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Publié le 21 Novembre 2002

<i>Paysan du monde</i> de José Bové

Voilà près de trente ans qu’aux quatre coins de la planète, l’infatigable José Bové n’arrête pas de s’engager pour des causes diverses, qui ont toutes à voir avec la désobéissance civile. De conférence internationale en mission sur le terrain en Colombie, des manifestations en Inde contre les OGM aux échanges d’expériences entre Mélanésiens et paysans du Larzac, de soirées-débats d’une université américaine à la rencontre avec le sous commandant Marcos, en passant par le Burkina Faso, l’éleveur aveyronnais sillonne le monde, sans jamais vraiment s’occuper de ses moutons. Pourtant, le Larzac est son village, « le socle où je puise une bonne partie de ma cohérence. Le « plateau », j’y ai mes repères, mes habitudes, comme n’importe quelle personne sur mon territoire… »



Dans « Paysan du monde » publié par Le livre de poche, José Bové se met magistralement en scène. Il est partout : le voici qui démonte le Mac Donald’s de Millau ; le voilà qui promeut l’agriculture paysanne (sans que l’on comprenne bien ce que cela veut dire). Il pourfend la globalisation économique ainsi que le modèle libéral et nous explique que l’Amérique qu’il aime est celle de la désobéissance civile. Infatigable José Bové, qui a un avis sur tout, sur tout le monde et sur toutes les choses de ce monde.

Il se met si bien en scène, qu’on peut penser qu’il mène une sorte de combat titanesque, livresque ou spirituel, contre toutes les puissances du monde. Et au détour de ces longues pages qui le mène vers tous les déshérités et exploités de la Terre, le voici enfin en Palestine.

Comme Bové se veut aussi historien, sociologue, psychologue, intellectuel…, l’auteur commence par nous expliquer ce qu’il en fut de l’histoire tourmentée de la région.

Puis, quelques pages plus loin, Bové se (re)met en scène. Et nous suivons José Bové, arpentant les rues de Ramallah et venant témoigner de son admiration pour Yasser Arafat. Il est à la tête d’une délégation française de la Campagne Civile pour la Protection du Peuple Palestinien (CCIPPP), qui le mène en territoire palestinien, en juin 2002. Le tout est grand guignolesque et quelquefois même poétique : « J’ai retrouvé mon causse préféré. Pipe au bec, mon regard court sur l’herbe sèche, le sol maigre, sur un épineux om s’attardent quelques cheveux d’ange, sur les cailloux que foulent mes brebis, semblables aux pierres de Palestine… »

Il nous semble pour le moins plaisant de citer le long portrait drastique et cocasse qu’a fait de lui l’ancien ambassadeur d’Israël en France, Elie Barnavi (Elie Barnavi et Luc Rosenzweig, La France et Israël. Une affaire passionnelle, Perrin, 2002) : « … Leur figure emblématique est José Bové, faux paysan, faux humanitaire, mais vrais bourgeois et grand voyageur. Pur produit des médias, sans lesquels il ne serait rien, habile à manier la « novlangue » postmoderne, Bové a appris une chose importante : dans le tintamarre médiatique quotidien, on n’est entendu que si l’on profère des énormités. C’est ainsi par exemple, que les Français ont appris grâce à sa sagacité que les attentas contre les synagogues, à Marseille, à Lyon ou en banlieue parisienne étaient l’œuvre du Mossad ! Cui bono, n’est ce pas …

Au-delà de la nullité du personnage, le phénomène est inquiétant, beaucoup plus dangereux, je pense que l’extrême gauche ou l’extrême droite organisées, organisations marginales, dont l’emprise sur la société reste somme toute modeste. Dans une société déboussolée par la perte des vieilles certitudes et rendue fragile par une mondialisation mal maîtrisée, ce sont des gens comme José Bové qui investissent le vide idéologique. Moins archaïques que l’extrême gauche traditionnelle, ils expriment mieux les angoisses et les revendications des laissés-pour-compte de la mondialisation, mieux que l’extrême droite, ils jouent sur leur peur devant un monde inconnu et inquiétant, en suggérant de fausses solutions à de vrais problèmes.

Enfin, ils flattent une attitude très répandue, qui est la vraie idéologie de substitution dans un monde post-idéologique qui a vu s’écrouler tous les grands systèmes d’explication et de transformation de la société. J’ai appelé ce sentiment diffus « compassionnisme. » Propagé par les médias, notamment la télévision, le virus compassionniste sévit dans toutes les classes de la société ; mais il est particulièrement virulent dans la classe intellectuelle et semi-intellectuelle. Le compassionnisme n’est pas la compassion, l’indispensable inclination de l’âme humaine qui la rend apte à partager la souffrance d’autrui. Le compassionnisme, c’est la compassion érigée en système. A ce titre, il interdit de poser sur les affaires du monde un œil critique, puisque cet œil sera toujours mouillé de larmes. La compréhension, c’est-à-dire l’exercice de la raison pour l’analyse d’une situation, devient accessoire ; la pitié suffit… »

Marc Knobel

Observatoire des médias