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Publié le 2 Janvier 2013

Nous Juifs d’Algérie, les oubliés de l’Histoire

Lettre ouverte de MORIAL - Mémoire et traditions des juifs d’Algérie, à Messieurs François Hollande et Abdelaziz Bouteflika

 

A vous monsieur François Hollande, président de la République française et à vous monsieur Abdelaziz Bouteflika, président de la République algérienne, permettez-moi, au nom de l’association MORIAL, Mémoire et traditions des Juifs d’Algérie, que j’ai l’honneur de présider, de vous souhaiter une bonne année 2013. Nous espérons qu’elle apportera une pierre précieuse à l’édifice du progrès et qu’elle permettra de faire un pas en direction de la paix et de la compréhension pour toutes les femmes et les hommes de bonne volonté, si différents soient ils, si culturellement opposés soient-ils, sans distinction de religion ou d’idéologie.

Nous avons, vous et nous, Monsieur Bouteflika, nos propres martyrs et ils ont droit au même respect

Puisque vous attachez, monsieur le président Hollande, une grande importance au devoir de mémoire, quelques utiles précisions s’imposent pour que vous ayez une vue parfaitement éclairée concernant certains de vos concitoyens, à savoir nous les Juifs originaires d’Algérie. Sachez que les nôtres ont été présents sur la terre d’Afrique depuis l’époque des Phéniciens. Si bon nombre de nos ancêtres, lors de l’arrivée des Arabes au VIIème siècle, après de difficiles combats, se convertirent à l’Islam, d’autres restèrent ce qu’ils sont encore aujourd’hui, des Juifs.

 

Ils eurent alors le statut de « dhimmis » qui, en terre d’Islam, protège les non musulmans mais avec des droits limités, ayant entraîné, malheureusement bien souvent, mépris et humiliations, allant parfois jusqu’au massacre de certaines communautés. Lorsque la France, en 1870, nous accorda, par le décret Crémieux, la nationalité française, nous sortîmes enfin définitivement de l’état de soumission intolérable dans lequel les nôtres se trouvaient.

 

Vous avez, Monsieur le président de la République française, à juste titre, condamné les massacres subis par la population musulmane en 1945 à Sétif. MORIAL aurait souhaité que vous condamniez de la même façon, entre autre, le pogrom de Constantine qui eut lieu le 5 août 1934 et qui coûta la vie à 28 de nos coreligionnaires ou les horribles massacres que subirent les Juifs de Mascara en 1835 lorsque les troupes d’Abd El Kader, contre la volonté de leur chef, tuèrent de nombreux Juifs alors que le Général Clauzel prenait possession de la ville. Un millier de rescapés, apeurés, suppliants se mirent sous la protection des soldats français qui repartaient sur Oran. Malheureusement sur cette route montagneuse et escarpée, en raison des conditions climatiques très éprouvantes, la plupart périrent en chemin.

 

Monsieur le président François Hollande, vous avez fustigé les méfaits de la colonisation française durant ces 132 années de présence française, je voudrais vous rappeler qu’elle nous a permis, à nous Juifs, de devenir des hommes libres et d’avoir la nationalité française, ce dont nous sommes fiers.

 

Lorsqu’au début des années 60, l’indépendance de l’Algérie était un fait qui semblait inéluctable, un certain nombre de nos coreligionnaires se posèrent la question de savoir s’il fallait rester dans ce pays qui avait été la terre d’accueil de nos ancêtres ou s’il fallait suivre le chemin de la France. Le pillage, la profanation de la grande synagogue d’Alger le 11 décembre 1960 et le massacre des Juifs qui se trouvèrent dans les alentours levèrent les doutes de ceux qui hésitaient.

 

Ces précisions étaient nécessaires pour que le devoir de mémoire puisse s’exercer dans le respect des traditions, avec pour chacun sa propre vérité et son propre ressenti.

Nous avons, vous et nous, Monsieur Bouteflika, nos propres martyrs et ils ont droit au même respect. Dans le passé, nous nous sommes souvent recueillis, ensemble, sur les tombes de nos sages. Ils étaient souvent les mêmes et régulièrement des cohortes de Juifs et d’Arabes se pressaient, pratiquement main dans la main devant ces sépultures sacrées. Il serait bon, monsieur le président de la République algérienne, que nous puissions revenir sur la terre de nos ancêtres pour nous recueillir sur les tombes de nos aïeux selon nos rites, en toute sécurité, non seulement à titre individuel, comme cela est plutôt possible, mais aussi et surtout collectivement, comme peuvent le faire nos amis chrétiens. Le temps passe, les pages se tournent, même si la mémoire ne doit pas oublier, quelle belle image pour le futur si les cousins éloignés que nous sommes étaient capables de se sourire, de se tendre la main et d’avoir des projets communs.

 

Didier Nebot

Président de MORIAL

Mémoire et traditions des juifs d’Algérie