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Publié le 31 Décembre 2015

Boris Cyrulnik: «La menace terroriste renforce notre solidarité»

Pour le psychiatre français miraculé de la Shoah, les attentats du 13  novembre n’ont pas conduit à la soumission. 

Propos recueillis par Robert Habel, publié dans l'Illustré.ch le 30 décembre 2015
 
Les attentats de Paris ont-ils changé notre vie quotidienne?
 
Dans nos comportements quotidiens, par exemple ici, à Toulon où j’habite, je dirai que ça n’a pas changé grand-chose. Mais ça a changé la vie, bien sûr, pour les familles des victimes et pour tous ceux qui habitent dans les quartiers de Paris où le massacre a eu lieu. Ils pensent beaucoup plus à l’attentat que nous. Ça change aussi la vie, mais beaucoup moins, pour les gens qui avaient l’habitude d’aller dans les théâtres, les cinémas, les stades de football. Ils y sont allés un peu moins mais, s’il n’y a pas rapidement un nouvel attentat, ils vont rapidement oublier. A Paris, vendredi soir, pour la sortie de Star Wars, il y avait des queues de plusieurs kilomètres. 
 
Donc on réagit plutôt bien?
 
Les attentats ont provoqué un effet qui n’était pas celui voulu par les terroristes: ils ont renforcé un sentiment de solidarité entre les Français. Ils ont donné l’occasion aux Français musulmans d’être reconnus et acceptés enfin comme de vrais Français, puisqu’ils ont condamné les attentats et pris le parti de la France. L’enjeu du terrorisme, c’est de provoquer un chaos, parce que quand un peuple vit dans le chaos, il espère un sauveur et, à ce moment-là, il vote démocratiquement pour un dictateur. Hitler a été élu, Pétain a été élu… 
 
On ne ressent pas désormais un sentiment de précarité?
 
Ça dépend de la manière dont les journalistes, les politiques, les philosophes vont rapporter les événements et les transformer en récits. Si les récits expriment un message clair, à savoir «On ne sera pas revanchard, on n’aura pas de haine, mais on ne se soumettra pas», ce sera un message glorifiant. Dans ce cas, cette attaque pourra être transformée et retournée de manière positive. Beaucoup de peuples, les juifs, les Arméniens, ont survécu parce qu’ils se sont solidarisés face à une attaque. S’ils avaient été moins agressés, ils se seraient probablement dilués dans la société. 
 
Les attaques ont renforcé la volonté de résistance?
 
Elles ont provoqué ce qu’on appelle, dans nos théories psychologiques, un activateur d’attachement. Si l’on est toujours sécurisé, sans événement dramatique, sans angoisse, sans crainte, on finit par être un peu écœuré. Je voudrais vous proposer une comparaison. Il y a des adolescents qui disent: «Maman, lâche-moi les baskets, j’en ai marre, tu me gaves.» Les parents sont gentils, dévoués, et ils sont malheureux de voir que leurs adolescents les envoient promener alors qu’ils leur ont consacré leur vie. Quand une épreuve apparaît, que ce soit une épreuve familiale ou politique, ça active l’attachement: les gens sont obligés de se rapprocher pour se protéger. C’est ce qui est en train de se passer: on ressort les drapeaux français, on revalorise la Marseillaise. 
 
On dépasse la peur?
 
Il y a une minorité islamiste radicalisée: 2000 gosses français qui sont déjà partis faire leur djihad et 6000 à 8000 qui sont en attente. Ça fait une armée, quand même! Des gamins et des gamines qui sont prêts à mourir pour ce que j’appelle une escroquerie religieuse. Ils ne savent même pas ce qu’est l’islam, ils se sont convertis en un geste, ils vont mourir pour Allah… C’est stupide! Autour de moi, en tout cas, personne n’a peur, même s’il y a sûrement d’autres attentats en préparation. La mémoire ne devient longue que si les morts sont héroïsés ou mythifiés... Lire l'intégralité.