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Publié le 15 Janvier 2020

Crif/WeRemember - Le discours de Francis Kalifat à l'occasion du voyage de mémoire du Crif à Auschwitz-Birkenau

Dimanche 12 janvier 2020, le Crif a organisé un voyage de mémoire à Auschwitz-Birkenau. Ensemble, au cours de cette journée, nous avons honoré le devoir de mémoire qui nous incombe et sommes devenus les témoins des témoins. Ensemble, nous sommes devenus les passeurs de mémoire afin de la transmettre aux générations futures. Découvrez l'émouvant discours du Président du Crif à l'occasion de ce voyage de mémoire.

Dimanche 12 janvier 2020 - Auschwitz-Birkenau

"C’est le cœur serré par l’émotion que je m’adresse à vous. Il y a 75  ans, les barrières électrifiées d’Auschwitz Birkenau tombaient, et le monde découvrait avec stupeur le plus grand charnier de tous les temps.

Il y a 75 ans, le 27 janvier 1945, la première patrouille soviétique pénétrait dans le complexe d’Auschwitz, d’où avaient été évacuées une dizaine de jours plus tôt 58 000 déportés exténués ; entraînés par leurs bourreaux dans une monstrueuse « marche de la mort ».

Jamais dans l’histoire de l’humanité, un conflit d’une telle ampleur n’avait eu lieu, et jamais la barbarie dont les hommes sont capables n’avait atteint de tels sommets. Ce fût notamment le cas dans l’univers concentrationnaire inventé par les nazis entre 1933 et 1945.

Près d’un million et demi d’êtres humains ont été assassinés : le plus grand nombre d’entre eux gazés dès leur arrivée, simplement parce qu’ils étaient nés juifs. Sur la rampe, toute proche d’ici, les hommes, les femmes, les enfants, brutalement débarqués des wagons, étaient sélectionnés en une seconde, sur un simple geste, s’arrogeant ainsi le droit de vie ou de mort sur des centaines de milliers de juifs, qui avaient été persécutés et traqués dans les coins les plus reculés de la plupart des pays du continent européen. 

En mars 1942 arrivent les premiers convois de Juifs provenant de Haute-Silésie et de Slovaquie, et le 30 du même mois, le premier convoi parti de France, le 27 mars 1942. C’est ici même qu’à l’été 1942 est installé dans le camp, un centre d’extermination qui deviendra le lieu principal de la Solution finale. 

Dans ce lieu, les nazis avaient planifié méticuleusement le crime. Ils tuaient comme on tuerait des mouches, ou de petits animaux nuisibles. Ils avaient industrialisé la mort.

Les dimensions monstrueuses de l’usine de mort, les mécanismes qui ont entraînés la mort de près de 6 millions de Juifs ont été peu à peu dévoilés. 

Tout au long de cette éprouvante journée, nous avons vu les blocs, les voies, les portes, les rails, les embranchements de voie ferrée, le plafond effondré d’une chambre à gaz, l’intérieur d’un crématoire,  le gibet sur lequel ont été pendus des prisonniers, le chevalet sur lequel on les fouettait, les clôtures électrifiées, un chariot pour le transport de corps, des tours de guet.

Nous avons pu voir aussi, des objets arrachés aux victimes, des valises, des vêtements d’enfants, de femmes, d’hommes, des Taleths « Châles de prière », retrouvés après la libération du camp,  des photos personnelles, des photos de famille apportées dans le camp par les juifs comme un dernier témoignage de leur passage sur terre.

Qu’est-ce que tous ces objets nous apprennent vraiment et précisément sur l’histoire des femmes, hommes et enfants qui leur ont autrefois donné vie ? Que savons-nous d’eux ? 

Rien, puisqu’ils sont morts, puisqu’on ne les voit pas. 

Des monceaux de cheveux, des brosses à dents, des prothèses de jambes et de bras, des lunettes, des jouets…. Mais des cheveux sans tête, des lunettes sans visage, des prothèses sans jambes, des chaussures sans pieds, des jouets sans enfants.

Trop courte journée pour comprendre parfaitement et totalement les rouages du crime de masse, l’indicible, la mort et la haine. 

Trop courte mais tellement intense et combien nécessaire

Ici, nous nous souvenons que notre existence a été mise en péril au point qu’un pan entier du judaïsme européen a été englouti.

Elie Wiesel écrivait qu’à Auschwitz, « dans les cendres, s’éteignirent les promesses de l’Homme »…… Comme en écho, l’écrivain hongrois Imre Kertész  répondit : « Auschwitz, c'est une chose impossible mais qui a eu lieu : une invraisemblable vérité. »

75 ans après la Shoah nous aimerions pouvoir dire que l’antisémitisme est éradiqué, qu’il est définitivement banni de nos sociétés. Pourtant il est toujours présent avec son cortège de préjugés, de haine et de violence. Il apparait comme la résurgence d’un vieil antisémitisme qui remonte du fond des siècles, mais aussi désormais sous des formes nouvelles, aux premiers rangs desquelles l’antisionisme, la haine d’Israël, l’antisémitisme d’une partie du monde musulman et l’islamisme radical. 

Depuis le début des années 2000 notre situation de Français juifs se dégrade en pente douce ou par à-coups, en silence ou à la une des médias, de meurtre en meurtre et sans sursaut durable.

L’année 2019 ne montre malheureusement aucune amélioration bien au contraire.

Comme les années précédentes, des Français juifs ont été insultés, harcelés, menacés, volés, agressés ou frappés parce que juifs.

Et lors de mes nombreux déplacements à Paris, en banlieue ou en région, j’entends de plus en plus de Français juifs s’inquiéter pour l’avenir de leurs enfants en France et pour la pérennité d’une vie juive dans notre pays.

Comment comprendre alors, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris dans le meurtre barbare de Sarah Halimi, concluant à l’abolition du discernement du meurtrier au moment des faits.

Depuis le début de cette affaire nous assistons à des atermoiements qui consistent à vouloir nous présenter cet assassin comme dément alors que sa mise en scène et sa personnalité nous indiquent clairement que Sarah Halimi est une nouvelle victime du terrorisme islamiste et que ce crime est antisémite. 

Pourtant si elle est sans surprise cette décision est difficilement justifiable. 

La prise volontaire massive de cannabis, à l’origine de la bouffée délirante, viendrait exonérer de sa responsabilité l’assassin de Sarah Halimi, alors même que délinquant et fumeur de cannabis multi récidiviste, il n’a jamais été décelé chez lui le moindre antécédent psychiatrique.

Quelle est cette nouvelle règle qui fait du cannabis un facteur excusant lorsqu’il s’agit d’un meurtre antisémite alors qu’il est un facteur aggravant pour tous les autres délits ?

Nous attendons avec angoisse mais aussi avec confiance l’examen du pourvoi par la cour de cassation car il ne peut y avoir de droit sans justice. 

L’antisémitisme tue aujourd’hui encore en France et dans le monde.

Loin d’être relégué aux livres d’histoire, il reste malheureusement d’une sanglante actualité.

Dans la lutte contre l’antisémitisme nous avons besoin de résultats et d’efficacité,  car les haines se nourrissent du laisser-faire, des renoncements et de l’impuissance.

Chère Esther Senot, chère Ginette Kolinka, avec tous les autres survivants de la Shoah, vous avez fait preuve d’une inlassable détermination qui a rendu à Auschwitz une histoire puis une mémoire.

C’est votre démarche collective, renforcée de l’indispensable mobilisation militante et du minutieux travail des historiens qui a peu à peu ouvert les portes des écoles, des universités et des médias.

C’est votre action collective qui a ouvert, les portes des consciences pour faire connaitre l’indicible.

Comment concevoir, demain, la mémoire de la Shoah sans témoins ?

Comment faire, pour que la Mémoire ne se réduise pas simplement à l’histoire, dans une inscription aseptisée et lointaine ? 

 

C’est à cet immense défi que nous renvoient les disparitions progressives des derniers témoins.

Il nous faudra ensemble demain, mais en fait dès aujourd’hui définir les modalités de cette Mémoire sans Témoins. 

Par notre présence ici nous prenons l’engagement de relever le défi d'être les témoins des témoins, les passeurs d'une mémoire inscrite pour l'éternité dans l'histoire du peuple Juif et de l’humanité toute entière."

 

Francis Kalifat, Président du Crif