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Publié le 27 Novembre 2017

#Entretien - Pierre-André Taguieff : "Dans la nouvelle judéophobie, les juifs sont assimilés non seulement à des racistes mais à des nazis"

Le philosophe et historien Pierre-André Taguieff revient sur l'affaire du tweet antisémite de Gérard Filoche et analyse les moments fondateurs de la haine des juifs dans le monde moderne.

Publié sur La Revue des deux mondes le 25 novembre 2017

Revue des Deux Mondes – Qu’avez-vous pensé du tweet de Gérard Filoche et de ses arguments pour se défendre ?

Pierre-André Taguieff – Si Gérard Filoche n’est pas l’auteur de ce montage à connotation antisémite (dû à Alain Soral), il a en tout cas immédiatement adhéré au message qu’il véhicule, un message mélangeant antisionisme radical et antiaméricanisme grossier. La centralité du motif antijuif n’est en effet pas niable : le drapeau israélien et le portrait de trois juifs supposés riches montrent l’assimilation des juifs à la finance. Dans le détail, ce visuel évoque trois amalgames polémiques : « Israël = sionisme = racisme », « juifs = argent » et « juifs = puissance de manipulation ». Les juifs sont accusés, d’après ce photomontage, d’être  des racistes, des prédateurs de la finance et des manipulateurs, Macron étant leur marionnette.

« Gérard Filoche a ici oublié toute responsabilité au profit de la diffusion de ses convictions profondes. »

Au-delà de l’image, l’homme lui-même est emblématique puisque Gérard Filoche représentait, jusqu’à son exclusion en cours, l’aile gauche du Parti socialiste. Manifestement, il a tweeté sous le coup de la séduction : il semble avoir retrouvé sa vision du monde dans ce photomontage anti-juif. Cette mixture douteuse ne l’a pas gêné, elle l’a séduit au point de lui faire négliger toute prudence, dans un domaine où des responsables politiques agissent, en principe, selon l’éthique de la responsabilité. Gérard Filoche a ici oublié toute responsabilité au profit de la diffusion de ses convictions profondes.

Cette affaire joue le rôle d’un dévoilement. Elle révèle des choses cachées depuis les origines du socialisme. Aujourd’hui, on pense souvent à l’antisémitisme nationaliste ou raciste, en oubliant la phase révolutionnaire, socialiste, anarchiste et communiste de l’antisémitisme au XIXe siècle. Or l’antisémitisme révolutionnaire et anticapitaliste, qui commence en France avec Fourier, Toussenel et Proudhon, a précédé l’antisémitisme nationaliste. Le mythe répulsif du juif comme parasite social et prédateur, cette invention de l’anticapitalisme révolutionnaire, y a pris place, à côté de la figure du juif comme principe de dissolution des nations. L’affaire du tweet de Gérard Filoche rappelle à ceux qui ne connaissent pas l’histoire des doctrines et des mentalités antijuives l’un des moments fondateurs de la haine des juifs dans le monde moderne.

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