Le château de Pontourny, en Indre-et-Loire, devient, ce 1er septembre, le premier centre de dé-radicalisation en France.
Par Michel Fize, Sociologue, ancien conseiller régional d’Ile-de-France, publié sur le Blog du Huffington Post le 1er septembre 2016
Il va accueillir, dans un premier temps, une dizaine de "volontaires", âgés de 18 à 30 ans, qui, soit ne sont jamais partis en Syrie, soit y sont allés mais ne sont pas placés "sous main de justice" et n'ont jamais été incarcérés.
Avant d'aller plus loin, demandons-nous ce que l'on entend aujourd'hui par "radicalisation", terminologie désormais convenue. La radicalisation est un processus d'adhésion plus ou moins rapide (on parle, dans certains cas djihadistes, de quelques jours) à une pensée "radicale", soit de nature politique, soit, plus fréquemment, de nature religieuse [et, pourquoi pas, culturelle : le surréalisme des années 1920-1930, n'est-il pas en soi une radicalité culturelle?] Les idées radicales sont des idées fortes, intransigeantes, qui prennent les problèmes à leur "racine" (étymologie du mot "radical), et entendent leur apporter des réponses directes, sectaires souvent.
Ainsi le "radicalisme" frontiste (FN) préconise-t-il une application stricte de la laïcité ainsi qu'une sortie de l'Union européenne, à l'image du Brexit anglais. Le radicalisme religieux, de type islamiste en l'occurrence, s'appuie, lui, sur des idées "toutes faites", millénaires, déposées dans des textes sacrés : le Coran en l'espèce. Chacun sait qu'il existe des sourates guerrières dans ce texte, peu nombreuses il est vrai (une quinzaine), contrairement à ce qu'affirme Michel Onfray, mais qui, faisant l'objet d'une interprétation "radicale" et dé-contextualisée, peuvent servir de détonateur aux actions violentes actuelles. L'Etat islamique ne se fait d'ailleurs pas faute de se référer à ces sourates pour conduire ses soldats à l'assaut des "mécréants".
Venons-en à présent à la dé-radicalisation. Il faut d'abord indiquer que la dé-radicalisation ici évoquée est la dé-radicalisation islamiste. Il n'existe pas à ce jour de dé-radicalisation politique! La dé-radicalisation est l'opération (du Saint-Esprit?) qui consiste à vouloir qu'un djihadiste ne le soit plus. C'est un "lavage de cerveau", mais légal, sous le contrôle de l'Etat, une tentative de transformation du mental (pathogène?) d'un individu, mais qui suppose, parallèlement, une transformation des conditions sociales de cet individu. Les divergences en Europe portent sur les techniques utilisées dé-radicalisation, selon qu'elles cherchent aussi (ou surtout) à dés-islamiser l'individu en traitement, c'est-à-dire à lui faire perdre ses croyances religieuses. La France, au nom de la laïcité, n'a pas fait ce choix... pour le moment.
Si l'on revient au centre de Beaumont-en-Véron, l'on constate la volonté de concilier mutation mentale et mutation sociale, dans le respect du religieux. Il est prévu, en effet, que les "volontaires" seront encadrés par 25 personnes: infirmiers, psychologues, éducateurs... L'Etat a aussi pour objectif, d'ici à fin 2017, d'ouvrir 13 autres centres, soit un par région, et un deuxième centre avant la fin de l'année 2016 pour accueillir, cette fois, des "cas plus lourds", des jeunes "sous main de justice", qui ne seront pas, eux, volontaires, mais choisiront cette institution comme alternative à l'incarcération. Terminons en précisant qu'à Pontourny, la durée de séjour sera de dix mois, le programme comportant deux volets: un volet "resocialisation" avec temps de formation et d'apprentissage ; un volet que nous appellerons "redressement mental", avec sport et travail psychologique, individuel ou en groupe, le tout ponctué de "séminaires" sur le fait religieux et la laïcité.
Ces centres de dé-radicalisation illustrent une sorte de prévention SPECIALE/spécifique, appliquée à un petit groupe d'individus, volontaires ou pas. Cette restriction numérique est un premier handicap du dispositif. Le second handicap porte sur les attentes dont on peut penser qu'elles ont toutes les chances de n'être pas satisfaites. La seule référence que nous ayons ici est ce programme lancé, en avril 2015, en milieu carcéral, par l'association Dialogues citoyens et l'association française des victimes du terrorisme, qui sert actuellement de modèle dans les cinq "quartiers dédiés" aux détenus les plus radicaux dans quatre établissements pénitentiaires, entre janvier et mars 2016. Ici encore, laïcité oblige, impliquant neutralité de l'Etat, les choix religieux des "radicalisés" ne sont pas contestés.
Comme à Beaumont-en-Véron aujourd'hui, mais sur une durée plus courte de sept semaines, le programme fait intervenir diverses personnes d'horizons divers: une musulmane et militante féministe, pour parler d'engagement citoyen et de discriminations, un journaliste pour parler des médias et des théories complotistes, un ex-braqueur devenu médiateur pour évoquer la question de la réinsertion, un expert, le sociologue Farhad Khosrokhavar pour mieux présenter le monde contemporain, enfin une aumonière musulmane pour parler du fait religieux et de laïcité...
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