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« La religion est bonne pour la personne et la communauté, mais pas pour la société » (Dalaïlama, National Prayer Breakfast Washington, 2015). Lors de ce rassemblement américain et mondial d’hommes et de femmes politiques de toute conviction et de tous bords, dont le Président des Etats-Unis, donnant une place particulière à certains enseignements de Jésus de Nazareth, le Dalaïlama a fait profession de sagesse en précisant, au fond, la signification fondamentale de ce que nous appelons en France laïcité.
En effet, le Dalaïlama parle ici la langue des sciences sociales et humaines pour décrire le rôle de la religion dans la vie personnelle et collective et ce faisant, il s'adresse au monde global.
1 – La communauté et la société sont des noms de collectivités humaines. Communauté et société caractérisent le lien social dans deux directions différentes. La communauté souligne les choses communes qui forment un groupe, la société souligne la diversité qui rend un groupe capable d'autonomie, comme le rappelle l’anthropologue Maurice Godelier.
Pour prendre une comparaison, une communauté ressemble à un Ego collectif et une Société comme un Soi collectif. Une communauté aide – ou doit aider – les personnes à se construire en tant que personnes à travers un « nous » et une société aide – ou doit aider – l'individu à franchir les frontières des communautés en direction des valeurs universelles, jusqu’à la société des Nations Unies, qui construit – ou doit construire – la fraternité de la famille humaine.
2 – Gays, musulmans, Juifs, chrétiens, personnes de couleur, etc. peuvent se comprendre comme membres de communautés dans la société française. Une société mettant les gays hors la loi est oppressive : l'hétérosexualité n'est pas un bien commun pour tous ! Cependant, les gays ne constituent pas une société, c’est-à-dire un groupe humain qui a pas les moyens de son autonomie. Comme il n’existe ni une nation musulmane ni une nation chrétienne, ces deux communautés ne peuvent pas construire des sociétés sans être oppressives pour les autres citoyens - comme nous l'avons appris du passé et du présent. C'est le principal argument en faveur de la sécularisation des Etats. L'Etat d'Israël est une tentative de construire une société sécularisée basée sur la nation juive, qui se veut respectueuse du lien entre le peuple juif et la religion juive mais aussi de l'existence de personnes et de communautés religieuses différentes.
3 – Les religions produisent du commun entre les humains : des traditions, des rites, des prières, des écrits, des services sociaux, des édifices, des calendriers, des agendas, etc. Religio signifie bien en latin relier (religare) et relire (relegere). Une religion crée des liens, brise les solitudes, relient les gens au cosmos de génération en génération…. Elles construisent des communautés... et ainsi séparent l'humanité en différents groupes religieux, qui rendent souvent leurs différences sacrées et potentiellement violentes.
4 – Les frontières ne sont pas de mauvaises choses. Une société composée de nombreuses personnes issues d'une seule communauté – qu’elle soit ethnique, linguistique, historique, religieuse, etc. – sera moins motivée par la liberté individuelle et l'autonomisation des personnes. Mieux vaut une société composée de gens de communautés différentes qu’une société homogène, comme nous l'avons appris de l'histoire du christianisme médiéval ou des états islamiques modernes. La diversité sociale est meilleure pour éduquer, pour commercer, pour innover, pour accomplir chacun. La diversité est difficile à vivre, mais plus réaliste. La ségrégation ethnique, politique, sexuelle ou religieuse est un processus sans fin, comme le terrorisme de Daech, une fois de plus, le révèle.
5 – Une société est constituée à partir de et à travers une diversité de personnes et de communautés qui aident les personnes à participer au Bien commun. Les communautés sont bonnes pour que les individus s’intègrent dans la société, si et seulement si elles pratiquent le dialogue amical et l'échange de dons : des intellectuels croyants comme Jean-Paul II, Emmanuel Levinas, Abdennour Bidar l’ont montré. L'individu ou les communautés autocentrées contredisent la nature de la personne, qui est relationnelle et ouverte aux valeurs universelles par l'intermédiaire de valeurs particulières. Les religions, au pluriel, sont bonnes pour la société si chacune d'elles accepte de ne pas s’occuper seulement des problèmes de sa communauté, mais aussi de s’ouvrir aux questions communes de la société. Les religions responsables du Bien commun sont seules capables de découvrir qui elles sont parce qu’on ne se connaît que par l’autre, dans une amitié fraternelle à construire, et parce que toute personne est supérieure à sa religion
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Cet article a été rédigé pour la revue annuelle 2017 du Crif. Nous le reproduisons avec l’aimable autorisation d’Antoine Guggenheim que nous remercions.