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Publié le 3 Février 2012

Jean-Yves Camus : «la médiatisation de la visite de Marine Le Pen à Vienne n’aura pas de conséquences électorales»

Jean-Yves Camus est chercheur associé à l’IRIS

La constitution autrichienne interdit la reconstitution du parti nazi

Pourquoi Marine Le Pen s'est-elle rendue à Vienne?

 

Parce que des élections législatives auront lieu en septembre prochain en Autriche et que le FPÖ est crédité de 28% des voix. Etre accueillie par Heinz-Christian Strache, c'est parler au chef d'un parti qui par deux fois déjà a été le partenaire d'une coalition gouvernementale et qui pourrait le devenir à nouveau. Ce qui est d'ailleurs un sujet bien plus important que ce bal. En 2008, c'est son père qui y assistait. Bruno Gollnisch aussi y est allé.

 

Comment est structurée l'extrême-droite en Autriche ? Quelle importance représente-t-elle dans le jeu politique?

 

La constitution autrichienne interdit la reconstitution du parti nazi. Les groupuscules ouvertement néo-nazis sont surveillés et le cas échéant, dissous. Cependant après 1945, s'est posé la question de savoir comment réintégrer dans le jeu démocratique tous les nazis de petit niveau qui avaient écopé d'une privation temporaire de leurs droits civiques. Le parti Verband der Unabhängigen (VdU) s'en est chargé dès 1949 et c'est son aile nationaliste pangermaniste qui s'est fondue en 1956 dans le FPÖ nouvellement créé. Le FPÖ incarne un des trois piliers de la vie politique autrichienne, celui qu'on appelle "troisième camp" ("Drittes Lager"), les deux autres étant le chrétien-conservateur et le social-démocrate. Pour le FPÖ, l'Autriche est un état mais la nation autrichienne reste un concept vide. En d'autres termes, les militants se voient comme des "Allemands de culture"  vivant en Autriche. L'aile vraiment libérale du FPÖ a disparu lorsque Haider a pris le parti en mains. Cela n'a pas empêché le chancelier conservateur Schüssel de signer en 2000 un accord de coalition avec Haider, dans l'espoir que la pratique du pouvoir userait le parti, ce qui s'est produit dans un premier temps. Depuis 2008, comme souvent en Autriche, le gouvernement est une "grande coalition" des conservateurs et des sociaux-démocrates. Un jeu politique bloqué qui profite inévitablement à l'extrême-droite.

 

Le FPÖ est-il antisémite ?

 

Le FPÖ s'en défend, Strache mettant en avant sa visite en Israël, fin 2010, et le volet anti-islam du programme de son parti. Que des antisémites aient occupé des fonctions, y compris électives, au sein du FPÖ est avéré. Lorsque Otto Scrinzi, un des "pères" du FPÖ, est mort le 2 janvier 2012, il a reçu l'hommage de Strache et de l'hebdomadaire zur Zeit, dirigé par le député européen FPÖ Andreas Mölzer qui l'avait accueilli dans ses colonnes. Or Scrinzi avait appartenu à la SA, et au NSDAP et étant neurologue, il avait travaillé en 1940 au département de biologie raciale de l'université d'Innsbruck. Enfin le soit même du bal, Strache a déclaré que les militants de son parti étaient "les nouveaux Juifs", en raison des manifestations qui avaient lieu devant la Hofburg, et qualifier celles-ci de "nouvelle Kristallnacht" est pour le moins ambigu.

 

En ayant répondu à l'invitation de néo-nazis, Marine le Pen ne va-telle pas abimer son image ?

 

Le bal des Burschenschaften a été très bien défini par Jean-Marie Le Pen qui a complètement avalisé l'analyse de l'UEJF et SOS-Racisme. On y valse sur du Strauss, mais sans Kahn, sans Juifs. Dire que l'événement est organisé par des néo-nazis est en partie inexact: il est organisé par le Wiener Korporationsring, qui est un cartel de fraternités étudiantes. Olympia n'est qu'une d'entre elles, la plus marquée vers le néonazisme. Les autres appartiennent au camp national-patriotique, donc celui du FPÖ. La Burschenschaft Albia par exemple, celle à laquelle avait adhéré Herzl, a pour devise Honneur, Liberté, Patrie. Toutefois quand le FN invoque l'appartenance de Herzl pour dédouaner les corporations de toute connotation extrémiste, il oublie de rappeler que Herzl a quitté l’Albi où régnait alors le préjugé antijuif courant dans la Vienne des années 1880. Cette déconvenue a été, pour celui qui était alors un Juif patriote, comme l'immense majorité de ses coreligionnaires allemands et autrichiens, un pas vers la prise de conscience qui l'amènera au sionisme.

 

La grande médiatisation de cette visite à Vienne n'aide pas à la normalisation de l'image de Marine Le Pen. Toutefois elle n'aura pas de conséquences électorales dans la mesure où les raisons qui motivent le vote frontiste demeurent. Et Marine Le Pen pourra avancer qu'en quelques jours, le FN a sanctionné deus cadres de la région Rhône-Alpes, Laura Lussaud et Stéphane Poncet. Militante depuis ses 13 ans, la première a été exclue, par une lettre qui fait 10 lignes, en raison de sa participation à une manifestation des Jeunesses nationalistes.