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Publié le 11 Octobre 2007

Abdellah Rami : On n’a plus besoin d’aller à Peshawar, c’est Peshawar qui vient à vous

Sur Al-Qaïda, son évolution, ses avatars et ses ramifications et surtout sur le rôle d’Internet dans l’extension du djihad, sur la généralisation du « phénomène kamikaze » et son irruption soudaine au Maroc, Abdellah Rami, 34 ans, est un bon interlocuteur. Après six années d’études sur l’islamisme, il achève un doctorat en science politique à l’université Hassan II de Casablanca sous la direction du sociologue et politologue Mohamed Tozy. Son sujet : L’activité de la Salafiya djihadiya sur Internet (la réinvention des généalogies du savoir salafiste sur Internet). L’homme est peu connu et ne tient pas à l’être davantage. Discret, il n’en est pas moins intarissable sur l’islamisme, ses dérives violentes et le mouvement dont se réclame Al-Qaïda, qui prône le retour à la guerre sainte. « Mon savoir -explique-t-il à Hamid Barrada, journaliste de Jeune Afrique- est à la portée de tout un chacun. Il suffit d’ouvrir un ordinateur : on trouve tout sur Internet ! Depuis la littérature prosélyte et la théologie du Djihad jusqu’aux recettes des explosifs et au mode de fabrication des ceintures infernales, en passant par les techniques d’organisation de cellules clandestines ou celles qui permettant d’affronter les services spéciaux et autres forces de répression. C’est simple : aujourd’hui, les réseaux virtuels d’Internet ont remplacé les réseaux clandestins d’Al-Qaïda. L’endoctrinement et l‘entraînement qu’on dispensait jadis dans les camps d’Afghanistan sont désormais reçus à domicile sur des sites spécialisés. On n’a plus besoin d’aller à Peshawar, c’est Peshawar qui vient à vous. » Un peu plus loin, le spécialiste de ces questions soutient qu’Internet a été la découverte d’un nouveau continent. « C’est –dit-il- leur Amérique ! » « Alors que les Islamiques étaient partout réprimés, traqués, la Toile a été leur unique issue de secours. Ils s’y sont engouffrés et ont en fait un usage qui a varié au fil des ans. » Il affirme plus loin qu’Internet a totalement transformé les modes de recrutement, de formation et d’organisation. « Désormais, n’importe qui, n’importe où et à tout moment, peut, grâce à lui, s’engager dans le djihad. »


Et de citer quelques exemples. Abdellah Rami n’est pas surpris par les attentats kamikazes avortés de mars et avril 2007, à Casablanca, au Maroc. Lorsqu’on s’intéresse de près au mouvement djihadiste, certains signes ne trompent d’ailleurs pas. Par exemple, la circulation intense de cassettes d’Abou Qatada (le cheikh radical palestinien), la multiplication des réunions entre sympathisants d’al-Qaïda, la fréquence des contacts entre ses cadres installés en Europe et les djihadistes de base qui ont échappé aux ratissages des services de sécurité. Concernant le Maroc, il pense qu’il existe des cellules possédant une réelle expertise terroriste, entretenant des relations suivies avec des correspondants en Irak, en Algérie, et en Afghanistan ; ou avec des cellules dormantes en Europe. Si ces groupes ne se manifestent pas pour le moment, c’est parce qu’ils se sont donnés une stratégie qui table sur la durée et qu’ils n’entendent pas agir dans la précipitation, faire des coups limités ou n’importe quoi. Rami suppose même que leur priorité, aujourd’hui, est d’organiser la mobilisation en faveur de ce que l’on appelle « l’Etat islamique en Irak », proclamé par Al-Qaïda sur place, c’est-à-dire concrètement de recruter des combattants marocains pour le djihad en Irak.
Mais alors, comment expliquer l’éclosion de cette génération spontanée de terroristes ? Abdellah Rami répond qu’il y a des facteurs religieux, théologiques. A commencer par le mythe du martyre (chahada) qui efface d’emblée tous les péchés du croyant, dispense celui-ci du jugement dernier et lui ouvre grandes les portes du paradis. Rami pense qu’il faut insister sur une donnée psychologique qu’on peut qualifier d’obligation de résultat immédiat. Comme l’émigré qui revient au pays auréolé de sa réussite (argent, voiture, femme…), le nouveau djihadiste (celui de la génération spontanée) veut des résultats rapides, magiques, miraculeux. En ce qui concerne l’état d’esprit des kamikazes, il ne faut pas oublier -dit-il- l’influence des médias et de l’Internet. Le 11 septembre a énormément impressionné les musulmans du monde entier affirme le chercheur. Ses ondes de choc sont encore perceptibles chez les jeunes marocains. Et Rami d’affirmer : « Bien qu’on mesure encore mal son degré d’importance, un autre facteur d’ordre psychologique joue certainement un rôle : le besoin d’attirer l’attention, de sortir de l’anonymat, de créer l’événement et d’être –serait en l’espace d’une seconde- le héros. Le mimétisme joue ici un rôle essentiel : on agit comme les héros de l’épopée du 11 septembre, qui demeure l’événement matrice. »
A lire absolument.
Marc Knobel
La Revue Pour l’intelligence du monde, septembre – octobre 2007, n° 10, 8 euros. A noter que La Revue Pour l’intelligence du monde a un concept éditorial nouveau. Elle est ouverte à des auteurs de toutes origines qui apportent des regards neufs ou différents sur des sujets les plus divers aussi bien politiques, économiques que culturels ou sociaux. Ils sont eux-mêmes plus souvent acteurs que simples commentateurs.