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Publié le 23 Juillet 2012

Serge Klarsfeld : « Le devoir de mémoire en France est fait d’une façon remarquable »

Présent à la cérémonie de commémoration des 70 ans de la rafle du Vel d’Hiv, dimanche 22 juillet 2012, Serge Klarsfeld s’est exprimé sur le devoir de mémoire, selon lui « fait d’une façon tout à fait remarquable en ce qui concerne la Shoah » en France.

Voici l’intégralité de son discours :

 

Il y a 440 ans, pendant l’été 1572, eut lieu une exceptionnelle tragédie : sur ordre du roi, les Protestants de Paris furent mis à mort. Depuis quatre siècles, on enseigne à chaque écolier de France l’horreur de cette journée du 24 août 1572 où des milliers d’êtres humains perdirent la vie parce qu’ils étaient Protestants. 370 ans plus tard, le 16 juillet 1942, s’est déroulé une nouvelle St Barthélémy, celle des Juifs de Paris et de sa banlieue : 3.000 hommes, 6.000 femmes et 4.000 enfants arrêtés parce qu’ils étaient Juifs sur ordre du souverain de l’époque le Maréchal Pétain et livrés au bourreau allemand sachant le sort funeste qui les attendait.

 

Certes, on ne mettait pas ces familles à mort sur place en France, ce fut une St Barthélémy en deux temps ; toutes ces victimes allaient être assassinées en cinq semaines seulement entre le 22 juillet et le 31 août à l’autre bout de l’Europe dans le camp d’Auschwitz-Birkenau.

 

La coopération entre Vichy et les nazis a été si cruelle qu’elle a obligé les parents à partir les premiers, qu’auparavant elle a brutalisé parents et enfants pour les séparer de force dans les camps du Loiret, qu’elle a laissé 3.000 enfants en bas âge seuls pendant 15 jours dans la plus affreuse détresse affective et matérielle avant de les transférer à Drancy et de les entasser dans des wagons à bestiaux, mélangés à des milliers d’adultes arrêtés par la police française en zone libre et qui, eux, allaient être les seuls Juifs à arriver à Auschwitz en provenance du territoire où il n’y avait pas d’Allemands.

 

Cet immense crime contre l’humanité auquel s’est associé le gouvernement de Vichy devenu complice actif du IIIème Reich, exige pour le reconnaître beaucoup de courage et de lucidité de la part de ceux qui dirigent notre pays et qui évoquent cette page d’histoire dont j’ai dit qu’elle était la plus noire écrite jusqu’ici.

 

En déclarant que c’était la France qui ce jour là accomplissait l’irréparable, Jacques Chirac a rompu avec ses prédécesseurs pour qui seule l’autorité de fait qu’était l’Etat français était coupable.

 

Mais si nous avons braqué les projecteurs sur la noirceur, nous avons aussi depuis 30 ans mis en lumière le rôle de sauvegarde joué par les trois quarts des Juifs par une population française devenue compatissante et solidaire quand elle a vu la souffrance des familles juives et qui s’est attachée comme nulle part ailleurs en Europe à sauver les enfants juifs. N’oublions jamais que si sur le sol français, 11.000 enfants furent déportés avec la complicité de Vichy, 60.000 furent sauvés grâce surtout à une population française qui dans son ensemble mérite d’être qualifiée de Juste.

 

Notre groupe d’enfants survivants de la Shoah a constitué pendant trois décennies les éclaireurs, les baroudeurs, les commandos de la justice et de la mémoire, et l’essentiel a été accompli.

 

Demain, nous ne serons peut-être plus que des sentinelles vigilantes dans un pays où la haine anti juive tue à nouveau des Juifs, des enfants juifs.

 

Seul un désastre militaire a pu déposer la République et susciter un régime autoritaire et fascisant pratiquant un antisémitisme d’Etat aux conséquences meurtrières.

 

Aujourd’hui, la République n’est pas menacée. Nous avons confiance en elle pour endiguer et maîtriser ce nouvel antisémitisme qui sévit et jette aujourd’hui une ombre sur notre hommage aux victimes de la rafle du Vel d’Hiv.

 

Serge Klarsfeld