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Publié le 5 Janvier 2016

La violence et le sacré

A lire René Girard, Dieu pourrait être finalement innocent.

Par Vincent Tremolet de Villers, publié dans le Figaro le 4 janvier 2016
 
Dieu court toujours et si l'on en croit le dessin de Riss dans Charlie Hebdo, la police antiterroriste ne l'a pas encore mis hors d'état de nuire. Le coupable a une longue barbe comme dans les fresques de Michel-Ange, des sandales comme un moine. Il est coiffé d'un triangle frappé d'un œil, symbole de la Trinité ou de la franc-maçonnerie: au choix. Accroché à sa robe blanche entachée de sang, une kalachnikov. Le message est limpide: Dieu est la cause première des attentats qui, depuis le 7 janvier dernier et le carnage de Charlie Hebdo, traumatisent notre pays.
 
Au pays de Voltaire, il est courant de mettre Dieu en examen. Du père de Paul Morand, qui se demandait comment Dieu avait pu réussir l'autre monde puisqu'il avait raté le nôtre, à celui de Marcel Pagnol, qui enseignait le catéchisme agnostique, les esprits forts ont rivalisé de sarcasmes sur les faiblesses du Créateur. C'était le début du XXe siècle. En Europe, il s'annonçait grandiose. Le député René Viviani avait éteint les étoiles du ciel et l'Homme, bientôt, serait tout-puissant. Las, le siècle s'est embourbé dans les tranchées puis a hissé haut les croix gammées, les faucilles et les marteaux. Les cloches se sont tues. L'Humanité, libérée de Dieu, avançait de massacres en génocide. Le peuple de l'Alliance devait disparaître de la surface de la terre. À Dachau comme au Goulag, les prêtres dormaient en baraquement. Au début des années 1980, les foules polonaises lançaient, comme un défi au général Jaruzelski, «Nous voulons Dieu».
 
La vérité est que la folie des hommes s'empare de toutes nos passions pour les dérégler. On tue au nom de Dieu, on tue par dépit amoureux, on tue par aveuglement idéologique, on tue par ambition: faut-il s'en prendre à l'amour, aux idées, à la politique?
 
La religion, cependant, par sa dimension eschatologique, promet, comme les idéologies, des lendemains radieux. La mort sur terre peut ouvrir à la vie du ciel. Les frères Kouachi en tuant les «blasphémateurs» et en mourant sous les balles des «croisés» pensaient rejoindre le paradis d'Allah. C'est cette même espérance qui entraîne un homme à se transformer en bombe devant un restaurant McDonald's au cri de «Dieu est grand» («Allah akbar»). Une solution sommaire s'impose, alors, à l'esprit: la religion, c'est la guerre, supprimons le sacré et nous supprimerons la violence. René Girard, l'auteur de La Violence et le Sacré (Fayard) n'écrivait-il pas «c'est la violence qui constitue le cœur véritable et l'âme secrète du sacré»? C'est ainsi que l'on oppose les joies quotidiennes (et précieuses) que sont une conversation à la terrasse d'un café, un match de football, un concert de rock, aux déraisons théologiques, à la verticalité mortifère qui condamnent, au nom de Dieu, ceux qui profitent de ces plaisirs minuscules.
 
René Girard n'aurait sans doute pas été dépaysé par cette dialectique, puisqu'il montrait l'unité des religions archaïques, toujours fondée sur le lynchage du bouc émissaire, celui qui, par sa seule existence, contrarie l'avènement de la paix. Au mois de janvier 2015, pour les fanatiques, les boucs émissaires étaient journalistes, policiers, juifs ; au mois de novembre, c'était ceux qui passaient, au hasard, qui ont été sacrifiés par les sanguinaires pour «la grandeur de Dieu»... Lire l'intégralité.