Le Crif interroge l’historienne Valérie Igounet, chercheuse associée à l’Institut d’histoire du temps présent.
Question : Après avoir publié "Le Front national. De 1972 à nos jours. Le parti, les hommes, les idées", aux Editions du Seuil, vous publiez un nouvel ouvrage intitulé "Les Français d'abord. Slogans et Viralité du discours du Front national (1972-2017)’’, aux Editions Inculte. On comprend que vous voulez retracer à travers les slogans qui dans cette formation tiennent lieu de programme, une histoire de ce parti et de ses idées politiques...
Oui. C’est ce que j’ai voulu faire. Il s’agit de parler du FN autrement : à travers les principaux slogans du FN, ces petites phrases qui traduisent les thématiques pérennes et phares du parti assorties d’affiches et de tracts internes. Car dans une formation politique, il n’y a pas que la sémantique. Le visuel compte énormément.
Prenez, par exemple, la thématique de l’avortement. Le FN se bat contre l’IVG dès le milieu des années 1970. En même temps, ce combat en sous-tend d’autres. Par exemple, le FN prend prétexte de la condamnation de l’IVG pour diffuser le négationnisme. Il n’y a pas, seulement, les nombreuses attaques ad hominem contre la Ministre de la santé, mais aussi à l’encontre de l’ancienne déportée Simone Veil, surnommée « Mme Avortement ». La représentation de cette femme est parlante :
Les mots ne sont pas choisis au hasard. La sémantique utilisée renvoie à l’histoire de la Shoah et à la thématique du complot juif. La loi sur l’IVG, souligne le FN des années quatre-vingt, n’a pas été uniquement mise en œuvre par des « forces occultes ». Elle doit être perçue comme une « bataille dans la guerre d’extermination menée contre le peuple français », comme une « politique de génocide visant à assassiner notre peuple pour le supplanter par des masses d’allogènes hébétés ».
Question : Est-ce à dire que le FN, malgré ses contorsions, ses ruptures ses conflits internes, a conservé le socle idéologique qui l'a fondé ?
Oui. Son marqueur phare la « préférence nationale » - rebaptisé par Marine Le Pen « priorité nationale » - traverse l’histoire du parti… comme ceux, par exemple, se rapportant à la lutte contre l’immigration associée au chômage et à l’insécurité. « Halte au chômage, le travail aux Français », « 1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés de trop ! La France et les Français d’abord ! », « Inch’Allah ! Dans vingt ans, c’est sûr, la France sera une république islamique », « Nationalité, assimilation, ascenseur social, laïcité. Droite, gauche, ils ont tout cassé ! », « Stop à la submersion migratoire » nourrissent cette thématique et parcourent plus de quatre décennies d’histoire du FN. Ils montrent l’évolution mais aussi les tâtonnements du parti sur ce sujet. Certains slogans apparaissent à des moments précis dans l’histoire du Front national comme le « ni droite, ni gauche » lancé par Samuel Maréchal dans les années 1990 ou, encore, ceux s’appropriant et récupérant des thématiques et figures de la gauche française.
Le FN de Marine Le Pen campe sur ses fondamentaux et impose deux marqueurs : la lutte contre le mondialisme économique et l'islam. Le message frontiste se résume désormais à ce double thème : le danger islamiste s’oppose aux valeurs laïques véhiculées par la démocratie, fondements de la République française. La stigmatisation des musulmans fait de l’islam et de la République deux entités incompatibles. L’ennemi affiché du FN des années 2010 n’est plus le juif mais le musulman. Ceci étant dit, et mises à part quelques contextualisations - notamment dans les domaines économiques, géopolitiques et sémantiques –, le logiciel idéologique frontiste perdure.
Question : Au fond ce que vous voulez démontrer, c'est la viralité du discours FN et sa capacité de "contamination" ?
J’ai également désiré, dans le dernier chapitre, revenir sur cette contamination politique et sémantique droite-FN. Elle ne date pas de la campagne présidentielle de 2007. Cette histoire commence réellement au début des années 1980, au moment de l’émergence électorale du FN. Par contre, 2007 représente une coupure. La notion d’identité nationale imprègne le débat politique pendant cette campagne présidentielle.