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Publié le 27 Mars 2012

Rescapés du premier convoi français de juifs pour Auschwitz-Birkenau, ils témoignent

Le 27 mars 1942, le premier train de déportés juifs partait de France pour Auschwitz-Birkenau, avec 1 112 hommes. Dix-neuf seulement en revinrent. Simon Gutman (88 ans) et Jacques Smaer (90 ans), les deux derniers rescapés encore en vie, témoignent. Des commémorations se déroulent mardi 27 mars 2012 à Drancy, où ces déportés furent auparavant détenus, ainsi qu’à Compiègne et au Mémorial de la Shoah, à Paris.

sur les 76 000 juifs de France déportés de 1942 à 1944, 2 500 survécurent

1942, année de sinistre mémoire marquée par le début de la déportation des juifs de France, qui en trois ans allait coûter la vie à plusieurs dizaines de milliers d’entre eux (1). Le 27 mars de cette année-là, le premier train de déportés juifs quittaient la France pour l’Allemagne. Plus exactement pour le camp d’Auschwitz-Birkenau, dans la Pologne occupée par Hitler. 1 112 hommes en tout. 19 seulement en reviendront, dont Simon Gutman (88 ans) et Jacques Smaer (90 ans). Les deux derniers témoins en vie de ce convoi de la barbarie nazie doivent participer aujourd’hui aux commémorations organisées à Drancy et Compiègne, ainsi qu’au Mémorial de la Shoah à Paris.

 

Retour dans le passé. Lors des premières rafles de juifs, effectuées en 1941 avec la complicité active de la police française à Paris, où ils résident avec leur famille, les deux hommes de 17 et 20 ans sont arrêtés. La première rafle a lieu le 14 mai : convoqués par la préfecture de police pour examen de situation, 3 747 juifs étrangers (polonais, tchécoslovaques et ex-autrichiens) sont envoyés dans les camps du Loiret de Beaune-la-Rolande et Pithiviers.

 

La deuxième se déroule le 20 août. Ce jour-là, 4 232 juifs étrangers et français sont interpellés en pleine rue dans plusieurs arrondissements, après contrôle des papiers, et transférés au camp de Drancy, qui vient de s’ouvrir au nord de la capitale. La troisième sera effectuée le 12 décembre : 743 juifs « notables » (élus, avocats, médecins, professeurs, ingénieurs, commerçants) seront alors emmenés de force de leur domicile au camp de Royallieu à Compiègne (Oise).

 

Jacques Smaer et Simon Gutman ont été victimes de la deuxième rafle. À Drancy, ils ont, avant même d’être déportés, affronté la faim et la soif. Et la peur lorsque, par exemple, Theodor Dannecker, chargé de la « question juive » au sein de la Gestapo à Paris, est venu tirer au sort 50 internés pour être fusillé au Mont-Valérien, en représailles à des attentats de la Résistance. Au vu de son mauvais état de santé, Jacques Smaer a d’abord été libéré en novembre, avant d’être repris à son domicile dans la nuit du 12 au 13 décembre.

 

«Nous disons la vérité»

 

Le premier train de juifs de France est parti de la gare du Bourget, avec une halte à Compiègne. Constitué de wagons de troisième classe (les wagons à bestiaux apparaîtront avec le deuxième convoi), il transportait 550 internés de Drancy et 550 « notables » enfermés à Royallieu. « Il concrétisait la mise en route de la solution finale en France »,  souligne Me  Serge Klarsfeld, président de l’association « Les fils et filles des déportés juifs de France ».

 

Le sadisme y était déjà à l’œuvre : entassés les uns sur les autres, les déportés étaient privés d’eau et de nourriture et ne pouvaient pas se déplacer, y compris pour satisfaire un besoin naturel. Les plus âgés s’évanouissaient. « Le voyage a duré trois jours et trois nuits, nous étions angoissés »,  précise Jacques Smaer. « Il nous avait été dit au départ que nous allions dans les Ardennes pour travailler,  se souvient Simon Gutman, et nous réclamions en vain à boire quand le train s’arrêtait. Même les personnes vêtues de la tenue de la Croix-Rouge faisaient la sourde oreille. » 

 

 « La mort a tout de suite frappé notre convoi à Auschwitz,  racontent d’une même voix Jacques Smaer et Simon Gutman. À notre arrivée, nous avons été violemment poussés par les SS et les chiens vers un local où, après avoir bu un breuvage infâme, nous avons été délestés de nos affaires personnelles, déshabillés et rasés, avant de recevoir une tenue de bagnard et un numéro de matricule tatoué dans le creux d’un bras. Il fallait retenir ce chiffre, sinon on était roués de coups ou tués. Dotés de chaussures de bois trop grandes, nous avons ensuite été dirigés vers le camp de Birkenau, qui se trouvait en construction à trois kilomètres.  Le chemin était boueux en ce début avril 1942. Ceux qui tombaient le payaient de leur vie. Nous avons atteint un autre bâtiment pour y dormir dans un espace si réduit que personne ne pouvait bouger. » 

 

Les humiliations ont été extrêmes et nombreuses durant ces années de camp. Les deux rescapés insistent sur « la brutalité effrénée »  des kapos (2) – « ils nous battaient à mort » . Les anecdotes terribles se bousculent dans leur mémoire. « Chaque matin d’hiver, on nous faisait sortir nus pour nous asperger d’eau glacée. »  Ou encore : « Dans mon commando (3), il y avait un père et son fils. Un jour, le kapo a demandé au fils de tuer son père. Devant son refus, il a exigé du père qu’il tue son fils. Même refus. Alors, le kapo les a exécutés froidement tous les deux. »  « Nous disons la vérité » , insistent les deux témoins, les larmes aux yeux, comme s’ils craignaient de se heurter de nouveau à l’incrédulité qui les avait accueillis après leur retour en France.

 

Se libérer du poids de la déportation en la racontant

 

Simon Gutman est resté à Birkenau, dans un commando de travaux forcés, puis dans celui des cuisines (« où les violences étaient effroyables » ) et, enfin, dans celui de gestion des vêtements du camp. Il a été atteint du typhus. Mais cela l’a finalement sauvé. Alors qu’il avait été sélectionné avec un millier d’autres pour attendre dans le bloc 7 de passer à la chambre à gaz, son état comateux l’a laissé pour mort : il a été « oublié au fond, dans un coin ».

 

En octobre 1944, il a été envoyé au camp de Stutthof, toujours en Pologne. En février 1945, lui et cinq autres déportés ont décidé de fausser compagnie aux SS qui faisaient déplacer les déportés à pied afin d’échapper à l’avancée des Alliés. Au bout d’une longue errance semée d’embûches, le groupe a fait « la jonction »  avec un détachement de la 2e  DB. « Cela a été une grande émotion, ils se sont mis au garde-à-vous devant nous en faisant le salut militaire. » Parvenu à Paris en avril, il apprend que sa mère, ses trois frères et ses deux sœurs n’ont pas survécu à la rafle du Vel’ d’Hiv du 16 juillet 1942. Il retrouve son père, passé aussi par Auschwitz-Birkenau.

 

Jacques Smaer, lui, a fait partie d’un commando de menuisiers à Auschwitz. Le 9 février 1945, il a tenté avec deux camarades de s’échapper d’une « marche de la mort »  organisée sous les bombardements alliés. Blessé par balle à une jambe par un SS, il a été transféré à Buchenwald. Après l’arrivée des Américains dans ce camp, il a été évacué sur Paris. 

 

Hospitalisé, il a eu le plaisir de recevoir la visite de sa mère, de son frère et de sa sœur, qui ont pu échapper aux rafles. Il a alors cherché à se libérer du poids de la déportation en la racontant dans deux cahiers. Une libération plutôt amère : « J’ai fait lire autour de moi ce récit,  assure-t-il,et personne ne m’a cru. Même pas ma mère. Alors, elle a détruit les cahiers à ma demande. » En 2005, Jacques Smaer a décidé de confier à l’Institut national de l’audiovisuel un long témoignage

 

Les commémorations du mémorial de la Shoah

 

Outre la commémoration du premier convoi du 27 mars 1942, qui est organisée ce soir à son siège en partenariat avec le ministère de la Défense, le Mémorial de la Shoah prévoit des cérémonies du souvenir pour chaque convoi. Une cérémonie en hommage aux victimes des rafles en zone sud aura lieu à Toulouse le 13 septembre.

Des expositions sont programmées jusqu’à la fin de l’année : « Des noms sur des murs » (les graffitis des internés à Drancy), « Les Enfants et la Shoah », « Les Juifs de France dans la Shoah ». Renseignements : 01.42.77.44.72.

 

Notes :

(1) sur les 76 000 juifs de France déportés de 1942 à 1944, 2 500 survécurent.

(2) Mot désignant les chargés de l’encadrement des déportés dans les camps nazis, souvent des détenus de droit commun.

(3) Détachement de détenus affectés à une tâche.

 

Article publié dans la Croix du 26 mars 2012.