Durban 2 entérinera l’hydre polymorphe qui s’est développée dans les différentes instances de l’ONU.
Par Malka Marcovich, historienne, publié dans Libération le 31 mars 2009
Les préparatifs pour la conférence mondiale contre le racisme de l’ONU - Durban 2 - qui aura lieu à Genève du 20 au 24 avril ont commencé en août 2007, soit quelques semaines après la libération des «infirmières bulgares et du médecin palestinien» des geôles du colonel Kadhafi. Par la magie de ce sauvetage hautement médiatisé, Tripoli se trouva soudainement paré d’un visage fréquentable et la Libye était élue à la présidence du Comité préparatoire de Durban 2. Dans la foulée, d’autres pays aussi scandaleux accédaient à la vice-présidence, comme la République islamique d’Iran, le Pakistan, par ailleurs agressif porte-parole de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), ou Cuba.
En acceptant ces nominations, l’Union européenne signait ici sa première capitulation. Rares sont ceux qui ont suivi pas à pas les évolutions de l’ONU depuis 2001, l’instrumentalisation de la lutte contre le racisme, les semaines et les mois de négociation, dont l’ultime but est de préserver le sacro-saint consensus. Le consensus, mot sésame s’il en est, permet de dresser la façade diplomatique, indispensable décor pour la construction d’une nouvelle communauté internationale porteuse du projet totalitaire du XXIe siècle. Dans le contexte onusien, le consensus possède de surcroît la vertu de camoufler la faiblesse des démocraties face au front des Etats autoritaires.
La présidente libyenne Najat al-Hajjaji (tant décriée lorsqu’elle présidait en 2003 la Commission des droits de l’homme) dirige son monde avec autorité en organisant toute une bureaucratie tentaculaire. Tout est propre et bien ordonné, la stratégie est remarquable. Les ONG et les gouvernements qui font mine de s’inquiéter sont stigmatisés comme racistes. N’étant pas à une contradiction près, l’UE a accepté que toutes les ONG présentes à Durban soient automatiquement réaccréditées en 2009, mais elle a refusé la tenue d’un forum des ONG, qui seront confinées dans un espace réduit à Genève avec une liberté de parole restreinte. Même la Haute Commissaire a repris à son compte la stigmatisation du forum comme seul responsable de l’antisémitisme de 2001, alors que les violences rhétoriques n’ont jamais cessé depuis à l’ONU.
Comme en 2001, ne seront pas dénoncées les discriminations que subissent les Dalits en Inde, les Pygmées en Centrafrique, les violations des droits de l’homme au Tibet, la déshumanisation des femmes soumises à certains systèmes politiques et/ou religieux, la pénalisation de l’homosexualité… et la rumeur enfle qui affirme que cette censure des associations est due aux pressions des organisations juives.
Refusant de cautionner ce processus délétère, le Canada se retirait en janvier 2008, suivi d’Israël en octobre de la même année. Début février 2009, l’administration Obama, rompant avec la politique étrangère de son prédécesseur, décida d’envoyer une délégation à Genève qui, à l’issue de dix jours de négociations, décidait aussi de ne plus continuer la mascarade. Pourtant le 2 mars, dans un discours vibrant au dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) le Premier ministre François Fillon chercha à rassurer encore, en garantissant que la France refuserait les «lignes rouges» pourtant largement déjà dépassées. Le 5 mars, l’Italie pliait bagage, faisant éclater la sacro-sainte union des Vingt-Sept réclamée par Paris. Les diplomaties s’agitèrent pour contrer la débandade et un nouveau projet fut présenté victorieusement le 17 mars. Les optimistes se réjouissaient alors qu’ait disparu la focalisation sur Israël, sur la diffamation des religions et les réparations pour les victimes de l’esclavage.
En réalité, ce texte est un formidable trompe-l’œil qui montre l’infime distance qui sépare Munich de Genève. Le premier paragraphe validé renvoie au texte de 2001 qui vise Israël comme seul pays raciste. Qui considérait les religions comme des valeurs intrinsèques et inscrivait pour la première fois dans un texte onusien le terme «islamophobie», à savoir la phobie de la religion musulmane et non pas des populations d’origine musulmane. Certes, la diffamation des religions a disparu de la nouvelle copie, mais elle est paraphrasée comme haine religieuse à interdire et les médias sont pointés. De plus, plusieurs paragraphes renvoient à d’autres résolutions, ou rapports de l’ONU qui visent à limiter la liberté d’expression et condamner le blasphème.
Le 24 mars, le comité ad hoc sur les normes complémentaires présentait un projet de protocole additionnel contre le racisme qui se focalise sur la diffamation. Et trois nouvelles résolutions adoptées en ce sens accéléraient encore les dérives le 26 mars au Conseil des droits de l’homme. La France a accepté le prix à payer pour ces victoires de façade : brader les discriminations en raison de l’orientation sexuelle, la mémoire de la traite transsaharienne ou dans l’océan Indien, l’apartheid sexuel que vivent les femmes dans de nombreux pays… Le lâche soulagement de quelques diplomates, voire d’associations et personnalités médiatiques, qui sacrifient les normes universelles sur l’autel d’une paix provisoire en ces temps troublés de l’histoire du monde, sera à inscrire au tableau du déshonneur de notre pays.
Durban 2 entérinera l’hydre polymorphe qui s’est développée dans les différentes instances de l’ONU. Sous couvert de grand-messe pour la concorde planétaire, Durban 2 noiera les voix des victimes du racisme dans les eaux calmes du lac Léman.