs jours se soient écoulés depuis l’attaque de leur maison. Sans même s’en rendre compte, elle reste assise dans un coin et pleure pendant des heures… Mon père lui non plus n’a plus ni sommeil ni repos de l’esprit depuis ce jour. Il tente de se calmer et de calmer les autres membres de la famille. Il essaie même de l’encourager. Il est plus silencieux que d’habitude et il garde pour lui toutes ses douleurs récentes. Je crains qu’il ne soit de nouveau hospitalisé dans les jours qui viennent... Mes parents ne font pas de politique. A l’apogée de mes années d’études, il est souvent arrivé que nous soyons en désaccord, de la même façon, ils étaient avec moi quand j’ai subi l’injustice et les exactions et ils m’ont soutenu après mon arrestation en 2008, ils sont maintenant à mes côtés...
Mercredi 5 janvier, aux environs de 8h30 du matin, plusieurs personnes ont fait irruption dans la demeure de mon père à Shiraz. Leur conduite était agressive. Ils faisaient fi de tout respect pour l’humanité et ont mis notre maison à sac. Ils ont confisqué tous les papiers, documents, tracts, livres, ordinateurs, CD, etc. Ils ont brisé les serrures des placards, cherché sous les tapis et les canapés, jetant étagères et tiroirs sur le sol et s’assurant que rien ne restait à sa place. Ils ont pris tout ce qu’ils ont trouvé, y compris les documents dont un de mes frères a besoin pour préparer son examen d’entrée à l’université. Ils ont même confisqué tous les documents de recherches et de projets scolaires de mon autre frère qui s’apprête à terminer un semestre à l’université... Les agents du ministère du renseignement… ont convoqué mon frère aîné au ministère du renseignement (plus connu sous le nom de n°100) à Shiraz. Ils lui ont expliqué que s’il n’arrivait pas très vite, nos parents seraient eux aussi arrêtés. Mon frère est arrivé au ministère du renseignement peu après 11h00 et les agents du ministère ont finalement quitté notre maison. Mon frère a été interrogé pendant cinq à six bonnes heures. Ils lui ont demandé pourquoi mon père avait rencontré Monsieur Karroubi et Monsieur Nourizad. Ils voulaient savoir pourquoi mes amis étudiants venaient à la maison, pourquoi madame Mohtashamipour était à la maison il y a deux semaines. Ils demandaient pourquoi mes parents avaient parlé à Messieurs Moussavi et Karroubi, et à Mesdames Rahnavard et Ebadi, quand ils nous ont parlé au téléphone à la maison. Ils ont demandé pourquoi des messages de soutien et d’encouragement nous parvenaient sans arrêt de l’étranger. Ils voulaient savoir pourquoi des lettres et des cartes postales nous étaient adressées par des Iraniens et des non-Iraniens. Ils ont demandé pourquoi des déclarations de prisonniers politiques continuaient d’être publiées et voulaient savoir qui les écrivaient. Ils voulaient connaître tous les contacts de ma famille et les miens. En bref, ils nous menaçaient autant que possible et exigeaient que mon frère n’ait plus aucun contact avec quiconque et qu’il arrête de commenter ma situation en prison. A la fin, ils lui ont fait signer une déclaration qui disait qu’il acceptait tout ce qui précède...
En conclusion, je voudrais répéter que ma famille n’a pas peur de faire face à des difficultés. C’est ma demande, pas la leur. Je sais que des jours encore plus difficiles nous attendent et que nous ferons ce voyage que nous avons commencé ensemble jusqu’au bout. Ma famille, après ma seconde libération en juin 2008 m’a permis de continuer à militer. Je suis absolument certain que le soutien le plus important lors de ce voyage viendra encore de nos familles…
Madjid Tavakoli depuis la Prison de Radjaï Shahr, janvier 2011
Photo : D.R.
Source : Collectif solidarité Iran Paris