Au lieu de boycotter ou d’envoyer leurs ambassadeurs, les Européens auraient dû se montrer offensifs et prendre le micro pour défendre leurs valeurs.
Par Caroline Fourest, publié sur son Blog le 26 avril 2009
Durban II » n’est ni un succès ni un échec, mais un match nul. On a sauvé la lettre, mais pas l’honneur. La France et son ambassadeur, Jean-Baptiste Mattei, ont eu raison de refuser la politique de la chaise vide, malgré la pression. Boycotter revenait à déserter. Participer a permis d’obtenir un meilleur texte qu’à « Durban I ». Sans référence à la « diffamation des religions » et sans focalisation sur Israël (comme si le conflit israélo-palestinien relevait du racisme et non d’un conflit territorial).
Entre ceux qui rêvent d’étendre la lutte contre le racisme à toutes les discriminations (y compris sexuelles) et ceux qui rêvent de transformer la lutte contre le racisme en lutte contre le blasphème, le seul compromis possible était un texte qui ne prévoyait ni l’un ni l’autre. Vu de Paris, cet accord peut paraître décevant. Vu de Genève, où l’on sait combien le rapport de force est défavorable aux pays démocratiques, on serait tenté de crier victoire.
Il faudra surveiller l’interprétation du paragraphe 12, bien mal ficelé, où l’énumération de certaines discriminations (« islamophobie, antisémitisme, anti-arabisme ») laisse penser que le racisme envers les musulmans, les juifs ou les Arabes relève d’un racisme antireligieux… Pour le reste, le texte sert la lutte contre le racisme et milite contre l’oubli des crimes du passé – dont la Shoah. La haut-commissaire aux droits de l’homme, ainsi que la plupart des grandes ONG représentées à Genève, l’ont salué comme la meilleure réponse possible au discours du président iranien.
A partir du moment où Ahmadinejad souhaitait venir faire son show pour les besoins de sa campagne électorale, il n’existait aucune posture idéale. Quitter la conférence revenait à lui abandonner le terrain. Les pays autoritaires en auraient profité pour réécrire le texte, dans le sens que l’on sait. A l’inverse, regarder ailleurs pendant qu’un tyran vomit sa haine à la tribune d’une conférence contre le racisme eut été indigne. Entre les deux, François Zimeray, ambassadeur pour les droits de l’homme, a convaincu ses collègues européens de se lever pour quitter la salle à la première diatribe. Un geste rare dans cette enceinte. Il a réparé l’affront. Il aurait fallu plus pour sauver l’honneur.
A force d’hésiter entre boycotter ou non, les démocraties ont manqué d’audace. Elles ont bataillé pour sauver le texte final, mais ont abandonné la tribune. Les pays les plus autoritaires s’y sont relayés pour ne parler que d’Israël ou de la diffamation des religions, sans qu’une autre vision du monde ne leur soit réellement opposée. Seul le ministre des affaires étrangères norvégien a sauvé l’honneur. Intervenant juste après le président iranien, il a dénoncé son discours avec la plus grande fermeté et rappelé que le texte voulu par cette assemblée était à l’opposé de ce message de haine. Où étaient les autres ?
Quel symbole si Rama Yade (secrétaire d’Etat aux droits de l’homme) avait succédé à Ahmadinejad pour remettre les pendules à l’heure ! Sous la pression des boycotteurs, son ministre de tutelle (Bernard Kouchner) ne lui a pas donné son accord. Et le président iranien a gardé la vedette.
Au lieu de boycotter ou d’envoyer leurs ambassadeurs, les Européens auraient dû se montrer offensifs et prendre le micro pour défendre leurs valeurs. Ils auraient dû rappeler en cascade que l’amalgame entre sionisme et racisme est une escroquerie, la focalisation sur le passé un écran de fumée, le racisme un mal qui ronge tous les pays (au Nord comme au Sud), et la critique de la religion un droit universel. Ils auraient aussi pu ironiser sur ces pays qui se battent contre la « diffamation des religions » au nom de l’islam tout en discriminant leurs minorités religieuses. Ou sur ces autres pays (parfois les mêmes) qui prétendent incarner les « damnés de la terre » tout en militant pour la domination masculine et l’oppression des minorités sexuelles. De ce point de vue, « Durban II » est une occasion manquée.