- English
- Français
A l'occasion d'un entretien mené par Marc Knobel, historien et Directeur des Etudes au Crif, Diane Afoumado fait le point pour le Crif sur la crise des réfugiés Juifs dans les années 1930 et la Conférence d'Evian. Diane Afoumado vient de publier Indésirables: 1938 : La conférence d'Evian et les réfugiés juifs
Extraits de l'entretien avec Diane Afoumado :
A l’été 1938, les Juifs du Reich (Allemagne et Autriche depuis l’Anschluss en mars) subissent les persécutions nazies depuis déjà près de six ans. La chronologie est importante car bien que les premiers camps de concentration existent déjà, le pogrom de la Nuit de Cristal n’a pas encore eu lieu. Cela signifie que beaucoup de Juifs continuent de s’adapter à la situation du mieux qu’ils peuvent et qu’ils ne pensent pas encore à fuir leur pays. Entre l’Anschluss et la Kristallnacht, a lieu la Conférence d’Evian qui se tient dans la première quinzaine de juillet.
Si les Juifs du Reich, n’ont pas de statut légal de réfugiés, on peut cependant considérer qu’ils rentrent dans la définition qui sera créée ultérieurement. Ils ne bénéficient pas de la protection de leur pays d’origine – bien au contraire – et leur émigration est un acte de séparation physique puisqu’ils ne peuvent revenir dans le Reich. Mais en 1938, les pays qui se disent prêts à accueillir des refugies sont peu nombreux, surtout lorsqu’il s’agit de Juifs. Rappelons que l’antisémitisme à la fin des années 30 ne sévit pas qu’en Allemagne.
Trente-deux délégations se réunissent à l’Hôtel Royal a Evian du 6 au 15 juillet. Si la plupart des pays ont accepté l’invitation de Roosevelt, cela ne veut pas dire qu’ils sont prêts à ouvrir leurs pays aux Juifs du Reich. Presque tous les pays représentés ont des lois d’immigrations strictes et certains s’apprêtent à légiférer dans le sens inverse des espoirs nourris par Roosevelt. Les discussions quotidiennes s’apparentent à une leçon de diplomatie internationale. Les délégués déclarent presque tous avoir de l’empathie pour les refugies, mais précisent que leurs pays respectifs ont déjà fait beaucoup d’efforts. Et pour éviter de dire tout haut ce que la plupart pensent tout bas, nombreux sont ceux qui précisent avoir surtout besoin d’agriculteurs et de bucherons. Inutile de dire que ces deux professions n’étaient pas les plus courantes parmi les candidats au départ du Reich.
Les deux pays qui se distinguent à Evian sont la République Dominicaine et l’Australie. La première se déclare prête a accepter des refugies du Reich; position qui n’a rien à voir avec une philanthropie humanitaire, mais plutôt l’espoir du président Trujillo de revenir sur la scène internationale. Quant à l’Australie, elle déclare ne pas avoir de problème juif et ne pas vouloir en importer un. Déclaration peu diplomatique mais qui exprime clairement ce que les autres délégués cachaient derrière le langage diplomatique.
A l’issue de la Conférence, deux résolutions principales sont prises : un plan d’émigration massive échelonné sur plusieurs années et la création d’un Comité permanent destiné à poursuivre les efforts d’Evian.
A la fin des années 30, les deux seuls pays qui acceptent des refugies en grand nombre sont Shanghai (sous occupation japonaise) et Cuba jusqu’à l’épisode du St. Louis en mai 1939. St. Domingue ne sera pas à la hauteur des déclarations de l’homme d’Etat dominicain, Raphaël Trujillo.
En réalité, Evian a eu pour effet de fermer officiellement les frontières. Les pays représentés à la Conférence ne souhaitaient pas envoyer un message aux réfugiés leur signalant qu’ils seraient accueillis largement. Mais cela ne veut pas dire qu’aucun refugié juif du Reich n’a pu se rendre dans ces pays. Evian a été la plateforme officielle qui a permis à ces pays d’envoyer un message fort aux réfugiés et que les nazis au pouvoir ont interprété comme le feu vert pour accélérer et accroitre en violence leur politique antisémite sans qu’aucune mesure ne soit prise par les démocraties. La Nuit de Cristal intervient quatre mois seulement après Evian.
Le Crif vous propose :