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Publié le 20 Décembre 2019

Actualités des régions - Le Crif Auvergne-Rhône Alpes a reçu le directeur du Musée d’Auschwitz, Piotr Ciwinski

Le 10 décembre 2019, le directeur du Musée d’Auschwitz, Piotr Ciwinski, et madame la Consule de Pologne, Joana Kozinska-Frybes, ont été reçus par le Crif Auvergne Rhône-Alpes.

Après une présentation du parcours de notre invité récemment honoré de la Légion d’honneur, historien, écrivain, engagé également dans l’éducation, Piotr Ciwinski est intervenu en tant que directeur du musée d’État (ministère de la culture et du patrimoine national) d’Auschwitz depuis 2006.

Nicole Bornstein, Président du Crif Auvergne-Rhône-Alpes a rappelé le contexte de recrudescence du racisme et de l’antisémitisme, des populismes et de l’extrême droite en France et en Europe. Elle a souligné le caractère métonymique d’Auschwitz et s'est interrogé sur le devenir du site, sur sa conservation, au vu d’une fréquentation qui ne cesse d’augmenter et qui n’est pas toujours respectueuse du plus grand cimetière à ciel ouvert du monde.

Piotr Ciwinski a répondu en présentant les enjeux patrimoniaux, mémoriels, collectifs et individuels, qui se jouent à Auschwitz. Il a successivement abordé trois sujets :

  • Il a commencé par le sujet de la fréquentation qui ne cesse d’augmenter.

2, 5 millions de visiteurs pour l’année 2019 contre 500 000 en 2003, imposent de réguler les entrées à un millier par heure sur le site afin de sécuriser les passages dangereux (escaliers, couloirs…) et d’améliorer la qualité de la visite qui ne peut être suffisante au vu de la « masse ». Les visiteurs sont d’origines différentes, de plus ils ne sont pas tous apparentés dans leur histoire personnelle à la Shoah. Par exemple, cette année 40 000 Coréens du sud ont visité le site et chaque année ils sont de plus en plus nombreux.

Il ajoute que la plupart des visiteurs sont des jeunes qui se comportent en jeunes venant de pays et de cultures très différents, mais ils sont mieux préparés que dans les années 1990 notamment grâce à un matériel pédagogique de qualité, de plus en plus diversifié et accessible. D’ailleurs, le musée essaie de savoir à l’avance les caractéristiques de chaque groupe afin de répondre au mieux à leurs attentes ; c’est pourquoi il emploie 340 guides qui s’expriment en 21 langues. (Au total le musée emploie un peu plus de 400 personnes)

La question de l’éducation est centrale mais il faudrait inscrire l’histoire de la Shoah dans des enseignements plus larges que les cours d’Histoire, en interdisciplinarité et en relation avec ce qui se fait aujourd’hui et ce que vivent les jeunes : l’éthique, la religion, les sciences sociales etc., pour que cela serve dans le monde d’aujourd’hui. Il ne faut pas cantonner Auschwitz à l’Histoire mais le projeter dans le présent face aux négationnistes, aux populistes, aux extrémistes et au génocide en cours comme celui des Rohingas.

  • Ensuite Piotr Ciwinski a abordé la question de la conservation et de son coût

Impérieux de trouver des techniques qui garde l’authenticité du site et des objets. Car « Auschwitz-Birkenau n’a pas été construit pour durer » et c’est tout l’enjeu de la mission du musée. Les problèmes sont nombreux et variés mais deux d’entre eux se sont révélés récurrents, urgents et absolus. D’une part la nécessité de stabiliser le terrain sur lequel est bâti Auschwitz-Birkenau et d’autre part la conservation qui fait appel à des spécialistes de tous pays et de toutes matières à conserver (bois, métal, cuir, tissu, cheveux etc…) sont aujourd’hui les priorités. Si la conservation est un sujet central depuis 2003, il a fallu attendre 2006 pour qu’un premier laboratoire de conservation soit créé. Mais cette recherche, qui est lente, est onéreuse.

  • Enfin le directeur du musée d’Auschwitz a expliqué que, pour avoir suffisamment de fonds, il avait fallu créer une Fondation.

Elle regroupe aujourd’hui 38 pays et elle s’est fixée un fond de 120 millions d’euros avec des obligations à intérêt, dans la perspective de pouvoir débloquer chaque année 5 millions d’euros pour financer les travaux. Mais la crise de 2008 a ralenti le fond d’investissements qui va « heureusement être comblé par la promesse récente d’Angela Merkel de verser 60 millions d’euros dans les deux ans à venir ».

Ainsi le projet de conservation de grande ampleur est relancé depuis peu. Du point de vue technique, le musée va donner la priorité aux objets qui ne peuvent pas attendre - bâtiments de Birkenau qui tombent en ruine. À ce jour seulement 2 baraques ont été réhabilitées et 3 sont en cours de réhabilitation depuis le début de l’année.

 

Les questions qui ont rythmé cette rencontre ont été très variées. Elles ont porté sur la formation des guides, l’éducation des Polonais à la Shoah et la place de ce sujet dans les enseignements, l’intérêt des Polonais pour visiter Auschwitz ou d’autres sites, la part de responsabilité des Polonais dans la Shoah, la numérisation des fonds d’archives du musée et bien d’autres.

La désacralisation du site est également une préoccupation exprimée avec la question de la protection des alentours du site pour éviter la multiplication des résidences notamment. À ce jour les lois qui protègent le site comme patrimoine mondial ne peuvent s’intégrer dans la législation polonaise qui ne protège qu’un périmètre de 500m autour du site.

Pour conclure Piotr Ciwinski a souligné qu’Auschwitz seul ne suffit pas à incarner la terrible histoire de la Shoah. Il faut donner aux visiteurs une information à la fois historique, technique, factuelle, chronologique sérieuse fondée sur les témoignages, les documents et l’archéologie.

Le lendemain Nicole Bornstein a été invitée au consulat de Pologne qui organisait un dîner en l’honneur du directeur d’Auschwitz et en présence des autorités civiles et religieuse de la ville. Musique Klezmer, mets traditionnels de la cuisine juive, juive polonaise et polonaise préparés par des chefs polonais spécialement venus de Pologne nous ont été offerts avec une générosité appréciée par les convives. Un vrai festin à la veille des fêtes de Hanoucca et Noël dont la consule a voulu nous honorer.