- English
- Français
Avez-vous lu cette somme alambiquée que les Editions de La découverte viennent de publier au curieux titre de « La guerre israélienne de l’information » et au sous-titre de « Désinformation et fausses symétries dans le conflit israélo-palestinien » ?
Ce petit livre est co-écrit par une photographe, Joss Dray, auteur de nombreuses expositions sur la mémoire du peuple palestinien, ainsi que de chroniques sur des cités de banlieue et par Denis Sieffert, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Politis.
En lisant la dernière de couverture de l’ouvrage, on pourrait croire - parce que cela est écrit - que le livre est « loin de tout parti pris militant ». Et, en lisant la première page de ce livre, on pourrait imaginer que les auteurs vont décrypter - d’un côté comme de l’autre - cette avalanche incroyable d’images et de mots qui traitent du conflit israélo-arabe. Ce conflit n’est-il pas en effet surmédiatisé ? Le moindre accrochage n’est-il pas largement commenté, analysé, montré et/ou amplifié ? Les images du conflit ne font-elles pas le tour du monde ? La moindre déclaration n’est-elle pas décortiquée, livrée et saucissonnée ? Et, d’un côté comme de l’autre, on peut facilement imaginer que le moindre événement pourrait être exploité et que, de toute manière, une véritable guerre de l’information sera livrée.
Dès la page 8, le lecteur - qui pouvait encore hésiter - est néanmoins prévenu. Les deux auteurs signalent aux lecteurs qu’en écrivant ce livre, ils ne récusent « pas un engagement ». Pourtant n’avions nous pas lu plus haut que l’ouvrage serait « loin de tout parti pris militant » ?
Mais alors, de quel engagement s’agit-il ? D’un engagement du côté « du droit international et de ces innombrables résolutions, restées jusqu’ici lettre morte », répondent Joss Dray et Denis Sieffert. Car pour eux, il n’y a pas dans le conflit israélo-palestinien « de symétrie dans la responsabilité. » On peut et on doit penser, écrivent-ils « l’horreur des attentats qui touchent des civils, et les condamner, sans pour autant inverser l’ordre des causes et des effets. »
L’engagement pro palestinien de Denis Sieffert
Joss Dray et Denis Sieffert ne récusent donc pas un engagement militant (p.8). Dans ce cas, il eut été particulièrement correct et plus honnête que Denis Sieffert rappelle à juste titre à quel type d’engagement il fait justement allusion.
Or, cet engagement est d’autant plus important que Denis Sieffert se pose en journaliste et tente de démontrer que les médias sont manipulés, voire que les journalistes manipuleraient eux-mêmes l’opinion publique.
L’analyse qui est faite dans cet ouvrage eut été plus remarquée si elle avait été faite par un spécialiste, un chercheur ou un journaliste qui aurait forcément marqué un champ, une distance avec le sujet et n’aurait pas été engagé dans le conflit, pour l’une ou l’autre partie. Denis Sieffert est au cœur du militantisme pro palestinien.
On peut donc légitimement et à raison douter de son objectivité et considérer de fait que son analyse poursuit un seul et unique objectif, particulièrement militant, et dévoué à la cause palestinienne. Ce qui par ailleurs est tout à fait de son droit, mais quel crédit peut-on accorder à quelqu’un qui est partie prenante et est un militant/journaliste si engagé ?
Nous nous sommes donc livrés à une recherche pour tenter de mesurer l’engagement militant de Denis Sieffert. Nous dégagerons de la totalité les quelques exemples suivants :
Premier exemple.
Nous apprenons qu’en juin 2001, une délégation de la société civile comprenant notamment Jean-Claude Amara (Droits devant !!), Évelyne Sire-Marin (Syndicat de la magistrature), José Bové (Confédération paysanne) s’est rendue dans les territoires pour apporter son soutien au peuple palestinien. Denis Sieffert, rédacteur en chef de Politis, était du voyage. Denis Sieffert livre ses impressions et raconte le déroulement de ce voyage. Mais on apprend que, le 20 juin 2001, les membres de cette délégation ont rencontré « les partis politiques (Hamas et Djihad compris) ». Le commentaire qu’il fait de cette rencontre est sidérant, puisqu’elle est qualifiée benoîtement de « festival de langue de bois. » (Cité par campagnes solidaires, n° 155, septembre 2001, mensuel de la Confédération Paysanne).
On peut s’étonner à juste titre qu’une telle rencontre ait eu lieu. Les membres de cette délégation pouvaient ou se devaient de rencontrer des hommes politiques palestiniens mais, était-il nécessaire de parler avec des représentants du Hamas ou du Djihad islamique ? Pourquoi faut-il légitimer en les rencontrant des individus qui soudoient, organisent, planifient ou légitiment le terrorisme et les actions suicides ? Et qu’est ce donc que cette contradiction qui consiste à condamner les attentats mais à rencontrer les représentants d’organisations terroristes ?
Il est nécessaire de rappeler qu’en Europe, le 27 décembre 2001, l'Union Européenne a décidé de prendre des mesures concrètes contre des individus et des organisations considérés comme « commettant ou tentant de commettre un acte de terrorisme, participant à un tel acte ou facilitant sa réalisation ». Sur la liste des personnes et entités visées, on trouve le Djihad Islamique Palestinien, le Hamas - Izz al-Din al-Qassem (branche terroriste du Hamas) et trois responsables du Hezbollah, dont Imad Mughniyah, défini comme étant « officier supérieur des services de renseignement du Hezbollah » (Journal officiel des Communautés européennes L 344 44e année 28 décembre 2001). Ce rappel s’impose tant il est convenu que le Djihad et le Hamas sont qualifiés et perçus comme ceux qu’ils sont.
Second exemple.
Nous extrayons de l’éditorial de l'hebdomadaire Politis datant du 19 avril 2001, le passage suivant :
« La propagande israélienne nous propose donc insidieusement des mots qui visent à travestir une guerre coloniale en acte de légitime défense. Comme si l'Intifada était autre chose que la révolte du colonisé, l'affirmation nécessaire de la dignité qu'on lui refuse et qu'il ne peut tirer que de ses propres actes. Comme si cette révolte-là n'était pas aussi un mouvement social dans un pays rendu exsangue par la botte du colonisateur. Bref, comme si la violence des uns et des autres ne venait pas toute entière de la violence initiale contenue dans la colonisation. Si l'on veut bien regarder les choses ainsi, froidement, dans la matérialité des faits, comme en disent les juristes, et sans cette littérature poisseuse qui mêle en permanence les mythes et la réalité, la religion et l'histoire, alors la conclusion devient évidente : Israël doit se retirer des territoires de Cisjordanie et de Gaza, démanteler ses colonies, accepter le partage de Jérusalem, et admettre la pleine souveraineté de l'Etat palestinien, et ce droit au retour que l'on reconnaît à tous les expulsés de la terre. »
Nous ne commenterons pas le propos de Denis Sieffert, ni les appréciations qu’il porte sur l’Intifada. Sieffert justifie néanmoins l’Intifada, mais il oublie que ce mouvement (de masse) - comme nous le savons - est loin d’être non-violent ou d’utiliser une forme non-violente d’action et/ou pacifique. La forme établie, les méthodes utilisées peuvent être ou sont destructrices et n’épargnent personne tant en Israël que dans les Territoires, lorsque des individus (civils ou militaires) sont identifiés comme israéliens. A moins que Denis Sieffert ne voit l’Intifada qu’au travers du prisme de l’enfant lançant des cailloux. Derrière les cailloux, des hommes en armes agissent, tirent et tuent. Cette vision angélique de l’Intifada ne correspond pas à la réalité. Même pas lorsque l’on évoque cette guerre des pierres. Les pierres ne sont-elles pas lancés contre les occupants de voitures israéliennes. Les pierres ne tuent-elles pas ?
Nous remarquons en tout cas que Denis Sieffert est bel et bien engagé, qu’il distribue aisément de bons et mauvais points et soutient effectivement la cause palestinienne, y compris en sa revendication essentielle de droit au retour. D’où cette question principale : si les Israéliens accédaient à toutes les demandes palestiniennes, à l’exception du droit au retour, que dirait Denis Sieffert ? On peut parier qu’il trouverait encore à redire, tant il ne semble pas entrevoir qu’il puisse et doive absolument y avoir une limite aux revendications nationales palestiniennes.
Troisième exemple.
Durant les trois jours de la Fête de l’Humanité qui se tint en septembre 2002, le village du monde accueillit en son centre les images et photographies issues d’observations de Joss Dray. « Plus qu'une exposition, « Les nouvelles portes de Jérusalem, apartheid Israël » est un « faire sentir », né d'une rencontre entre la reporter, deux graphistes, Anne-Marie Latrémolière et Anne Drucy, Denis Sieffert, directeur de publication de Politis, et Sari Hanafi, sociologue palestinien », raconte l’Humanité du 03 août 2002.
Plus surprenant, il fut décidé de construire sur 40 m2, une scène : « Barres métalliques, clôtures et plots de béton : sur 40 m2, un barrage sera reconstitué, prison à ciel ouvert, sur les grilles duquel seront accrochés photos, textes et cartes. On y pénétrera par un goulet d'étranglement, le long de canaux formés par des séparateurs de voies rouges et blancs. Pas d'autre mise en scène, aucun blocage à l'entrée, rien d'agressif. Juste une invitation à comprendre la brutalité d'une violence quotidienne, exsangue et sourde. » Là encore nous tombons dans les travers de l’émotionnel et du tout passionnel. Cette reconstitution scénique est particulièrement déplacée et est symptomatique de la « passion (religieuse) » pro-palestinienne. Que dirait Denis Sieffert, si les amis d’Israël voulaient reconstituer sur 40 m2, un restaurant de Tel-Aviv ou de Jérusalem, après qu’il ait été dévasté par un attentat terroriste ? Que dirait-il si des figurants « mimaient » les morts et les blessés ?
Quatrième exemple.
Dans son édito, (Politis, 14 février 2002), Denis Sieffert écrit que « depuis le début de la révolte palestinienne, le 28 septembre 2000, ce sont 1 200 personnes qui ont péri. Plus de 900 Palestiniens, mais aussi 257 Israéliens. Et il faudrait aussi tenir l'effroyable comptabilité des blessés, mutilés, handicapés à vie, qui pèseront pour longtemps sur ces deux sociétés que l'Histoire a précipitées dans une guerre absurde. Et il faudrait encore pouvoir quantifier la peur, omniprésente, obsédante. Cela, ce devrait être l'échec du Premier ministre Ariel Sharon, un an tout juste après son triomphe électoral, si l'on croyait un seul instant que son but est la sécurité d'Israël. Ce n'est pas son échec en revanche si l'on pense, comme nous le pensons, que son objectif n'est pas celui-là mais le règlement définitif du problème palestinien. Les morts, y compris israéliens, ne sont plus dès lors que la petite monnaie de l'Histoire. Vous savez, les oeufs que l'on casse pour faire l'omelette. Ils sont, si l'on ose dire, la matière première de l'entreprise, sa justification, sa raison d'être. Dans la logique de Sharon, un climat de violence savamment entretenu permet de fermer toute perspective politique. » Là encore, on se rend compte de l’excessivité des propos de Denis Sieffert. N’instrumentale-t-il pas Ariel Sharon en le décrivant comme une sorte de tueur froid, qui se moquerait (même) qu’il puisse y avoir des victimes israéliennes ? On eut été intéressé de remarquer qu’il s’interroge sur la personnalité d’Arafat. Mais il en semble incapable. Il faut d’ailleurs lire la description pour le moins amusante car romanesque qu’il fait du personnage dans le livre qu’il a co-écrit avec Joss Dray (pp. 50-51)…
En définitive, quelque puissent être les opinions de Denis Sieffert - qui a par ailleurs tout à fait le droit de les exprimer - il est clair que l’homme est parfaitement engagé et épouse totalement la cause palestinienne. Par contre, nous n’avons pas trouvé, sous sa plume et sur l’Internet (mais nous savons que l’on ne trouve pas tout sur l’Internet) de critiques de l’Autorité palestinienne, des choix stratégiques de Yasser Arafat, des scandales financiers et de la corruption qui règne au sein de l’Autorité, de la grande disparité de niveaux et des inégalités qui existent dans la société palestinienne, de l’absence de démocratie au sein de cette société, pas plus qu’il ne critique les organisations intégristes, fondamentalistes qui souhaitent appliquer la charia et créer une Palestine islamique…
L’engagement pro palestinien de Joss Dray
L’Humanité du 03 août 2002 présente Joss Dray en ces termes : « Voilà près de quinze ans que Joss Dray a choisi de témoigner du quotidien d'un peuple sous état de guerre. Depuis le début de la seconde Intifada, la photographe est retournée pas moins de douze fois en Palestine et a entamé un travail visant à dénoncer le morcellement programmé d'un territoire confisqué à ses habitants. Cherchant à raconter, surtout, la riposte désarmée de ceux qui ne renoncent pas aux déplacements usuels malgré les obstacles érigés sur leurs pas… Engagée dans les campagnes civiles internationales pour la protection du peuple palestinien, elle est retournée dans le pays en juin 2001. Et elle constate : « Comme jamais, le gouvernement israélien a installé une politique d'apartheid. » … Lors de la première Intifada, on pouvait passer de Ramallah à Jérusalem sans s'en apercevoir. " Depuis deux ans, le gouvernement israélien commet un " sociocide ", affirme la reporter, qui accuse : « Les accords d'Oslo préparaient à cette réoccupation radicale. Les gens de Gaza n'en sont pas sortis depuis 1994. »
Là non plus, nous ne commenterons pas l’engagement militant de Joss Dray en faveur de la cause palestinienne. Nous remarquons seulement que cet engagement est passionné, total. Comment peut-elle - dans ces conditions - prétendre jauger ou juger de la couverture que font les journalistes du conflit israélo-arabe ?
De l’émotion au compassionnel ou de l’utilisation de photographies pour émouvoir le lecteur
Cette propension à distribuer les bons et mauvais points apparaît dès la préface de l’ouvrage. Le lecteur est invité à partager les émotions de Joss Dray et Denis Sieffert : toutes les responsabilités ne sont-elles pas forcément israéliennes ? Il est étonnant de remarquer à quel point Israël est perçu dans ce livre comme une sorte de suppôt des Nations et de la région. Même si, il est vrai, les auteurs entrevoient qu’Israël à terme puisse s’intégrer dans la région.
Mais, ce thème ramassé de l’unique culpabilité d’Israël est si abondamment livré en temps ordinaire, qu’il n’est même pas étonnant qu’il soit (sur)exploité par les auteurs de ce livre. N’explique-t-on pas quotidiennement que le terrorisme et l’islamisme ne seraient la résultante que de frustrations arabes ? Que Ben Laden a assassiné des milliers de personnes pour défendre (également) la cause palestinienne ? Et que, même si les attentats du 11 septembre ont été horribles, ces attentats peuvent se comprendre, si ce n’est se justifier ? N’est ce pas finalement de l’unique faute d’Israël si le mal règne en ce monde ?
Pour initier le lecteur et lui prouver qu’Israël est forcément coupable, les auteurs proposent dans leur cahier central, un choix de photographies prises par Joss Dray entre décembre 2001 et mai 2002. Quatre photographies de maisons palestiniennes éventrées se succèdent.
Mais toutes les maisons éventrées du monde - ce qui est par ailleurs tragique - lorsqu’elles sont touchées par la guerre, ne ressemblent-elles pas à ces quelques maisons ? Serait-ce là une particularité exclusivement palestinienne ? D’autres photos de barrages et de contrôles sont montrées. Selon les auteurs, elles témoignent de l’horreur du conflit et de la seule responsabilité israélienne.
Là encore, nous tombons dans le piège classique de la seule passion palestinienne, de la seule victimologie palestinienne et du strict compassionnel à l’égard des seuls Palestiniens. Il eut été trop demander aux auteurs de cet ouvrage qu’ils veuillent montrer l’autre versant de la guerre. Joss Dray a-t-elle eu l’idée de photographier les bus israéliens éventrés, un hôtel ou un restaurant de Tel Aviv ou de Netanya, qui a été visé ? Afin que nous puissions voir les lambeaux de corps, les murs effondrés et la dévastation que cela provoque dans une ville et le traumatisme incommensurable que cela créé en Israël ?
Pour Joss Dray et Denis Sieffert : les journalistes sont manipulés et/ou coupables
Mais alors, de quoi s’agit-il et quel est l’objet de ce livre ? La démonstration est implacable : montrer que les Israéliens conditionnent les médias, mentent, trichent, argumentent et se livrent à une phénoménale guerre de l’information. Cette guerre serait entreprise pour empêcher que le conflit ne soit résolu pacifiquement, afin d’opprimer le peuple palestinien, de présenter le Président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat, comme s’il était un assassin et le peuple palestinien comme étant éminemment dangereux.
Selon les auteurs, comme la vérité serait cachée par les Israéliens, comme les Israéliens seraient les maîtres de la manipulation, du travestissement et du mensonge, les journalistes du monde entier seraient ainsi manipulés.
Les deux auteurs n’épargnent d’ailleurs pas les journalistes français, qui, selon eux, « reprennent à leur compte et sans nuances » (p.6), le récit israélien de Camp David. Et de citer ou d’aligner respectivement les confusions qui auraient été entretenues selon eux par Georges Marion et Jean-Marie Colombani du Monde (p.14) ; Jean Daniel du Nouvel Observateur (p.36 et 41) ; « et même » Victor Cygielman du Nouvel Observateur (p. 38) ; Bernard Guetta chroniqueur à l’Express et à France Inter (pp. 39-41) ; Martine Laroche-Joubert de France 2 (p.64) ; Jacques Amalric de Libération (p.67) ; Bernadette Chamonaz de France Inter (p.92).
Plus grave encore, quelques journalistes sont forcément coupables parce qu’ils prennent parti pour la thèse israélienne, quelque puisse être le sujet. Extrait : « Comment se fait-il que toute autre thèse ait paru inaudible ? Plus extraordinaire encore : comment se fait-il que des éditorialistes, des « faiseurs d’opinion » aient continué de diffuser l’interprétation israélienne alors que des enquêtes, parues parfois dans leur propre journal, invitaient au minimum à approcher une vérité infiniment plus complexe ? » (p.26)
Quelques journalistes échappent cependant à leur récrimination, notamment Sylvain Cypel du Monde (p. 19) ou Christophe Ayad de Libération (p. 58) et Daniel Mermet de France Inter (p.118).
« Les intellectuels boutefeux » car pro israéliens
Catherine Portevin dans le compte rendu qu’elle consacre à cet ouvrage dans Télérama (n° 2751, 2 octobre 2002, pp. 29-30) est catégorique : Denis Sieffert et Joss Dray brocardent « ces intellectuels boutefeux, colombes devenus faucons (Alain Finkielkraut, Daniel Sibony, Pierre-André Taguieff…) retranchés dans une posture tribale tout en défendant les principes républicains. » Dans son bloc-notes, Bernard Langlois (Politis, jeudi 3 octobre 2002) va plus loin encore, lorsqu’il fait le compte rendu de l’ouvrage et parle de ces intellectuels : les exemples flagrants de désinformation volontaire sont orchestrés par « ce qu’il faut appeler un groupe de pression, un « lobby » à l’œuvre dans la presse écrite et audiovisuelle occidentale, et singulièrement française. »
Nous remarquons que le terme de lobby est placé entre des guillemets, mais son utilisation est ici perverse. Le lobbying qui est partie prenante dans la société américaine est très mal vu dans la société française. La connotation péjorative saute aux yeux. Elle est plus forte encore et incisive lorsque l’on voit quels sont les intellectuels et journalistes qui sont visés et durement attaqués dans cet ouvrage. Et les auteurs de citer notamment et de critiquer violemment Maître Marc Lévy (p.70) ; Pierre-André Taguieff, Jacques Tarnero ou Alain Finkielkraut dans une vingtaine ou une trentaine de pages ; le psychanalyste Daniel Sibony, (pp.73-76) ; Philippe Glumpowicz et Marc Lefèvre (p.75) ; l’écrivain Bernard Cohen (p.79) ; l’écrivain Marek Halter (p.82-84) ; la revue de L’Observatoire du monde juif, qui est dirigée par Shmuel Trigano (pp.84-85) et Catherine Leuchter qui collabore à cette publication (p.116) ; le mensuel L’Arche (pp.109-110) ; Josy Eisenberg et Information juive (pp.110-111) ; Luc Rosenzweig (p.111) ancien journaliste du Monde ; Pierre Rehov, éditeur de la publication Contre-champs (p.112), ou Clément Weill Raynal, journaliste à France 3 (pp.114-115).
Le lobby est ainsi désigné… Un lobby Juif ?
Selon les auteurs, les intellectuels qui écrivent des « brûlots passionnés » et cèdent à la polémique » (p.69), participeraient à l’œuvre méthodique de déstabilisation et/ou de manipulation qui est entreprise par les Israéliens, et de conclure qu’ils seraient « les artisans de cette propagande. Intellectuels ou hommes de main, collent évidemment au plus près à la droite israélienne. En cela, ils ne se rendent même pas compte des débats qui traversent la société israélienne. Mais il ne faut pas oublier non plus qu’ils expriment aussi la crise de la société française. »
Cette remarque est d’une incroyable stupidité, surtout lorsque l’on sait que certains de ces intellectuels sont proches de la gauche israélienne ou membres des Amis de Shalom Archav (France).
En définitive, l’ouvrage de Denis Sieffert et Joss Dray mériterait de figurer et de demeurer dans les annales. Il est édifiant de constater à quel point ce livre tombe dans les travers qu’il entend dénoncer, puisqu’il est en définitive d’une partialité totale et d’un manichéisme hallucinant. En fait, ne serait-ce pas en réalité les auteurs mêmes de ce livre qui se livre à une guerre palestinienne de l’information ?
Par Marc Knobel
Chercheur au CRIF.