Encore un excellent numéro de la Revue des Études du CRIF que dirige avec brio Marc Knobel.
Introduction de Jean-Pierre Allali
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À l'heure où le débat sur « Nos ancêtres les Gaulois » est relancé dans le cadre de la campagne pour les primaires de la droite française, il n'est pas inintéressant, en introduction, d'interroger les maîtres que furent, en leur temps, Ernest Renan ou encore Ernest Lavisse.
Pour Renan, considéré comme le « penseur de la conception française de la Nation », « La nation, comme l'individu, est l'aboutissement d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j'entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale ». Et c'est dans cet esprit que l'État, dès la fin du XIX ème siècle, va faire légitimer par les historiens, un récit national apologétique. C'est le triomphe du « roman national » dont l'esprit se retrouve dans Les Instructions de Lavisse qui accompagnent le programme scolaire en 1890.
Dès lors, les héros nationaux sont mis en avant, de Vercingétorix à Napoléon et les pages peu glorieuses tout bonnement effacées. Exit les massacres des guerres de Vendée, exit les mémoires régionales rejetées dans les limbes d'un folklore provincial, exit les mondes ouvrier et paysans et, plus récemment, la saga des ouvriers polonais, espagnols ou italiens du siècle dernier. Après la Seconde Guerre mondiale, tout sera fait pour gommer la France de Pétain car, dira-t-on, « Vichy n'est pas la France ». Il faudra attendre 1973 et la publication par Robert O. Paxton de « La France de Vichy » pour voir l'omerta s'entrouvrir et réaliser que les Allemands ne furent pas seuls à exterminer les Juifs. Des Français les y aidèrent sans états d'âme. La loi Gayssot sera votée et si François Mitterrand n'accepta jamais de reconnaître la responsabilité de la France dans le génocide des Juifs, Jacques Chirac, dans son fameux discours du Vél d'Hiv, du 16 juillet 1995, aura le courage de le faire.
C'est à partir de la reconnaissance du caractère exceptionnel de la Shoah, que va s'enclencher le processus de concurrence victimaire. Les descendants des peuples colonisés comme ceux des anciens esclaves, considérant qu'ils sont les grands oubliés de l'histoire de France, se lancent dans la « guerre des mémoires ». À contre-courant de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 qui demande à ce que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire eu aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ».
Le poids de la conception traditionnelle de la saga nationale s'avère particulièrement pesant puisqu'il faudra attendre juin 2006, lors du 90 ème anniversaire de la bataille de Verdun, pour reconnaître l'importance du sacrifice de soldats musulmans morts pour la France et inaugurer un mémorial et mai de la même année, soit cinq ans après l'adoption de la loi Taubira, pour décider d'une journée de commémoration de l'esclavage.
L'auteur rappelle néanmoins que l'esclavage ne fut pas un génocide et que, par ailleurs, comme l'a montré Olivier Pétré-Grenouilleau dans son ouvrage « Les traites négrières. Essai d'histoire global », il n' y eut pas que la traite transatlantique. On ne saurait oublier la traite arabe et la traite infra-africaine.
La préservation de la mémoire des colonisés et des esclaves, si elle est légitime et nécessaire, ne saurait s'accompagner, comme c'est hélas parfois le cas, de certaines outrances.
Ainsi le « Indigènes de la République » n'hésitent pas à proclamer que, de nos jours, les enfants issus de l'immigration vivent en France dans les mêmes conditions que les colonisés d'autrefois. Quand à Dieudonné M'bala M'bala, tout a été dit sur ses spectacles désolants.
Un travail de réflexion salutaire et très intéressant.
Avec un sujet d'actualité : la concurrence mémorielle. L'auteur, d'ailleurs, plus sévère, parle de 'guerre mémorielle'