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Publié le 10 Novembre 2011

À propos d’une recension

La Newsletter du CRIF a publié sous ma signature, le 21 décembre 2010, une recension du livre de la romancière Michèle Kahn, « Le rabbin de Salonique ». Nous avons reçu d’un collectif de lecteurs une lettre dans laquelle ces personnes expriment leur totale opposition avec la vision de la vie et de l’action du Grand rabbin Zvi Koretz de Salonique aux heures sombres de la Shoah. Dans un esprit d’équité et de volonté d’informer nos lecteurs, nous publions cette lettre ci-dessous. J.P.A. :




Dans « Notes de lecture » du 21 décembre 2010 Jean-Pierre Allali présente le livre de Michèle Kahn, « Le Rabbin de Salonique » Il indique, en particulier « que le personnage central de son récit continue de nos jours, d’être contesté » et qu’avec ce nouveau roman « elle prend quelques risques ». Ces « risques » résultent de la volonté de l’auteur de réhabiliter Zvi Koretz, Grand rabbin de Salonique, et de l’innocenter des accusations de collaboration portées contre lui. Les rares survivants et descendants de survivants ont reçu ce roman comme une véritable insulte car la romancière s’appuie non pas sur les témoignages des rescapés encore en vie, mais uniquement sur la parole de la famille du rabbin. En outre, l’auteur omet de relater les faits qui pourraient illustrer le comportement de Zvi Koretz avec les Allemands. Ceci conduit à de nombreux faits inexacts dans le récit. À cet égard, le rappel ci-dessous du contexte historique apporte les corrections nécessaires.



Dans son Livre « La destruction des Juifs d’Europe » l’historien Raoul Hilberg note « Le processus de déracinement et de déportation à Salonique s’effectua avec une rapidité sans précédent. Ce rythme accéléré fut essentiellement dû à l’action conjuguée de trois hommes : le Kriegsverwaltungsrat Merten, l’Haupsturmführer Wisliceny et le Grand Rabbin Koretz. »(1)



En 1945 la communauté juive de Salonique, c’est-à-dire les 4% de survivants sur les 50 000 Juifs que comptait la ville avant Guerre, demande à la justice grecque de juger Zvi Koretz ainsi que ses proches collaborateurs pour faits de collaboration. Son procès n’a pas eu lieu du fait de son décès 15 jours après sa libération du camp de Bergen-Belsen. Mais un grand nombre de ses collaborateurs ont été jugés et condamnés à la peine capitale. Il convient de noter que dès 1944 la Hagana, dans son document intitulé « Grèce-Liste Noire. Juifs ayant collaboré avec les Armées d’Occupation Allemandes » (traduction de l’hébreu) Archives Sionistes Centrales, dossier n° S 257851, le mettait sur une liste des principaux collaborateurs.



Voici ce qu’écrivait le rabbin Michael Molho dans « In Memoriam », revu et augmenté par Joseph Nehama et édité par la Communauté de Salonique en 1973. Il décrit les scènes qui se déroulaient en mars 1943 au moment des déportations : « L’effervescence la plus vive règne dans les quartiers juifs. On discute l’attitude et la conduite de Koretz, on les blâme hautement. On tient Koretz pour responsable de la facilité, de l’aisance avec lesquelles les Allemands ont pu procéder à l’application des lois raciales. On l’accuse d’un zèle excessif et déplacé, d’un reptilisme, d’une platitude coupable à l’égard des S. D., d’un manque absolu de courage et surtout de perspicacité, de flair. Loin de favoriser les évasions, il a tout fait pour les refréner, par ses discours pleins d’optimisme sur les projets des Nazis. »



Contrairement au rabbin Barzilay qui, à Athènes, détruisait tous les documents pouvant servir à l’arrestation des membres de sa communauté, à Salonique Koretz faisait travailler jour et nuit tous les employés de la communauté, certains de ses membres y compris de nombreux jeunes, pour établir le recensement, requis par les Allemands, des familles et de leurs avoirs. Dans le cadre de ses pouvoirs, plutôt que d’informer ses coreligionnaires du risque encouru (déportation et extermination), il les rassure et leur décrit une prétendue installation à Cracovie au sein de la Communauté juive de cette ville.



Quand les membres de la résistance grecque l’ont informé de la réalité des déportations et ont proposé aux jeunes Juifs de les rejoindre il a menacé de les dénoncer à la Gestapo.



Sans son acharnement et son aveuglement complaisant, la déportation n’aurait pas été mise en exécution avec une telle ampleur et dans des délais aussi courts. Bon nombre de Juifs auraient pris la fuite. Ils n’auraient pas été passifs et confiants. Les survivants revenus de déportation, ont accusé Zvi Koretz d’avoir collaboré avec les Allemands et d’avoir, par son action, contribué à la déportation des Juifs saloniciens.



Bien évidemment, 70 ans après les faits, il ne s’agit pas de faire ici le procès du rabbin Koretz. Il convient de rappeler cependant que le livre de Michèle Kahn qui se présente comme un roman, contient des faits inexacts concernant l’attitude de Koretz pendant l’occupation allemande. À cet égard un grand nombre des références bibliographiques citées par l’auteur confirment le comportement du Rabbin Koretz et sa proximité avec les autorités allemandes. Elle n’en tient pas compte, comme elle n’a pas tenu compte des témoignages accusateurs des survivants des camps d’extermination. Elle se contente des témoignages de la famille de Koretz.



Pour ceux qui veulent approcher la vérité sur ces sinistres événements, nous ne pouvons que conseiller la lecture du livre de Yaacov (Jack) Handeli « De la Tour Blanche aux Portes d’Auschwitz. Un Juif Grec se souvient »(2), du livre de l’historien Raoul Hilberg « La destruction des Juifs d’Europe » et du document, rédigé par notre groupe «Zvi Koretz, Grand Rabbin de Salonique (1933-1943), la réalité des faits » Ce document figure dans les Archives de Yad Vashem sous le numéro de registre 9611399. Il peut être consulté au Mémorial de la Shoah à Paris (bibliothèque).



Notes :
1. Tome 2, p 1288
2. Éditions l’Harmattan



Benroubi Hélène.
Gattegno Laurent.
Naar-Cohen Claudine. : Ancienne Directrice du CDJC.
Recanati Aure. : Auteur du «Mémorial de la Déportation des Juifs de Grèce». Trésorière de «Muestros Dezaparesidos».
Révah Isaac. : Ancien déporté de Salonique.
Rosilio-Mallah Henriette.
Tolédo Alain. : Président de « Muestros Dezaparesidos ».



Photo : D.R.