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Publié le 6 Février 2003

<i>L’ennemi américain. Généalogie de l’antiaméricanisme français</i> De Philippe Roger

Dans plusieurs pays, d’intenses manifestations se sont déroulées tout au long du week-end des 18 et 19 janvier pour dire « non à la guerre en Irak ». Des centaines de milliers de manifestants ont arpenté les rues de Paris, Berlin Rome, Madrid, Bruxelles ou Tokyo. Il y avait cependant au moins deux dénominateurs communs entre toutes les banderoles, entre les slogans scandés et les drapeaux brandis : la défense de la cause palestinienne et… l’antiaméricanisme primaire. Car, dans ces foules bigarrées, l’antiaméricanisme se mesurait à toutes les sauces et sous toutes les variantes.



En France, l’antiaméricanisme est un élément étrangement fondateur et qui sévit dans toutes les couches de la société, de tous les âges et milieux. Les intellectuels français ont très souvent manifesté une hostilité franche et variée à l’égard de l’Amérique ; l’antiaméricanisme est vulgarisé dans l’opinion publique, et la presse ne se prive pas de critiquer ce pays. Il y a certes l’antiaméricanisme de gauche, bien connu, et viscéralement attaché à toujours dénoncer « le grand Sam » et « l’impérialisme américain », mais l’antiaméricanisme peut être plus nettement de droite ; catholique, laïque, athée, ou antisémite. Dans « L’ennemi américain », Philippe Roger, Directeur de la prestigieuse revue Critique, nous offre un ouvrage de grande qualité. Car le sémiologue puise en notre tradition d’antiaméricanisme qui se renforce de tous les événements et à tous les instants.

Philippe Roger se fonde sur un énorme corpus des dits et écris français pour nous offrir cette grande et première histoire de l’antiaméricanisme à la française. Et nous voici plongé dans un sottisier incroyable puisque l’auteur démonte les lieux communs, les idées reçues et la plasticité du discours antiaméricain, proféré par les individus les plus dissemblables, les écoles les plus opposées, les partis politiques les plus inconciliables. Loin d’être en voie d’affaiblissement en raison de l’américanisation des genres de vie, la tradition américaine se renforce de tous les événements. Philippe Roger en donne pour preuve l’attentat du 11 septembre qui, loin de calmer les passions, nourrit le ressentiment. L’atteste notamment le succès du livre de Thierry Meyssan, l’effroyable imposture : aucun avion ne se serait écrasé au Pentagone : « Extraordinaire attrait qu’exerce sur le public français tout scénario privant les Américains de leur statut de victimes et les réinstallant en positions de suspects, voire de coupables… »

Marc Knobel

Philippe Roger, L’ennemi américain. Généalogie de l’antiaméricanisme français, Paris, Le Seuil, 2002, 606 pages, 26 euros.