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Début décembre 2017, nous avons appris avec stupeur que Gallimard projetait de rééditer au printemps 2018 les trois pamphlets racistes, antisémites et prohitlériens de Louis-Ferdinand Céline. Nous sommes nombreux à éprouver une légitime inquiétude à l’idée que ces textes appelant à la haine contre les Juifs et d’autres groupes humains puissent être en vente libre sur le territoire français. Co-auteurs d’un ouvrage qui a fait date, Céline, la race, le Juif. Légende littéraire et vérité historique, publié chez Fayard en février 2017, Annick Duraffour et Pierre-André Taguieff ont bien voulu répondre à nos questions. Nous faisons suivre leurs réponses par le long entretien qu’ils nous avaient accordé peu après la parution de leur ouvrage, qui, en raison des révélations qu’il contient et de ses analyses rompant avec la vulgate célinophile, a suscité une vive polémique.
Question. Quelle est votre position sur le projet d’une réédition chez Gallimard au printemps 2018 des trois pamphlets antisémites de Céline ?
Pierre-André Taguieff. On est tout d’abord en droit de s’interroger sur cette publication, ses modalités et sa nécessité. Elle a été récemment autorisée, nous dit-on, par Lucette Destouches, la veuve Céline, âgée de 105 ans et dans un état de dépendance tel que trois personnes se relaient 24h sur 24 pour prendre soin d’elle. Elle n’aurait plus aujourd’hui que de brefs moments d’éveil. Après avoir refusé jusqu’ici la réédition des pamphlets, conformément à la volonté de son défunt mari, elle aurait brusquement changé d’avis après mûre réflexion. Voilà qui est peu vraisemblable. Mais l’on peut faire confiance à Maître Gibault, son avocat céliniste, pour la conseiller utilement. Jusqu’ici, Maître Gibault considérait cependant qu’une réédition des pamphlets « serait tout à fait inopportune », selon ses propres termes. Pour ceux qui ne connaîtraient pas la position de Lucette Destouches sur la question, rappelons la déclaration – rapportée par Véronique Robert dans Céline secret (Paris, Grasset, 2001, pp. 128-129) – dans laquelle elle résumait ses arguments contre une réédition :
« Aujourd’hui ma position sur les trois pamphlets de Céline : Bagatelles pour un massacre, L’École des cadavres et Les Beaux Draps, demeure très ferme. J’ai interdit leur réédition et, sans relâche, intenté des procès à tous ceux qui, pour des raisons plus ou moins avouables, les ont clandestinement fait paraître, en France comme à l’étranger. Ces pamphlets ont existé dans un certain contexte historique, à une époque particulière, et ne nous ont apporté à Louis et à moi que du malheur. Ils n’ont de nos jours plus de raison d’être.Encore maintenant, de par justement leur qualité littéraire, ils peuvent, auprès de certains esprits, détenir un pouvoir maléfique que j’ai, à tout prix, voulu éviter. J'ai conscience à long terme de mon impuissance et je sais que, tôt ou tard, ils vont resurgir en toute légalité, mais je ne serai plus là et ça ne dépendra plus de ma volonté. »
On s’interroge ensuite sur les raisons qui ont conduit l’honorable maison Gallimard à considérer, en 2017, qu’il fallait impérativement rééditer ces pamphlets antijuifs et racistes d’une violence inouïe, relevant plus de la propagande que de la littérature, alors qu’ils sont en accès libre sur Internet. Banales mais peu glorieuses raisons financières, ou, plus honorablement, désir d’ôter à ces textes l’attrait du fruit défendu en les accompagnants de commentaires et de notes ? Pour devenir crédible, cette hypothèse généreuse doit être confirmée par la qualité de l’édition critique en cours de réalisation. Or, ce qu’on en sait à ce jour n’incite pas à l’optimisme.
Il s’agirait simplement d’une reprise de l’édition faite à la va-vite par le professeur de littérature française Régis Tettamanzi, auteur d’une thèse sur les pamphlets céliniens publiée en 1999 par un petit éditeur français, spécialisé dans les publications céliniennes. Sa réédition des pamphlets, intitulée Écrits polémiques – euphémisme de bienséance s’il en est –, a été publiée en 2012 par un autre petit éditeur célinophile, cette fois-ci québécois. Il ne s’agit en aucune manière d’une véritable édition scientifique des pamphlets. Seulement d’un recueil de textes présentés d’une façon académique, convenue, conforme à l’orthodoxie célinienne, et commentés ou annotés hâtivement. L’appareil de notes est sommaire, lacunaire, la bibliographie très insuffisante et comporte de nombreuses inexactitudes. Souvent, les informations données dans les notes par l’éditeur pressé semblent tirées de Wikipedia. L’identification des sources doit beaucoup au travail pionnier d’Alice Yaeger Kaplan, publié en 1987 : Relevé des sources et citations dans Bagatelles pour un massacre. Mais Tettamanzi n’a pas été à la hauteur de la tâche, notamment pour L’École des cadavres.
La question des conditions d’une réédition se pose pour tous les textes jugés sulfureux, dangereux ou racistes, contenant des appels à la haine ou à la violence contre des personnes individuelles ou des groupes humains. La question s’est posée pour Mein Kampf, et les débats suscités ont été longs et houleux, en Allemagne comme en France. Ce qui est sûr, c’est que, telle qu’elle est annoncée et présentée, cette réédition hâtive des pamphlets céliniens chez Gallimard, serait-elle préfacée par un journaliste littéraire connu pour être l’un des gardiens du temple célinien, ne saurait en aucune manière soutenir la comparaison avec l’admirable édition critique de Mein Kampf publiée en 2016 sous la direction de quatre éminents chercheurs et universitaires, sous l’égide de l’Institut d’histoire contemporaine de Munich. Cette édition commentée savamment est aussitôt devenue l’édition de référence de l’ouvrage. L’appareil critique qu’elle comporte bloque l’effet de séduction que pourrait susciter la lecture du texte. Il interdit une lecture empathique et favorise l’interrogation et la problématisation, donc la réflexion. On aimerait que cette édition critique soit un modèle pour la réédition des pamphlets céliniens.
Dans notre livre, Céline, la race, le Juif, paru en février 2017 chez Fayard, nous avons relevé nombre d’erreurs, d’approximations et surtout d’omissions dans ce recueil présenté abusivement en 2012 comme une « édition critique » et qui aurait dû constituer un instrument de travail et de recherche. Il reste un volume de maniement commode pour céliniens inconditionnels, amateurs de curiosités paralittéraires et antisémites passionnés. Pourquoi donc, dans de telles conditions, une maison d’édition aussi prestigieuse que Gallimard peut-elle prendre le risque de publier cette anthologie de textes antisémites et racistes, susceptibles de nourrir, avec sa caution éditoriale, les passions antijuives qui, en France, renaissent depuis l’automne 2000 ? La complaisance à l’égard de tout ce qui concerne Céline dont font preuve certains milieux littéraires et certaines maisons d’édition confine à l’irresponsabilité morale et politique.
Q. Et vous, Annick Duraffour, que pensez-vous de la réédition des pamphlets publiée au Québec en 2012, dont l’appareil critique doit être repris dans l’édition Gallimard ? Vous paraît-elle répondre aux exigences d’une édition critique ?
Annick Duraffour. Cette édition fait preuve de tout le sérieux philologique attendu. Mais la précision dans l’établissement des textes n’est pas encore un décryptage : elle laisse intacts leurs effets et leurs mensonges de propagande. Je ne prendrai qu’un exemple. On lit dans cette édition annotée de Bagatelles pour un massacre à propos de la guerre de 14-18 :
« Français mobilisés : 9 950 000… Juifs mobilisés : 45 000.
Français tués : 1 750 000 (1 sur 3). Juifs tués : 1350 (1 sur 33)a ».
Déclaration du Grand Rabbin [1].
La note a nous apprend qu’il s’agit d’une « citation sans guillemets ». La note 1 ne dit rien de la référence floue, sans doute mensongère, invoquée (quel « Grand Rabbin » ?), mais elle donne, d’après l’ouvrage d’Alice Yaeger Kaplan, Relevé des sources et citations dans Bagatelles pour un massacre (1987), la source de cette citation, un tract de 4 pages signé Joseph Santo. On aurait pu ironiser sur l’erreur de division qui donne un Français tué sur trois mobilisés ou soupçonner une coquille sur le nombre de Français mobilisés. On aurait pu remarquer qu’il n’y a jamais eu, dans la République laïque, de recensement ou de statistique qui distingue les citoyens, morts ou vivants, selon leur religion. Le journaliste Pierre Loewel avait réagi le 7 janvier 1938 : « Ces chiffres sont faux, archi-faux, inventés de toutes pièces […] Que M. Céline aille donc un jour lire sur une plaque de marbre à la synagogue de la rue de la Victoire la seule liste de juifs de Paris morts à la guerre […] et rien que pour Paris, il en retrouvera un peu plus de 1350. » (L’Ordre, 7 janvier 1938 ; repris in André Derval, L’Accueil critique de Bagatelles pour un massacre, Paris, Éditions Écriture, 2010, pp. 47-49). Céline reprend le cliché antisémite qui fait du Juif un embusqué, étranger à la France. Le lecteur aurait pu apprendre que cette comptabilité calomnieuse se retrouve en 1938 au bas d’une célèbre affiche de l’Action française. Marx Dormoy réagit, au cours de la séance de l’Assemblée du 5 avril 1938, à la mise en cause de Léon Blum par un député de droite breton en répliquant : « Un Juif vaut bien un breton. » L’Action française, transformant la réplique de Marx Dormoy en insulte aux Français, conteste toute légitimité au gouvernement de Léon Blum en opposant les patriotes (français) aux Juifs (embusqués), en niant le patriotisme républicain dont ont fait preuve les Juifs au cours de la guerre de 14-18. Où le souvenir de la Grande Guerre est appelé à la rescousse de l’antisémitisme des années trente, alors même que le sang versé et la fraternité terrible des tranchées avaient au contraire fait reculer et quasi disparaître l’antisémitisme dans l’après-guerre. Cette question, centrale dans la propagande, est abondamment documentée (Philippe-E. Landau, Les Juifs de France et la Grande Guerre, Paris, CNRS Éditions, 1999 ; Annette Becker, « Du philosémitisme d’Union sacrée à l’antisémitisme ordinaire : l’effet de la grande guerre », in Marie-Anne Matard-Bonucci (dir.), ANTISÉmythes, Paris, Nouveau Monde éditions, 2005 ; Serge Bernstein, Léon Blum, Paris, Fayard, 2006 ; Odile Roynette, Un long tourment. Louis-Ferdinand Céline entre deux guerres (1914-1945), Paris, Les Belles Lettres, 2015).
On remarque, par ailleurs, que Régis Tettamanzi, dans sa préface à l’édition québécoise de 2012, suit la vulgate célinienne qui disculpe l’écrivain de toute dénonciation. Sous l’égide d’Henri Godard, et après François Gibault, il écarte aussi le témoignage de Jünger qui rapporte les propos tenus par Céline à l’Institut allemand le 7 décembre 1941. Car ces paroles qui incitent au massacre systématique des Juifs révèlent trop évidemment une volonté homicide chez l’écrivain français. Mais, je l’ai montré dans Céline, la race, le Juif, le problème est que ce témoignage est recoupé par celui, postérieur, de Gerhard Heller, chargé de la censure à la Propagandastaffel, mais aussi par la lettre que Céline adresse à sa secrétaire, Marie Canavaggia, le 26 octobre 1937, quatre ans avant la rencontre relatée par Jünger. Lettre où Céline tient des propos très proches de ceux que rapporte Jünger. Régis Tettamanzi sera-t-il sensible, comme il le déclare, au progrès cumulatif des connaissances ? La probité académique le poussera-t-elle à citer ses sources ? Force est de constater, en tout cas, qu’il s’est déjà montré célinien fidèle, et, autant que le préfacier de l’ouvrage en préparation chez Gallimard, prêt à monter au front pour parer les coups portés à la légende célinienne. Je pense à son compte-rendu de la belle et solide étude historique d’Odile Roynette, Un long tourment. Louis-Ferdinand Céline entre deux guerres (1914-1945). Il y reproche à l’historienne de s’en tenir à une approche… historique, feint comme tous les céliniens dérangés dans leur rêve éveillé de savoir « tout cela depuis longtemps », et invoque le péché de « rhétorique un peu moralisatrice » dès lors que l’histoire risque de blesser l’envoûtement.
Q. Que répondez-vous à ceux qui s’efforcent de justifier cette réédition au nom de la littérature ?
PAT. Il faut commencer par ne pas se méprendre sur le statut de ces textes. Les pamphlets antijuifs et racistes de Céline n’appartiennent pas seulement ni même d’abord à l’histoire littéraire, en dépit des quelques passages qui, principalement dans Bagatelles pour un massacre ou Les Beaux Draps, échappent à la pensée-slogan, à l’accumulation des stéréotypes et de clichés polémiques, au plagiat de brochures antijuives de l’époque, aux mensonges et aux rumeurs de propagande empruntées aux publications nazies ou pronazies à la française. Le fameux « style » de Céline, qu’on reconnaît dans ces quelques passages, distingue ces pamphlets des textes de même teneur idéologique publiés par des documentalistes besogneux et des polémistes sans talent, tels que Henry Coston ou Henri-Robert Petit, dont Céline s’est cependant largement inspiré, au point de les plagier. Plus exactement, lesdits pamphlets appartiennent moins à l’histoire de la littérature, section « parole pamphlétaire » (pour saluer au passage le grand livre de Marc Angenot), qu’à celle de l’antisémitisme au XXe siècle, à celle du racisme et à celle de l’eugénisme, à celle du nazisme français et du collaborationnisme parisien, et bien sûr à celle de la propagande à l’âge totalitaire.
Q. À quelles conditions pourrait être réalisée une édition critique digne de ce nom ?
PAT. Il n’y a rien à objecter, à mon sens, au projet d’une édition critique et historique des pamphlets céliniens, dès lors que celle-ci présente toutes les garanties d’un travail scientifique effectué par des spécialistes des divers domaines requis pour cette redoutable tâche. Car il ne saurait être question de ne confier un tel travail qu’à un spécialiste d’histoire littéraire, aussi sérieux soit-il. Il ne suffit pas de connaître et d’admirer Céline et son œuvre pour pouvoir entreprendre ce travail que seule une équipe pluridisciplinaire, composée notamment d’historiens spécialisés dans l’étude des domaines concernés, peut mener à bien. Pour ce faire, il faut bien sûr tout d’abord apporter les informations historiques, d’ordre encyclopédique, permettant de situer les personnages nommés par Céline, de dater et de reconstituer les événements de divers ordres auxquels il fait allusion – Régis Tettamanzi, tant bien que mal, s’en tient là. Il faut ensuite inscrire les développements céliniens dans leurs contextes respectifs, où se nouent le politique et le culturel, l’intellectuel et le littéraire, en identifiant les stratégies de l’auteur, qui poursuit certains objectifs, eux-mêmes à définir le plus clairement possible. Ils vont du simple désir de se faire rapidement de l’argent (obsession permanente de Céline) au projet de mobiliser les Français contre les Juifs et les « enjuivés », en passant par la volonté de régler des comptes avec diverses catégories de rivaux littéraires ou d’adversaires, réels ou imaginaires.
Il convient aussi de faire un relevé scrupuleux, en en indiquant les sources, des flots de stéréotypes, de clichés et de poncifs, et bien sûr d’accusations délirantes, que Céline met au service de son entreprise de dénonciation frénétique des méfaits éternels des Juifs. Il importe enfin de repérer et de corriger les affirmations fausses et les mensonges que ces pamphlets charrient. C’est là une tâche ingrate que négligent et méprisent les esthètes amateurs du seul « style ». La recherche de la vérité ne fait partie de leur horizon mental. Par ailleurs, les célinologues littéraires ne sont pas les mieux placés ni les mieux armés pour accomplir ce nécessaire travail de démythisation et de démystification, inséparable d’un souci pédagogique ou, si l’on préfère, « démopédique », car c’est le citoyen français qu’il importe d’éclairer, en lui fournissant les outils requis pour une lecture non naïve de ces textes de combat chargés de haine et de mensonge. Ce sont les historiens, les sociologues et les philosophes qui doivent s’emparer de la question.
La contextualisation ne suffit pas. Elle doit s’accompagner d’une réfutation des arguments fallacieux et du rétablissement de la vérité factuelle, toujours malmenée par Céline, poussé par la mauvaise foi et ses tendances conspirationnistes. Céline ne cesse de déformer les faits sociohistoriques auxquels il renvoie, et il n’hésite pas à en inventer au gré de ses fantasmes ou selon les besoins de ses démonstrations spécieuses.
Ce qui me paraît particulièrement irresponsable, chez certains adeptes du culte célinien, c’est de présenter benoîtement l’auteur des pamphlets comme un « écrivain génial » qui, emporté par ses passions (ce qui est bien humain, comme on sait), se serait laissé tenter, dans certaines circonstances, par la polémique, sur un mode ludique. Il se serait simplement fait plaisir en donnant dans l’outrance. Rien de plus, donc rien de bien grave. La vérité est tout autre. Le docteur Destouches, antisémite frénétique et admirateur d’Hitler, a joué pleinement le rôle d’un agitateur antijuif, d’un propagandiste prohitlérien et d’un agent d’influence du nazisme à partir de la publication de Bagatelles pour un massacre, fin décembre 1937. Son second pamphlet, L’École des cadavres, paru un an plus tard, n’est qu’un long tract, fait de bric et de broc, en faveur du régime nazi et de son idéologie raciste et antisémite. Le futur collaborationniste, dès 1937-1938, avait ainsi prêté allégeance à la dictature hitlérienne et puissamment contribué à sa propagande. Dans les deux pamphlets se bousculent les usages de faux (tels les Protocoles des Sages de Sion) et les citations d’auteurs fabriquées ou déformées pour les besoins de la cause antijuive. Une édition critique doit comporter les mises au point requises sur ces pratiques de faussaire et de propagandiste sans scrupules. Ce qui nécessite des recherches patientes et une parfaite connaissance des sources. Et, bien sûr, le savoir historique permettant les contextualisations sans lesquelles une lecture critique des textes céliniens est impossible.
Q. Comment les milieux antisémites français ont-ils réagi à l’annonce de la publication des pamphlets chez Gallimard ?
Pierre-André Taguieff. Avec satisfaction et ironie. C’est pour eux une victoire de voir les principaux textes antisémites de leur héros Céline publié par la célèbre maison d’édition française. Mais ils imaginent aussi, dans leurs fantasmes complotistes, qu’il s’agit d’une opération financière censée profiter aux Juifs !
Je me contenterai de reproduire l’essentiel d’un article emblématique mis en ligne le 6 décembre 2017 sur un site antijuif néo-nazi, « democratieparticipative.biz
« Le véritable prophète, c’est pas Raspail, c’est Céline.
Tout y est, dès avant la guerre. Il a tout annoncé et bien en détails.
[Citation (à côté d’un portrait de Céline jeune) :]
“La démocratie partout et toujours n’est que le paravent de la dictature juive.”
Louis-Ferdinand Céline
Et c’est bien pour ça que les youpins se sont acharnés à le traquer et à essayer de le pendre, seulement sauvé in extremis par une heureuse fuite.
Alors, ils parlent maintenant de “rééditer” les pamphlets de Ferdinand. (…)
Préfacé par un juif, quelle surprise !
Bien sûr et les royalties à Yad Vashem !
Les pamphlets de Céline – qui sont en fait une rigoureuse analyse de la question juive, ce qui est précisément la cause de la terreur qu’ils inspirent – sont parfaitement disponibles en ligne. Inutile de cotiser à la banque youtre (…).
Tout Européen doit avoir lu les pamphlets de Céline. Et encore plus s’il est français. »
De telles réactions devraient conduire les éditions Gallimard à se montrer prudentes et responsables dans un domaine qui excède le champ de la littérature pour entrer dans celui de la propagande raciste et antijuive. Les pamphlets de Céline ne sauraient être traités comme ses romans. Leur édition critique ne peut être confiée seulement à un professeur de littérature française du XXe siècle, aussi bon connaisseur soit-il des textes céliniens. Seule une équipe composée de spécialistes de diverses disciplines, étrangers au cercle des admirateurs inconditionnels de l’écrivain, peut accomplir un tel travail. En évitant la précipitation qui, inévitablement, compromettrait l’entreprise éditoriale. Mais cela suppose, bien entendu, que l’appât du gain et la volonté d’occuper le terrain n’emportent pas les scrupules.
Il est temps que les études céliniennes rompent avec le culte de l’idole et l’emprise du cercle de ses fans. L’époque du blanchiment à tout prix est terminée. La naïveté sur le cas Céline n’est plus de mise, surtout lorsqu’elle est feinte, ce qui la rend odieuse. Nous savons de mieux en mieux ce que la plupart des biographes de Céline avaient voulu ignorer ou cacher. De récents travaux ont mis en évidence les dénis et les mensonges concernant les activités de celui qui fut un compagnon de route de l’hitlérisme, un agent d’influence et un délateur sous l’Occupation. Il me suffit de citer ici l’ouvrage de l’historienne Odile Roynette, Un long tourment. Louis-Ferdinand Céline entre deux guerres (1914-1945), ainsi que notre livre, Céline, la race, le Juif. Légende littéraire et vérité historique. Les études non idéologiquement biaisées doivent se poursuivre à l’écart de la célinophilie officielle, représentée par certains universitaires et quelques éditeurs ainsi que par une poignée d’esthètes ou de journalistes mondains. Le travail historique doit prendre le pas sur les exercices d’admiration et les portraits de complaisance.