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Enfin, de longs développements permettent de mesurer à quel point le régime de Saddam Hussein fut tout au long de ces trente dernières années, instrumentalisé et/ou armé par les Russes ou les Occidentaux, en fonction de paramètres géopolitiques et économiques qui n’étaient et ne sont pas exsangues de cynisme.
La biographie que livre Saïd K. Aburish est réellement accablante et terrifiante.
Marc Knobel
Observatoire des médias
L’enfance de Saddam Hussein
Cette combinaison d’absence du père, d’épreuves et de quolibets, sans oublier les mots et les manières brutales de son père n’a pu que marquer le psychisme de Saddam (…) Saddam devint donc ce que les Arabes appèlent un Ibn aziqa, littéralement un « fils des ruelles » - un être sans éducation ni vie de famille. On raconte qu’il volait des poulets et des œufs pour nourrir ses parents… D’autres légendes affirment encore qu’il utilisait une barre de fer pour tuer des chiens perdus et que, très jeune, il était devenu un shaqi notoire, un dur (…) un politicien irakien qui fut un temps proche affirme que cette période difficile a fait naître chez Saddam un sentiment d’injustice, que le fait d’avoir souffert de la faim, d’avoir dû marcher nu-pieds puis d’avoir connu ce retard scolaire avait effectivement engendré des complexes importants… Même ses ennemis les plus acharnés reconnaissent qu’il fut un enfant exceptionnellement intelligent…
(pp. 35 - 40)
Saddam s’identifie aux plus pauvres
Dans un pays historiquement déshérité, Saddam s’est aussi identifié aux plus déshérités des habitants, les pauvres de la minorité sunnite, soit environ la moitié des sunnites, qui ne représentent eux-mêmes que 20 pour cent de la population totale (…) Unis par des origines et des préjugés communs, ils se reconnaissent en Saddam Hussein. Ils détestent les Britanniques et l’élite sunnite qui gouverna le pays sous la monarchie et rejettent complètement les chiites.
(p. 47)
L’armée renverse la monarchie
Le 14 juillet 1958… l’armée irakienne renversa la monarchie. Cet événement constitua l’apogée naturel de tout ce qui s’était produit depuis 1921. Fondée dès son origine pour rassembler le pays, l’armée était la seule organisation capable de faire tomber le gouvernement, et s’y employa avec une délectation sanglante.
(p.65)
Saddam organise le bureau des enquêtes spéciales
(…) Il est peu douteux que plusieurs assassinats furent perpétrés avec son accord. « Nous devons tuer ceux qui conspirent contre nous », écrit-il dans The Long days. Et, ce qui allait devenir l’un de ses traits marquants par la suite, il s’intéressa de très prêts à l’administration ah hoc, le bureau des enquêtes spéciales chargé de déterminer qui devait être accusé de crimes contre le peuple.
(p.103)
Saddam prend de plus en plus de pouvoir
C’est à cette époque là (en 1968), qu’à l’instar de Staline avant lui, Saddam Hussein commença à élargir ses responsabilités et à placer sous sa coupe autant de secteurs que possible. Lorsqu’il prit en charge l’appareil de sécurité du parti (le baas), il était déjà à la tête du bureau chargé des fallahin, les paysans. Très vite, il se saisit aussi des portefeuilles de l’éducation et de la propagande. « Donne-moi l’autorité nécessaire, et je t’offrirai un parti capable de gouverner ce pays », aurait-il dit un jour à Bakr, si l’on en croit un ancien membre du gouvernement irakien qui a souhaité garder l’anonymat.
(p.131)
L’armée est transformée en un corps docile
Bien que sérieux, les conflits avec les Kurdes, les chiites et les communistes ne déstabilisèrent pas le pays et n’entravèrent pas les projets de Saddam Hussein. En fait, pour un pays constamment plongé dans la rivalité et la violence, la période de 1975 à 1979 fut plutôt stable. L’armée avait été transformée en un corps docile, dévoué à Saddam et placé sous le commandement de son beau-père.
(p. 199)
Les Etats qui fournissent des armes à l’Irak
« Les Etats qui nous fournissent des armes sont des pays amis mais nous ne pouvons pas garantir que cela continuera indéfiniment. Ces Etats n’approuvent pas tous les buts que nous poursuivons, car les limites de nos objectifs et de nos ambitions ne s’arrêtent pas à l’Irak mais s’étendent à tout le monde arabe. Nous devons donc être prêts à fabriquer des armes le cas échéant, même si cela va à l’encontre de la stratégie des pays fournisseurs (déclaration de Saddam Hussein, en 1976) »
(p. 235)
L’annonce d’un complot dirigé contre Saddam Hussein, le 28 juillet 1979
Les événements du 28 juillet 1979 furent filmés sur l’ordre personnel de Saddam. Le Conseil du commandement régional et d’autres chefs du Baas, quatre cents personnes en tout, étaient réunis dans une salle de conférence aux allures de cinéma… A mesure que Saddam égrenait les noms des conspirateurs, qualifiés de traîtres, ceux-ci étaient escortés un à un hors de la salle par les agents de sécurité en civil. L’un d’eux essaya de s’adresser à l’audience, mais Saddam se mit à hurler « Itla’, Itla’ », « Dehors, dehors ! » Tête baissée, les accusés sortirent tour à tour en compagnie de leur escorte. Personne ne devait jamais les revoir.
(p. 268 - 269)
La guerre contre l’Iran
Saddam connaissait mal son adversaire. Pour un homme aussi porté sur la vengeance, ne pas prendre en compte la détermination de Khomeyni à le punit pour son arrogance militaire et pour l’humiliation qu’il lui avait infligé en l’expulsant d’Irak en 1978 était une grosse erreur.
(p. 302)
Trafic d’armes
Le 28 mars 1990, cinq individus furent arrêtés à l’aéroport de Heathrow alors qu’ils tentaient de passer en contrebande des krytrons, conducteurs pouvant servir d’éléments de détonateurs pour l’arme nucléaire. Les douaniers britanniques étaient intervenus après avoir été secrètement informés par leurs homologues américains. Ce fut là le point fort de l’ « opération Argus »… Deux jours plus tard, Saddam Hussein, brandissant fièrement un krytron, fit savoir au monde que l’Irak possédait tous les krytrons dont il avait besoin. Il rejeta le blâme de la saisie à Heathrow sur des éléments sionistes et impérialistes, et jura que l’Irak continuerait ses efforts dans el domaine des armes.
(p. 421)
Utilisation de l’arme chimique
Les rumeurs selon lesquelles l’Irak utilisait des armes chimiques prenaient de la consistance, étayées par un nombre croissant de rapports neutres. Mais, les gouvernements, ceux du Moyen-Orient comme els autres, n’avaient guère chercher à vérifier ces affirmations ou à agir en fonction des découvertes de groupes indépendants.
(p. 348)
Saddam « frapperait Israël s’il attaquait n’importe quel pays arabe »
Humilié par l’arrogance koweïtienne, Saddam était préparé à prendre une revanche éclatante (sur ce pays)… En dépit de l’escalade de la crise avec le Koweït, Saddam s’interrogeait encore sur la façon d’en sortir, se demandant s’il n’était pas préférable de provoquer une crise avec Israël. Un mois après le sommet arabe, durant une conférence islamique à Bagdad, il élargit le champ de ses avertissements en affirmant « il frapperait Israël s’il attaquait n’importe quel pays arabe ».
(P. 427)
Saddam nomme à des postes clés les membres de sa famille
Une fois encore, le seul projet réaliste permettant de débarrasser l’Irak et le reste du monde de Saddam ne pouvait être qu’un éventuel coup d’état militaire ou la complaisance d’un unique assassin (…) Conscient du danger de sa position, Saddam resserra son étau sur l’armée et sur l’appareil de sécurité, immédiatement après la guerre du Golfe (…) Son demi-frère Watban fut nommé ministre de l’Intérieur, tandis que son autre demi-frère, Sabawi, devint son chef de cabinet et se vit attribuer les problèmes particuliers de sécurité (…) Les responsabilités d’Oudaï (un proche de Saddam) furent considérablement accrues. Ce demi-illetré fut nommé responsable du syndicat des journalistes et rédacteur en chef du journal Babel (…) A l’exception de Koussaï et de Barazan, le groupe familial se composait d’une bande d’individus insignifiants, dont les positions élevées n’avaient rien à voir avec leurs compétences. De fait, tous les autres parents de Saddam évoquaient une famille mafieuse…
(pp.497 – 499)
Des adolescents révèrent Saddam comme un messie
En octobre 1994 (…) Saddam, avait créé une milice de jeunes appelée les sadamyoun ou saddamistes. Ces adolescents furent entraînés dans des écoles spéciales à révérer Saddam comme un messie, un sauveur invisible dans une rigoureuse retraite. Ils touchaient régulièrement un traitement particulier et faisaient régner la terreur dans le cœur des citoyens ordinaires. Pour Saddam, ce fut un retour aux voyous qu’il employait dans sa jeunesse…
(p. 515)
L’opposition irakienne
(Elle) se compose d’environ quatre-vingt groupes désunis, et il n’y en a pas deux pour se mettre d’accord sur un programme politique visant à sauver le pays. En dépit de l’existence de talents individuels, la majorité d’entre eux ne sont ni viables ni efficaces, et ils se livrent à des spéculations sur un pays qu’ils ne contrôlent pas. La plupart ne sont pas autre chose que des groupuscules dont le seul but est de s’enrichir avec des subsides des Etats-Unis, du Koweït et de l’Arabie Saoudite. Même quand ces groupes ont quelques partisans, leur dépendance vis-à-vis de leurs riches mécènes, tout autant que leurs liens avec Israël et l’Iran affectent leur efficacité…
(pp. 546 – 547)
Le tyran
Il accorde à ses enfants une liberté croissante pour redéfinir et accroître l’infinie cruauté de l’homme pour son semblable. Il est en train de devenir un héros pour une nouvelle génération d’Arabes qui méprisent l’Occident, précisément pour sa façon de traiter l’Irak. L’homme responsable de tout cela a raffiné et développé les méthodes de torture en usage dans l’Allemagne nazie et dans l’Union soviétique de Staline. Il a créé la plus cruelle police d’Etat des temps modernes. Si l’Amérique et l’Angleterre ne laissent pas aux Irakiens assez de latitude pour s’en débarrasser, Saddam leur infligera une mémorable défaite. Même s’il disparaît, assassiné ou par la volonté de Dieu, la famine endurée par les enfants irakiens et le soutien accordé aux minables candidats à sa succession doivent cesser. La création d’un Etat client en Irak, ce qui est exactement le but poursuivi par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sans qu’ils l’admettent, nous laisserait avec un problème au Moyen-Orient qui nous hantera encore plus longtemps que le conflit israélo-arabe…
(p.557)
Saïd K. Aburish, Le vrai Saddam Hussein, Editions Saint-Simon, 2003, 593 pages, 23,95 euros.