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Pierre Milza s’interroge : comment expliquer cette percée du national populisme et surtout son enracinement dans le paysage politique européen ? S’agit-il d’un phénomène absolument nouveau, lié à l’ère postmoderne et postindustrielle ? Ou de la résurgence, sous des traits rajeunis, de courants qui ont traversé le vingtième siècle, tantôt isolés, tantôt mêlant leurs eaux, tantôt affleurant à la faveur d’une crise ou empruntant temporairement un cheminement souterrain ?
Son hypothèse - que l’on peut néanmoins contester ou discuter - est que, derrière le paravent d’une certaine modernité, adaptant son discours à une demande sociale qui évidemment a changé depuis un siècle, sommée de tenir compte dans ses calculs électoraux de l’adhésion d’une majorité d’Européens aux principes démocratiques, la droite radicale est restée au fond ce qu’elle était à l’époque où un Drumont, faisait vibrer les foules aux accents d’un discours nationaliste, xénophobe, identitaire et sécuritaire.
Pierre Milza sait bien que la droite populiste et contestataire est loin d’être homogène. Ce livre est là précisément pour aider à faire le tri entre les entreprises de pure démagogie électorale et le noyau dur des organisations qui, sous couvert de réponses apportées aux problèmes des « obscurs » et des « sans-grade », visent en fait à faire passer dans les esprits des thèmes, des idées, des phobies qui sont depuis toujours ceux de la droite extrême.
L’Europe est-elle en voie de fascisation, au sens où cette formule voudrait dire que nous nous acheminons vers un remake des événements tragiques de l’entre-deux-guerres ?
Pierre Milza est catégorique. Les totalitarismes fasciste et nazi sont derrière nous et ne se reproduiront sans doute jamais sous la forme que nous avons connue. Même si des militants en chemise noire, ou brune, reproduisent depuis bientôt soixante ans, leurs obsessions morbides et criminelles. Nous avons davantage à craindre, pense l’historien de ceux qui ont décidé d’avancer à visage couvert, et veulent conquérir le champ « métapolitique » pour prendre le pouvoir dans les têtes avant de s’en saisir grâce au verdict des urnes. Ceux-là ont fait le choix, à la charnière des années 70 et 90, de gommer les aspects les plus acérés de leur doctrine et de s’ériger en partis de la protestation sociale.
Pierre Milza, L’Europe en chemise noire. Les extrêmes droites européennes de 1945 à aujourd’hui, Fayard, 2002, 479 p, 22 euros.
Marc Knobel
Observatoire des médias