- English
- Français
Pourriez-vous nous parler des communautés juives au Canada et au Québec? Comment fonctionnent-elles? Comment sont-elles organisées?
Le Canada compte environ 375 000 citoyens de confession juive. La grande majorité d’entre eux vivent en Ontario et au Québec, Toronto, Montréal et Vancouver étant les principaux foyers de la vie juive au Canada. De plus petites communautés existent toutefois dans l’Ouest canadien et les provinces atlantiques.
Montréal est le berceau historique de la communauté juive canadienne. C’est dans la métropole québécoise que fut fondée en 1768 la première congrégation juive par des sépharades et que sont nées au 19e siècle et au début du 20e siècle les premières grandes institutions philanthropiques et organisations de représentation qui structureront la vie communautaire juive.
La communauté juive canadienne est organisée en fédérations régionales responsables de rassembler les ressources financières et humaines pour assurer de nombreux services taillés sur mesure pour répondre aux besoins des communautés locales. Ce système de proximité encourage le bénévolat et assure une vie communautaire très dynamique dans laquelle s’implique, par ses dons ou par son temps, une majorité de Canadiens de confession juive.
A Montréal, la Fédération CJA propose une vaste gamme de services sociaux, de programmes culturels et de projets éducatifs par l’entremise d’une douzaine d’agences communautaires qui travaillent toutes à rehausser la qualité de vie juive et à pérenniser une identité juive forte et engagée dans la société québécoise. A titre d’illustration de la vitalité de la vie communautaire juive au Québec, la Fédération CJA organise cette année, entre autres activités pour célébrer son centenaire, une mission de solidarité en Israël à laquelle participeront quelque huit cents Juifs québécois.
Notre organisme, le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (mieux connu sous son acronyme anglais CIJA), est mandaté par les Fédérations juives canadiennes pour représenter les intérêts de la communauté juive institutionnelle auprès des divers paliers gouvernementaux, des médias et de la société civile.
L'antisémitisme est une réalité en France et les actes antisémites ont augmenté profondément mais irrégulièrement en fonction des années, depuis 2000. Qu'en est-il au Canada ? Quels sont les problèmes que vous rencontrez ordinairement ?
Évidemment, aucun pays n’est entièrement libre d’antisémitisme. Ceci étant dit, nous avons le privilège, au Canada et au Québec, de vivre dans des sociétés où l’antisémitisme n’a jamais été une force politique, majeure ou mineure, et où l’antisémitisme classique est largement confiné aux marges de la société.
Ce qui ne signifie pas que la vigilance n’est pas de mise. D’une part, les rapports annuels du gouvernement canadien sur les crimes haineux démontrent que, bon an, mal an, les Juifs canadiens demeurent le groupe le plus ciblé par les crimes haineux motivés par la religion. D’autre part, nous observons depuis plusieurs années, comme en France, un lien de causalité entre l’exacerbation ponctuelle du conflit israélo-arabe et la hausse sporadique d’incidents antisémites au Canada.
Lors des conflits armés entre le Hamas et Israël, nous sommes régulièrement témoins de manifestations organisées par de grandes centrales syndicales où les slogans antisémites et djihadistes scandés en arabe sont monnaie courante. Il reste toutefois que les agressions physiques contre des Juifs sont rarissimes et que le climat social canadien demeure relativement paisible. Au Québec et dans tout le pays, les Juifs n’ont pas à craindre pour leur sécurité physique comme c’est tristement souvent le cas en Europe. Cependant, la communauté juive québécoise, qui se sent très proche des Juifs français, ne peut faire autrement, toutes proportions gardées, qu’établir un lien entre ces manifestations d’antisémitisme lié au conflit israélo-palestinien et la dégradation du climat en France.
Je me dois de souligner que les autorités canadiennes et québécoises ne sont pas insensibles au phénomène. Comme l’a récemment déclaré notre vice-présidente Eta Yudin, le maire de Montréal Denis Coderre fait preuve de leadership en matière de lutte à l’antisémitisme. L’attentat de l’Hypercacher l’a profondément marqué et lui a inspiré la tenue d’une journée de délibérations sur l’antisémitisme contemporain avec la participation d’experts, du CRIF, du B’naï Brith France et du CIJA au terme de laquelle le maire a déclaré que la délégitimation d’Israël constitue l’un des principaux vecteurs de transmission de la détestation des Juifs. Monsieur Coderre dénonce régulièrement toute forme d’antisémitisme et manifeste sa ferme opposition à BDS. Nous nous réjouissons, d’ailleurs, qu’il sera honoré par le B’naï Brith France, ce week-end, à Nice.
La communauté juive est très préoccupée par le climat anti-Israël qui règne dans quelques campus universitaires au pays. Bien que la campagne BDS soit loin de recueillir des appuis massifs au sein des populations étudiantes, elle est néanmoins portée par une minorité agissante qui cherche à noyauter les organes de représentation étudiants. Il en résulte un climat souvent intimidant pour les étudiants juifs dans certains campus canadiens, ce qui mobilise le CIJA et toute la communauté à apporter leur soutien aux efforts des étudiants juifs et pro-israéliens pour garder en échec la campagne BDS.
Le rejet de BDS et de la délégitimation d’Israël fait largement consensus au sein des classes politiques canadienne et québécoise et la compréhension que la haine des Juifs se drape aujourd’hui dans des discours antisionistes radicaux est répandue. Toutefois, nous déplorons des dérapages fréquents dans les médias et investissons des efforts considérables, non sans succès, pour sensibiliser la classe médiatique à la différence entre la critique légitime de politiques israéliennes et les discours qui projettent sur Israël, à titre de « Juif collectif », les fantasmes maléfiques de l’antisémitisme classique. Sur les campus, les étudiants réunis aux seins des associations Hillel (grosso modo, l’équivalent de l’UEJF) sont le fer de lance de la lutte contre BDS et de la formation de coalitions avec d’autres associations étudiantes.
On dit que les gouvernements canadiens qui se sont succédé ces dernières années sont ou seraient bienveillants à l'égard d'Israël? Est-ce exact?
Le Canada a de tout temps entretenu des relations cordiales avec Israël. Par exemple, l’Accord de libre-échange Canada-Israël (1996) est le premier accord de libre-échange conclu par le Canada avec un pays à l’extérieur de l’hémisphère occidental.
Il n’en demeure pas moins que le Canada et Israël connaissent effectivement un important rapprochement depuis plusieurs années. S’il peut s’avérer hasardeux de dater précisément ce réchauffement des relations canado-israéliennes, on peut s’aventurer à dire, sans se tromper, que la déclaration du Premier ministre Paul Martin en 2005, « les valeurs d’Israël sont les valeurs du Canada », en constitue un moment fort. C’est d’ailleurs sous le gouvernement libéral de Paul Martin que le Canada a commencé à modifier son vote d’abstention sur les résolutions anti-israéliennes de l’Assemblée générale de l’ONU pour désormais s’y opposer. Les années du gouvernement conservateur de Stephen Harper ont été marquées par une défense vigoureuse du droit et du devoir inaliénables d’Israël de défendre sa population lors des guerres provoquées par le Hezbollah et le Hamas, de même que par une position de principe ne tolérant aucune forme de relativisme moral entre la démocratie israélienne et ses ennemis terroristes.
Si les relations ont été chaleureuses sous les gouvernements de Paul Martin et de Stephen Harper et le demeurent, aujourd’hui, sous Justin Trudeau, la politique canadienne traditionnelle à l’endroit du conflit israélo-arabe n’a pas changé pour autant et maintient le cap sur la mise en œuvre d’initiatives susceptibles de favoriser un regain de confiance mutuelle entre Israël et les Palestiniens. Ce qui est relativement nouveau dans la relation, ce sont plutôt une plus grande empathie pour les défis sécuritaires d’Israël, une compréhension approfondie des valeurs démocratiques fondamentales qui unissent les deux pays et un intérêt croissant pour l’écosystème scientifique et technologique israélien.
Le Canada est en effet très inspiré par le modèle israélien de recherche et innovation. Les partenariats entre les universités canadiennes et israéliennes se multiplient et les délégations commerciales canadiennes se succèdent à un rythme effréné. Juste en 2016, la Premier ministre de l’Ontario, le ministre des Finances de la Colombie-Britannique, le maire de Montréal et le maire de Toronto ont dirigé des délégations commerciales en Israël. Et alors que les ententes de coopération entre le Québec et Israël célébreront cette année leurs 20 ans, le Premier ministre du Québec mènera une importante délégation en Israël au mois de mai prochain. On le voit, Israël est un partenaire commercial et scientifique très recherché au Canada et BDS est impuissant à éroder les relations privilégiées entre les deux pays.
Les attentats qui ont été perpétrés en France depuis 2012 vous inquiètent-ils? Comment gérez-vous cette problématique au Canada?
Pour des raisons historiques, culturelles et linguistiques évidentes, les attentats djihadistes en France, en particulier depuis janvier 2015, ont eu une importante résonance au Québec. De même, les débats français sur la laïcité, l’identité nationale et l’islamisme influent sur nos propres débats québécois. Nous avons même eu notre propre controverse sur le burkini l’été dernier.
A l’exception d’un attentat à la voiture-bélier en 2014 qui a tué un soldat et blessé un autre, le Québec a été relativement épargné par les attentats djihadistes. Toutefois, des attentats planifiés en sol québécois ont été déjoués et plusieurs Québécois ont rejoint les rangs de Daech ou tenté de le faire. De telle sorte que la question de la radicalisation et de la violence islamistes se pose au Québec, comme ailleurs en Occident.
Ceci étant dit, le terreau du terrorisme islamiste est, pour l’heure, vraisemblablement moins fertile au Québec qu’en Europe. Sans vouloir réduire les facteurs de radicalisation islamiste aux seuls indices socio-économiques, il reste que le Canada et le Québec ne connaissent pas d’enclaves ethno-religieuses tel qu’il en existe en Europe et que les sentiments d’aliénation vis-à-vis la communauté nationale sont moins répandus chez nous.
Pour répondre aux défis posés par le terrorisme islamiste, le Canada a renforcé en 2015 sa législation antiterroriste, une mesure que nous avons soutenue, de manière à faciliter le partage des renseignements entre les diverses agences gouvernementales, à criminaliser diverses formes de soutien au terrorisme, dont la propagande, et à étendre les pouvoirs du Service canadien du renseignement de sécurité. En parallèle, divers projets de prévention de la radicalisation ont été mis sur pied qui cherchent, d’une part, à comprendre les processus de radicalisation, et de l’autre, d’intervenir auprès d’individus à risque.
Pour le CIJA, il est impératif que la recherche et la prévention en la matière prennent en compte l’antisémitisme à la fois comme une prédisposition à la radicalisation et un symptôme précoce de celle-ci.
Pour aller plus loin :
Le site Internet du CIJA:
Le communiqué de presse du CIJA en date du 29 janvier 2017. La communauté juive horrifiée par la fusillade dans une mosquée de Québec :
Le Québec, nouvelle terre d'accueil des juifs français:
http://ici.radio-canada.ca/
Portail Québec:
http://www.gouv.qc.ca/FR/