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Dès lors, son histoire et son action politique ont fait d’elle une référence mémorable, sans doute défraîchie aujourd’hui avec l’effacement de la geste communiste et gaulliste, mais longtemps célébrée. C’est dire qu’elle «décourage le regard froid», et à juste titre, chez tous ceux qui ne désespèrent pas de ce pays. Ce qui, évidemment, rend délicate et disputée son «historicisation» scientifique, avec mise à distance et esprit critique. À preuve, ce beau livre, et si utile.
Olivier Wieviorka a bien pris acte de cette singularité et des difficultés à en rendre compte en choisissant de n’étudier, archives et thèses au poing, que ce qu’il nomme la «résistance-organisation», c’est-à-dire la structuration et l’action des formations clandestines en territoire occupé ou soumis à Vichy jusqu’en 1942. Mais il ne s’attarde pas, hélas, sur la «résistance-mouvement», la résistance «civile», la Resistenz à l’allemande, la résistance spirituelle, aux engagements moins consistants et moins constants, mais qui puise davantage dans les profondeurs sociales, religieuses et régionales d’un peuple: on pense aux Justes au premier chef, mais sans oublier les «Ici, Londres!» ni les V sur les murs.
Ainsi posé, son sujet ne pouvait être qu’excellemment traité et son livre est la synthèse qui nous manquait: informée, intelligente, bien écrite, mûrie par cinq années de travail, tout emplie d’une globalité savante soigneusement délimitée. À saluer comme telle. «Le» Wieviorka fera longtemps référence. Courez-y, vous comprendrez tout.
Sur les parachutés, les maquis, les ennemis de Jean Moulin, les réseaux et les syndicats, les écrivains engagés, les communistes, et même les «vichysto-résistants». Et vous aurez envie de creuser ailleurs ce que le livre ne traite pas à fond, notamment les dimensions spirituelles, qui firent un «témoignage» chrétien et donnèrent un successeur à Jean Moulin, ou les dimensions et les atavismes régionaux de l’action clandestine puis insurrectionnelle.
Reste la grande question, ou l’aveu d’impuissance, qu’Olivier Wieviorka pose très honnêtement in fine: «Doit-on réduire la résistance à ses œuvres? Tout suggère qu’elle dépasse son action et son bilan.» Et donc qu’il ne serait peut-être pas inutile de l’orthographier encore avec quelque grand «R»? Le dernier mot du livre est «citoyenneté», tenu semble-t-il pour l’exigence suprême dont l’exemple résistant nous rappellerait encore la vertu. Certes. Mais le premier mot de Résistance en 1940-1945, cher et fier historien, ce fut «patrie». Il n’est pas trop présent dans le livre. Or, rien ne prouve que nous n’en ayons pas à méditer son usage résistant aujourd’hui encore.
Histoire de la Résistance (1940-1945)
d’Olivier Wieviorka
Éditions Perrin, 576 p., 25 €
Un article de Jean-Pierre Rioux pour la Croix.