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L’auteur revient sur la conférence de Wansee (20 janvier 1942) à laquelle on associe généralement la décision « d’éliminer » les juifs d’Europe. Or Edouard Husson, relève plusieurs paradoxes qui l’amènent à renverser cette thèse.
En effet, comment expliquer que le procès-verbal de cette conférence établisse un projet de déportation généralisée qui aurait lieu après la victoire contre l’Union soviétique alors que l’extermination a déjà commencé depuis plusieurs mois, dans certaines régions d’Europe ? S’il est vrai que la conférence de Wansee a joué un rôle décisif dans l’élimination physique de six millions de juifs européens, pourquoi n’a-t-elle pas été présidée par Himmler ou par Hitler lui-même mais par Heydrich (chef de la police de sécurité du Reich et de la SD) ?
Edouard Husson retourne alors trois ans en arrière lorsqu’à l’occasion du sixième anniversaire de son arrivée au pouvoir, Hitler formule une « prophétie » rejetant la responsabilité d’une guerre mondiale sur les juifs européens qui seraient dès lors anéantis. Conciliant à la fois l’école historique dite « intentionnaliste » selon laquelle l’idéologie et l’obsession personnelle d’Hitler ont joué le rôle principal dans la mise en œuvre du génocide, et l’école « fonctionnaliste » ou « structuraliste » qui privilégie les circonstances, la fuite en avant d’un système chaotique et les initiatives des acteurs inférieurs à la volonté du dictateur et à la cohérence idéologique ; Edouard Husson retrace scrupuleusement une chronologie du massacre débutant avec cette « prophétie ». Il s’appuie sur des discours d’Hitler, des décisions écrites de Himmler et Heydrich, ou encore des notes de Goering et, confronte sa thèse avec les visions d’autres historiens pour tenter de décrypter le processus décisionnel qui a conduit à l’extermination des juifs. La difficulté majeure reste l’absence d’ordre écrit du dictateur : « Personne ne doit pouvoir m'opposer un texte de ma main. Je suis d'ailleurs d'avis, dans une époque où l'on dispose de moyens tels que le train, l'auto et l'avion, qu'il vaut beaucoup mieux se rencontrer que de s'écrire, du moins lorsqu'il s'agit d'affaires d'une importance capitale ».
Ainsi, loin de déduire de ce silence une faiblesse de tempérament du dictateur qui ne l’aurait conduit qu’à entériner des décisions prises par ses subordonnés, Husson insiste sur le rôle central d’Hitler dans l’intention génocidaire, laissant toutefois une place considérable à la « liberté dans l’ordre », soit la capacité d’initiative et l’autonomie dans le respect des instructions.
C’est donc la concurrence entre les différents acteurs ainsi que la progression de la guerre qui vont aboutir progressivement à la mise en place de la « Solution finale de la question juive ».
Tandis qu’à le veille de la guerre la Trinité mortifère (Hitler, Himmler, Heydrich) envisage la déportation des juifs à Madagascar, l’invasion de la Pologne fait naître l’idée d’une « réserve juive » à l’Est, et puis l’embourbement de l’armée allemande en URSS conduit à un changement de programme. On passe d’une « solution finale territoriale » à l’organisation d’un génocide immédiat, systématique et industrialisé.
Dans cette présentation du processus, la conférence de Wansee n'a d'autres buts que de faire accepter par le personnel de l’Etat le génocide tel que Hitler le suggérait depuis novembre 1941, même s’il est présenté dans les termes d’un plan lus ancien, ainsi que l’autorité suprême de la SS et donc de Heydrich qui jusque là avait été en butte aux ambitions des hauts fonctionnaires de l’appareil d’Etat ; l'«évacuation vers l'Est» des juifs signifie désormais leur extermination imminente.
Ce livre court de Edouard Husson a le mérite de démonter les rouages du régime nazi et de revenir sur une décision prise voilà 64 ans, et dont les effets irrémédiables font encore écho à l’heure actuelle.
Sarah Mattéi
Edouard HUSSON, « Nous pouvons vivre sans les Juifs » Novembre 1941 : quand et comment ils décidèrent de la solution finale, Paris, Perrin, 2005